C’est la dernière de l’année ! La dernière interview, la dernière édition avant vous savez quoi. Et si vous ne savez pas, je vous dis tout en fin de newsletter. Mais avant de scroller tout en bas pour satisfaire votre curiosité, laissez-moi vous dire quelques mots sur cette drôle d’année.
Jamais je n’aurai eu aussi peur pour la survie de mon petit média, qui a battu de l’aile plus d’une fois. Si vous me lisez depuis un certain temps, vous savez que le Choixpaon s’est plus que jamais retrouvé le bec dans l’eau en 2022. Mais depuis quelques mois, je suis heureux de dire que la période de turbulences est derrière moi.
Le choix de notre invitée du jour est d’ailleurs tout sauf anodin. Cette dernière édition de l’année oscille entre nouveaux départs et longévité, entre galères et portes fermées, mais aussi entre sentiment de fierté et devoir d’humilité. Car pour un petit média comme PWA comme pour ses grands frères, la route est longue et il y aura toujours du chemin à faire.
En tout cas, le cru 2022 m’aura marqué comme une de ces années dont je me souviendrai longtemps. Je vous en parlerai plus en détails la prochaine fois. Car pour l’heure, il est temps pour moi de donner la parole à notre nouvelle invitée. D’autant plus que notre interview est à mes yeux une très belle façon de finir l’année en beauté.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Sarah Ichou
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Sarah Ichou, nouvelle directrice du Bondy Blog. En dix-sept ans d’existence (!), le média est devenu à la fois un porte-parole des quartiers populaires et une école de formation au journalisme déterminée à faire naître de nouvelles vocations au sein de publics hélas souvent écartés des grandes rédactions.
Hello Sarah et merci d’avoir répondu à l’invitation ! Je suis d’autant plus heureux de te recevoir aujourd’hui que ton histoire personnelle me semble assez évocatrice de ce qu’est le Bondy Blog. Tu viens de devenir sa nouvelle directrice plus de dix ans après avoir écrit ton premier papier pour le média… à quatorze ans et demi. Alors pour commencer, tu me racontes comment se sont passés tes premiers pas ?
En fait, j'ai fait mon stage de troisième au Bondy Blog. Ça ne devait durer que cinq jours mais je n’en suis jamais partie (rires). Ça a toujours été une rédaction très ouverte et accueillante, ce qui m’a poussée à rester. On m’a proposé de revenir pour une conférence, puis une seconde… avant de me proposer d’écrire pour eux. On m’a invitée à raconter ce qui se passait dans la cour de récré. Déjà à l’époque, il y avait cette volonté de donner la parole à des publics très différents.
Et pour moi, la force du Bondy Blog, elle est justement dans la diversité qu’on retrouve en salle de rédaction. Au-delà des journalistes, il y a des étudiants, des blogueurs et autres plumes de tous horizons. En 2010, je faisais partie des plus jeunes et j’ai bien sûr continué l’école à côté — notamment parce que ça reste obligatoire jusqu’à seize ans (rires). Et après avoir longtemps hésité avec le journalisme, j’ai finalement choisi de faire mes études en communication. Reste que j’ai toujours gardé un pied au Bondy Blog, avec l’écriture comme point d’ancrage.
Comment vois-tu l’évolution du Bondy Blog entre le moment où tu y as fait tes premiers pas et aujourd’hui ?
Déjà, il y a des choses qui n’ont pas changé et dont l’équipe peut se sentir fière. Le Bondy Blog a commencé comme un média ouvert à tous et ça l’est resté. Tous les mardis soirs, on a des gens très différents — issus de quartiers populaires ou non — qui assistent à nos événements. Et je dois dire que rester fidèle à cet ADN en dix-sept ans est déjà une belle victoire en soi.
Pour moi, ce qui a le plus évolué c'est notre modèle économique et financier. Par contre, s’il y a bien un truc qui n’a pas changé, c’est qu’on est toujours pauvres (rires). Mais on a appris à diversifier nos sources de revenus, notamment via des partenariats et de l’éducation aux médias.
Et si on a gardé la même ligne éditoriale, on a tout de même réussi à l’inscrire dans d’autres époques. Aujourd’hui, on parle toujours des quartiers populaires mais on sait le faire différemment. Et ça passe notamment par notre approche des réseaux sociaux et des nouveaux formats éditoriaux.
Tu dis que vous parlez des quartiers populaires différemment, mais comment a évolué leur perception par le grand public selon toi ?
