On dit parfois que les années se suivent et ne se ressemblent pas. C’est on ne peut plus vrai pour moi quand je compare ma trajectoire en 2022 à ma rétrospective de 2021. Car en relisant toutes les éditions de l’année, difficile pour moi de ne pas faire de liens entre certaines tranches de ma vie et mes écrits. Car là où l’optimisme allait bon train en 2021, j’ai l’impression que 2022 a donné à ma plume plus de conscience, plus de réalisme, mais aussi plus de gravité.
L’image qui me semble la plus évocatrice à ce sujet est sans doute celle du mythe de Sisyphe — déjà citée cette année. Et pour cause : je me souviendrai de 2022 comme celle où la newsletter a plus vacillé que jamais. La faute à des égarements, à de l’épuisement, ainsi qu’à un équilibre plus difficile à tenir qu’auparavant. Sisyphe oblige, ma situation personnelle me renvoyait à une certaine lecture de l’absurde de Camus. Avec pour questionnement central : pourquoi pâtir d’une activité plaisir qui n’a ni l’impératif de grandir vite ni vocation à devenir une source de revenus ?
Ma réponse à ces difficultés s’est soldée par un changement de rythme de publication. C’est une décision qui m’a fait beaucoup plus de bien que je n’aurais pu l’imaginer. Et après réflexion, je n’en reviens toujours pas d’avoir réussi à tenir une cadence de deux interviews par mois — à côté de ma vie — pendant deux ans et demi. En ce sens, mon autre symbole de 2022 restera l’adoption du credo de mon maître-plume, à savoir le “new post every sometimes” de Tim Urban, auteur de mon blog préféré, Wait But Why.
Enfin, PWA est — et restera — une newsletter sur les autres. Et si les rétrospectives sont forcément des éditions où je parle plus de moi que d’ordinaire, j’ai surtout envie de revenir sur mes invités… extraordinaires. D’ailleurs, la première chose que je remarque à la vue des quatorze noms de plumes interviewées en 2022, c’est que je ne connaissais pas la moitié en démarrant l’année.
Rien qu’avec ça, je sais déjà que j’ai rempli mon contrat tacite avec PWA : amener de la surprise dans ma vie. Et qui sait, peut-être dans la vôtre aussi ? C’est une valeur qui me tient particulièrement à cœur et rien ne me fait plus plaisir que de la transposer dans la newsletter. Alors avant de tourner la page pour 2023, revenons ensemble sur les enseignements et moments forts de la troisième année mouvementée de PWA.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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Tenir et ne pas tenir ses bonnes résolutions
Relire mon tout premier édito de 2022 m’a fait un drôle d’effet. Je suis retombé sur mes bonnes résolutions pour l’année, à savoir “passer plus de temps au contact de la nature et me rapprocher du journalisme”. Un an plus tard, soyons honnêtes : je n’ai pas fait plus d’escapades en plein air que d’habitude — mais pas moins — et je n’écris toujours pas pour la presse. Vu comme ça, on ne peut pas vraiment dire que je m’y suis tenu. Et pourtant…
Jamais je n’ai reçu autant de journalistes et de créateurs de médias que cette année dans PWA. Si bien que j’ai souvent eu l’impression d’être au contact de celles et ceux que Jean-Marie Charon [cf. PWA #53] désigne lorsqu’il parle de “renouveau de la discipline”. En 2022, la question des frontières poreuses du métier est d’ailleurs une réflexion qui m’a fasciné. Pensée oblige pour Jean-Baptiste Mouttet [cf. PWA #63], qui va jusqu’à considérer que certaines approches de journalistes peuvent s’apparenter à de véritables démarches d’artistes. Et ce n’est pas moi qui vais le contredire.
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Replacer le curseur sur la vraie vie
Parfois, je me dis que PWA a les défauts de son époque : à savoir d’être une énième publication en ligne qui parle beaucoup de ce qui se passe sur internet. D’un côté, ça ne me semble pas si farfelu que ça pour une newsletter sur l’écriture. Mais de l’autre, je trouve que 2022 m’a amené à parler davantage du vaste monde derrière nos écrans.