Pour moi, il existe une vraie corrélation entre la couverture médiatique des quartiers et leur perception. C’est d’ailleurs pour ça qu’on est là ! On veut que les gens qui n’ont pas la chance d’habiter un quartier populaire se rendent compte que c’est pas si mal.
Le problème, c’est que ces milieux sont sous-représentés dans les grands médias. Encore aujourd’hui, le journalisme souffre d’un problème de diversité alors qu’on gagnerait tous à ce que le milieu recrute plus de profils qui sortent des sentiers battus.
Reste que les réseaux sociaux ont permis à d’autres voix de se faire entendre et c’est tant mieux. D’autres médias indépendants ont émergé — dont certains sur les quartiers — et ça fait plaisir de voir qu’on n’est plus les seuls sur ce créneau.
De notre côté, on a toujours eu à cœur de former des journalistes de tous horizons, avec pour objectif de faire en sorte que ça ait un impact sur les pratiques des grandes rédactions. On part du principe que faire évoluer les représentations au sein de ces structures se traduit forcément par des changements au niveau de leur ligne éditoriale.
Et même s'il reste du chemin à faire, force est de constater qu’il y a aussi du mieux à ce niveau. J’ai l’impression que les réseaux sociaux ont malgré tout encouragé les gens à être plus actifs dans leur rapport à l’information. Si bien que le grand public me semble mieux armé aujourd’hui qu’à l’époque où on a lancé le Bondy Blog.
En même temps, on revient de loin ! L’année de création du Bondy Blog [2005], c’est aussi celle du “kärcher” de Sarkozy suite aux émeutes dans les banlieues. En tout cas, je trouve que ta réponse illustre bien les deux enjeux majeurs du Bondy Blog : à savoir comment faire évoluer la couverture des quartiers populaires par les médias d’une part, et de l’autre comment augmenter le nombre de personnes issues des quartiers au sein de ces mêmes médias. Quel est ton sentiment sur vos avancées sur chacun de ces deux combats ?
Si les journalistes issus des quartiers populaires sont aussi peu nombreux dans les médias, c’est surtout parce que ces publics se sont longtemps retrouvés face à des portes fermées qui les empêchaient d’y accéder. Bien sûr, il y a une part d’autocensure. Mais c’est aussi parce que les grandes rédactions les ont longtemps censuré, les ont mal intégré, voire ne les ont pas recruté du tout. Encore une fois, je pense malgré tout qu’on avance dans le bon sens et qu’il y a du mieux aujourd’hui.
Avec le Bondy Blog, on a mis en place une prépa qui s'appelle Égalité des Chances avec l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille. L’idée, c'est de former davantage d’étudiants sélectionnés sur critères sociaux, avec pour objectif de les faire intégrer les grandes rédactions. Une centaine d’étudiants sont passés par la prépa et travaillent aujourd’hui au sein de grands médias français et internationaux.
Et je dois avouer que c'est pour nous une immense fierté. D’autant plus que le réseau est hyper important dans ce métier. C’est juste génial pour nos apprenants d'avoir des grands frères et grandes sœurs passées par là qui reviennent pour animer des masterclass ou faire du mentorat. Par exemple, on avait fait un atelier sur l’écriture journalistique [“une Fabrique”] avec Ramsès Kefi qui a travaillé à Libération puis la Revue XXI après avoir été formé chez nous.
Reste qu’il y a toujours ce problème de représentation dans le métier. Il suffit de regarder les photos des grandes rédactions françaises pour s’en rendre compte au premier coup d’œil. On est donc à la fois très fiers des trajectoires individuelles qu’on a pu accompagner, mais aussi très humbles par rapport au chemin qu’il reste à faire.
Et au fond, c’est pareil pour la couverture médiatique des quartiers populaires. D’un côté, on doit reconnaître que les sujets sont mieux travaillés que par le passé. Mais de l’autre, on est souvent sidérés devant certains reportages LCI et autres Enquêtes Exclusives avec Bernard de la Villardière...
De quoi aimerais-tu entendre parler davantage dans les grands médias à propos des quartiers populaires ?
Ce que j’aimerais, c’est que les journalistes ne fassent pas uniquement le déplacement en banlieue pour parler de certains sujets spécifiques. C’est bien beau de venir à Bondy pour le foot parce que Mbappé, ou à Aubervilliers pour le rap parce que Mac Tyer. Mais pourquoi ne pas aller dans les quartiers pour des sujets du quotidien comme on le ferait pour d’autres coins de la France ?
Pendant très longtemps, on a parlé des quartiers soit très négativement, soit très positivement. D’une part, il y a tous ces sujets sur la violence et la drogue, mais de l’autre on a tous en tête ces portraits de jeunes de banlieues diplômés de Science Po ou HEC qui viennent illustrer la soi-disant méritocratie à la française.
J’aimerais donc que les médias finissent par se débarrasser de ces automatismes et considèrent enfin les habitants des quartiers comme étant légitimes pour parler de n’importe quel sujet. C’est pourquoi ce qui manque le plus selon moi, c’est de les intégrer tout simplement dans des sujets lambda du quotidien.
Comme tu le soulignes, il y a pas mal de récupération politique autour des quartiers. Mais il y a aussi en parallèle une certaine récupération culturelle, notamment vis-à-vis du hip-hop, de la mode ou encore du street-art. Que t’inspire ce phénomène encore assez récent ?
C'est sûr que la banlieue est à la mode. Ce qui me gène, c’est que cette récupération est avant tout motivée par l’argent — en plus de contribuer à la gentrification des quartiers populaires. Mais je pense que tout n’est pas à jeter pour autant.
Pour moi, ce qui compte c’est que les projets en question restent fidèles à l’ADN et aux valeurs des quartiers. Pour cela, ils doivent être pensés avec des acteurs locaux afin de permettre à ces derniers d’amplifier leurs messages et de porter leurs combats.
Comme l’explique en interview François Gautret, qui a été commissaire d’exposition pour l’expo Hip-Hop 360 à la Philharmonie de Paris, cet engouement profite avant tout — financièrement — aux marques qui se positionnent sur ce créneau. Mais les acteurs locaux aussi peuvent y trouver leur compte, et ainsi réinvestir cet argent pour développer leurs propres projets dans les quartiers.
Au-delà d’être le sujet principal du Bondy Blog, les quartiers populaires sont également un prisme fascinant pour parler de tous les acteurs qui gravitent autour. Je pense notamment à la police, à la justice et aux collectivités locales. Alors je voulais te demander, que nous disent les quartiers populaires sur nos institutions ?
À l’origine du Bondy Blog, il y a les révoltes de 2005 qui ont fait suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré — électrocutés dans un transformateur EDF alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police non justifié. Donc pour le coup, la question des violences policières fait pleinement partie de notre identité. Et quand on parle de police, on parle forcément de justice et de ces relations très compliquées qu’entretiennent ces institutions avec les habitants des quartiers.
Il en va donc de notre responsabilité de documenter, d’enquêter et de raconter ces histoires souvent très violentes par ce prisme de lecture. Car il existe une autre forme de violence selon moi plus insidieuse, à savoir quand on ne retrouve qu’une seule version des faits dans les grands médias. C’est pourquoi le Bondy Blog a été pensé comme un espace de lutte face à ces représentations manichéennes des quartiers.
On cherche aussi à reconnecter la représentation des quartiers populaires à la vie politique du pays. En ce sens, les élections sont un temps fort pour nous aussi. D’autant plus qu’il existe beaucoup d’idées reçues autour de la supposée dépolitisation des quartiers — et l’abstention qui va avec. Pourtant, il y a une vie démocratique très riche à raconter. Sans oublier toutes ces initiatives citoyennes et associatives qui représentent d’autres façons de s’exprimer sur le volet politique.
Entièrement d’accord avec toi. D’autant plus qu’on retrouve ces mêmes arguments à propos des jeunes, alors que ces derniers sont toujours plus nombreux à s’engager — notamment en association. Pour finir, je voulais te demander : maintenant que tu as plus d’impact sur l’avenir du Bondy Blog, dans quelles directions as-tu envie de l’amener dans un futur proche ?
Mon premier objectif, c'est tout simplement que le média survive. J’ai envie de voir toujours plus de monde en conférence de rédaction et de raconter toujours plus d'histoires ensemble. En dix-sept ans d’existence, je pense qu’on n’a plus à prouver qu’on est un média à part entière. Et ce, avec moins de moyens et de journalistes qu’un grand nombre de nos confrères.