Tout a commencé dès la toute première édition de l’année sur le thème de l’aventure. Je retiendrai notamment la distinction de Thomas Firh [cf. PWA #51] sur la nécessité d’équilibrer contemplation et action dans les nouveaux récits. Loin de s’appliquer uniquement à la nature, cette nuance me semble fondamentale pour une newsletter comme PWA — qui doit à la fois nourrir la lecture et encourager l’écriture.
La vraie vie, c’est aussi celle qu’on ne connaît pas forcément. Et en ce sens, les microcosmes dans lesquels nous évoluons ne se cantonnent pas seulement aux écrans. Deux éditions publiées cette année ont traité des représentations alternatives d’autres espaces, d’autres réalités. La première concerne la ruralité, avec la revue Bobine de François Piccione [cf. PWA #55] — à laquelle j’ai par la suite eu le plaisir de contribuer. La seconde édition en question correspond à ma dernière interview de l’année avec Sarah Ichou [cf. PWA #64], qui est revenue sur la recette de la longévité du Bondy Blog : média “adolescent” de 17 ans devenu porte-parole des quartiers.
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(Re)mettre les tabous au centre du récit
Par définition, on ne parle pas assez — voire pas du tout — de tabous. Mais à en juger par ma sélection d’invités, ça aura été une toile de fond assez récurrente cette année pour mes interviews. La première édition sur la question m’a particulièrement marqué. Et pour cause : Judith Aquien [cf. PWA #52] m’a ouvert les yeux sur le besoin vital de nouveaux récits sur un sujet aussi central que la maternité.
Les tabous gagneraient aussi à prendre plus de place dans certains débats. Cela me semble d’autant plus vrai pour des enjeux de société qui ne font hélas pas toujours l’unanimité. La remise en question de notre héritage patriarcal par le féminisme en fait partie. Et pour changer, j’ai voulu aborder le sujet par un prisme encore trop rarement abordé : la santé mentale des militantes — avec Fanny Vedreine [cf. PWA #58]. Si vous avez entendu des horreurs en repas de Noël, partager son témoignage aidera peut-être certains à mettre de l’eau dans leur vin.
Enfin, il reste de nombreux tabous associés à des problèmes que l’on peut hélas rencontrer partout et à tout moment. Je n’aurais d’ailleurs jamais imaginé publier un jour une édition sur le harcèlement. Et pourtant, mon interview avec Anne Boistard [cf. PWA #62] est à mes yeux l’une de mes newsletters les plus importantes de l’année.
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Préférer les “anti-gourous”
Aujourd’hui, les gourous sont partout. Ce sont les stars des plateaux, les seigneurs des algos, les rois de l’auto-promo. Alors pour un petit média indépendant, raison de plus pour faire sans. Et ça tombe bien : j’ai toujours préféré la mesure, la prudence et l’humilité pour choisir mes invités. Si bien que ces critères sont à mes yeux imparables pour repérer les personnes avec qui j’aurai les meilleures conversations.
Reste qu’il y a un certain profil que j’ai beaucoup aimé recevoir cette année. Même que j’ai envie d’appeler ses représentants les “anti-gourous”. Pour moi, ce sont ces personnes qui deviennent connues, respectées voire acclamées sur leur sujet… mais refusent de céder aux sirènes du populisme et de la vanité. C’est tout le mérite de Yoann Lopez [cf. PWA #59], devenu influent sur un thème qui a pourtant tous les ingrédients pour nous faire perdre la raison : l’argent.
Reste que pour moi, l’anti-gourou a plusieurs cordes à son arc. Un autre de ses atouts est de ne pas avoir peur de tenir tête aux véritables gourous. La meilleure illustration à mes yeux n’est autre que le travail de Thomas Wagner — aka Bon Pote [cf. PWA #61]. Nous sommes revenus ensemble sur sa mission double en tant que lanceur d’alerte climatique : produire une information claire et sourcée d’une part, et interpeller politiques et climato-rassuristes de l’autre. Courageux et téméraire !