J'ai eu la chance de succéder à Latifa Oulkhouir, qui a eu un rôle décisif dans le développement du Bondy Blog. Ma priorité est donc de continuer sur cette voie et de trouver les ressources pour pouvoir collaborer avec toujours plus de blogueurs, journalistes et créateurs talentueux. On a tellement de projets, d'envies et d’idées ! Il n’y a qu’à voir notre état de surexcitation quand on sort de conférences de rédaction. Mais comme tout le monde, on n’a que vingt-quatre heures dans une journée, sept jours dans la semaine, et un loyer à payer à la fin du mois.
Enfin, je suis très attachée à nos initiatives en faveur de l’éducation aux médias. C’est probablement dû au fait que c’était mon sujet de prédilection quand j'étais blogueuse. Intervenir en classe, faire naître des vocations, sensibiliser à l’information : tout cela est tellement important pour moi. Et même si tu ne veux pas devenir journaliste, avoir un rapport sain à l’information me semble indispensable en tant que citoyen.
L'idée, c'est donc de pouvoir continuer à raconter toujours plus d’histoires à l’écrit, en vidéo, en podcast et sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, le Bondy Blog a dix-sept ans : c’est encore un adolescent. À nous maintenant d’en faire un adulte responsable !
J’aime beaucoup cette métaphore en guise de conclusion. Alors pour ça et pour toute cette conversation, un grand merci à toi ! Surtout que c’était ma dernière interview de 2022, donc je suis très heureux de finir l’année en beauté. Il ne me reste plus qu’à te souhaiter de bonnes fêtes par avance. Et j’ai hâte de savoir ce que le Bondy Blog nous réserve pour 2023. À très bientôt Sarah !
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🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Garanti sans Elon Musk, ni Coupe du Monde ou ChatGPT.
Ça tourne : Plus ça va, plus je me prends de passion pour le cinéma. Moi qui n’avais jamais fait d’avant-première de ma vie, voilà que j’en fais deux dans le même mois. Et si je n’ai pas eu le cran de proposer à Christophe Honoré, Sandrine Kiberlain ou Vincent Lacoste d’être mes prochains invités en 2023, vous pouvez toujours croiser les doigts pour moi. Sinon je me suis (enfin !) mis à la formidable chaîne ciné d’Arte, Blow Up. Entre compilations de fêtes à l’écran, de scènes de bowling devant la caméra, ou encore de chansons des Beach Boys en B.O : l’étendue de leur répertoire est aussi loufoque qu’impressionnante.
Mic drop : À quelques rares exceptions, je n’écoute pas tant de podcasts que ça. Mais à nouveau, j’ai assisté à deux enregistrements publics en un mois (décidément !). Coproduit par Samsa et mes amis de Creatis, Les Médias se Mettent au Vert est un podcast qui parle du vent qui se lève chez ces nouveaux médias qui parlent du climat. Je vous recommande vivement l’interview de Paloma Moritz, responsable du pôle écologie à Blast, menée d’une main de maître par Julien Le Bot. Et si vous écoutez jusqu’à la fin, vous entendrez même une voix mal assurée qui répond à elle seule à la question de pourquoi PWA n’est pas un podcast — et ne le sera probablement jamais.
🗣 MEANWHILE… La hotte-liste des lecteurs
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Pierre a lancé sa nouvelle collection de puzzles.
Louise m’a partagé ses derniers dessins disponibles à la vente.
Hugo a créé des cartes cadeaux pour ses visites guidées de niche à Paris.
Anne-Sylvie propose des formations en écriture biographique.
Corentin a mis en vente sa première collection de photos argentiques.
Nathalie vient de publier un livre, Réveiller ma mère.
Le duo Tech Trash lance son calendrier satirique pour 2023.
Sophie a lancé une nouvelle série de carnets de voyage.
DERNIÈRE CHOSE…
Et voilà pour la dernière “vraie” édition de 2022 ! Comme le veut la tradition à PWA, la prochaine newsletter que je vous enverrai sera une petite rétrospective de mon année — qui aura été plutôt mouvementée. Ce sera l’occasion de revenir ensemble sur tout ce que j’aurai vécu et appris au contact de mes chers invités.
Et qui dit tradition dit anciennes éditions. J’en profite donc pour repartager ici les hors-séries de 2020 et 2021 à destination des plus curieux d’entre vous, mais aussi pour les plumes qui viennent de s’abonner et voudraient en savoir plus sur l’évolution d’un petit média qui, l’air de rien, fait son petit bonhomme de chemin. Et pour celles et ceux à qui il resterait des questions, ça se passe ici : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
D’ici ma prochaine missive, bonnes fêtes de fin d’année à vous et surtout…
May the words be with you,
Benjamin
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