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Aller au bout des choses
Si je ne devais retenir qu’un seul enseignement de ma conversation avec Siham Jibril [cf. PWA #56], ce serait que l’intuition, l’empathie et la curiosité ont une base commune : l’écoute — de soi, des autres et du monde. Ces trois éléments composent les valeurs du podcast Génération xx que notre invitée a choisi de clôturer à son centième épisode pour en faire une communauté. Parler de la fin d’un projet et de son après n’a pas manqué de me questionner sur l’état de PWA qui, ironiquement, a battu de l’aile dans les semaines qui ont suivi. Cet élan de superstition a eu le mérite de m’avoir fait développer une attention toute particulière à mes émotions cette année.
Aller au bout des choses peut être aussi simple que de rester jusqu’à la fin d’un générique. Car c’est dans les toutes dernières secondes des crédits d’un jeu vidéo (fantastique !) que j’ai relevé le nom d’une potentielle invitée. Nadège Gayon-Debonnet [cf. PWA #54] a traduit le chef-d’œuvre indépendant Eastward et a contribué à mon enchantement devant ses textes si bien écrits. Notre interview illustre le caractère sensible du travail des mots et fait la part belle à une autre grande qualité à développer aussi bien à l’écrit que dans sa vie : l’empathie.
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Cultiver son excentricité
En 2022 aussi, ma sélection d’invités a compté son lot d’ovnis. Et comme chaque année, c’est une présence qui me réjouit ! Car à quoi bon s’en tenir à écrire sur clavier quand on peut fabriquer ses propres livres, publier 52 nouvelles en un an, détourner des affiches futuristes en risographie et appartenir à un collectif de science-fiction ? Bienvenue dans la vie de Saïd [cf. PWA #57], artisan punk de la création littéraire libre, qui fait honneur au mot “attitude” dans le titre de ma newsletter.
Enfin, une lectrice m’a récemment demandé quelle était mon interview préférée. Et cette année, je dois dire qu’une invitée m’a laissé sans voix à la fin de notre conversation. Et pour quelqu’un qui parlait plus tôt de l’importance de la vraie vie et du monde au-delà des écrans, vous allez peut-être lever les yeux au ciel en lisant qu’il s’agit… d’une créatrice de NFTs, Keridwen [cf. PWA #60].
N’en déplaise aux fâchés de Web3, notre interview va bien au-delà. Construction d’univers décentralisés, incarnation de personnages magiques, création de récits communautaires : c’est une édition à la fois teinté de nostalgie et d’avant-gardisme. C’est aussi la newsletter qui m’a sorti du brouillard, juste à temps pour fêter le troisième anniversaire de PWA.
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DERNIÈRE CHOSE…
Ainsi se referme 2022 pour Plumes With Attitude.
Ce nouveau chapitre de la newsletter aura été pour moi celui de toutes les péripéties. C’est aussi une année qui aura amené beaucoup de changements dans ma vie. Après trois ans en tant que freelance à plein temps, me voilà depuis peu partiellement de retour dans le salariat — tout en gardant une place pour mon travail en indépendant. Cette expérience de la pluriactivité marque pour moi un nouveau cap et ajoute une dimension collective à ma pratique longtemps solitaire de l’écriture.
Le collectif et la pluralité s’appliquent également à un projet tout frais nommé Gabegie, un joli quatuor de DJs qui me fait explorer une autre approche de la sélection, cette fois-ci sur le volet musical. Cette nouvelle pratique me donne également des idées pour PWA — qui pourraient vous intéresser. Car s’il y a bien une chose que j’attends de 2023, c’est de me pencher (enfin !) sur l’organisation d’événements pour la communauté. Il paraîtrait même que ça pourrait arriver beaucoup plus vite que prévu. 😉
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de finir l’année en beauté, de bien commencer celle qui arrive, de prendre soin de vous, mais aussi — et surtout — de vous remercier chaudement pour vos petits mots, votre assiduité, vos encouragements. Et parce qu’on ne change pas une équipe qui tient toujours debout…
May the words be with you,
Benjamin
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Super rétrospective qui m'a donné envie de me plonger dans des interviews à côté desquelles j'étais passée. Bravo Benjamin, et hâte de la suite !!
Bravo Benjamin pour toutes ces éditions, au plaisir de continuer à te lire en 2023 !