À l’écrit comme dans la vie, les nouveaux projets se lancent souvent en fanfare. Mais rattrapés par le temps, l’argent ou le vent, beaucoup vont hélas s’arrêter sur la pointe des pieds. Difficile de les blâmer tant le seul fait de rester debout peut vite se transformer en une lutte de tous les instants.
Plus rares sont les projets qui se terminent en fanfare. L’expérience récente de notre nouvelle invitée en est à mes yeux la meilleure illustration. Notre conversation aura également été pour moi l’occasion d’aborder — une nouvelle fois — un format que vous connaissez bien puisqu’il est au cœur de la newsletter : l’interview.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Siham Jibril
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait d’une véritable plume “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Siham Jibril, créatrice de Génération XX, un projet qui a commencé en 2017 comme un podcast avant de se muer en communauté. En quatre ans, elle a interviewé une centaine de femmes entrepreneuses sur leur parcours et leurs idées. En 2021, Siham annonçait la fin de son podcast dont le dernier a épisode a été diffusé il y a presque un an jour pour jour. J’ai la chance d’avoir pu lui poser mes questions sur un sujet tantôt excitant tantôt redouté : l’après.
Hello Siham et merci d’avoir accepté l’invitation ! On entend constamment parler de projets qui démarrent, mais beaucoup moins de ceux qui s’arrêtent. C’est ce qui m’a amené à toi, car le cas Génération XX fait ici figure d’exception. En juillet 2020, tu annonçais qu’après quatre ans d’activité, ton podcast s'arrêterait au centième épisode — diffusé le 28 février 2021. Je te propose dans cette interview de revenir sur ce moment et ce qui a suivi, maintenant que tu as plus de recul sur la question. Pour commencer, peux-tu m’en dire plus sur le contexte et ton état d’esprit autour de cette décision ?
C’est marrant, j’ai choisi d’utiliser le terme de “clôture” — et non “arrêt” — pour parler de la fin du podcast. Je ne voulais pas l’associer à un événement brutal, subi ou à connotation négative. Au contraire, j’avais envie d’une fin joyeuse à l’image de ces quatre belles années. Parler de clôture reflétait donc davantage mon état d’esprit, dans le sens où j’étais heureuse à l’idée de conclure un chapitre important de ma vie.
J’avais l’impression d’être arrivée à la fin d’un cycle, aussi bien sur le volet pro que perso, qui correspondait également à mon arrivée dans la trentaine. Il y avait donc une certaine dimension symbolique, que j’ai prolongée en choisissant de m’arrêter au centième épisode.
Et puis, je fonctionne beaucoup à l’intuition. C’est ce qui m’a amenée à démarrer Génération XX et c’est ce qui m’a conduit à clôturer le podcast. Pour finir en beauté, j’ai voulu rendre honneur au projet. Le résultat, c’est la revue hors-série À l’écoute, que j’ai pensée comme un pont entre la fin du podcast et mes envies pour l’après.
Justement, je me demandais : quelles ont été les différences entre ce que tu avais imaginé pour l’après et ce qui s’est réellement passé ?
Ça s'est passé à peu près comme je l'avais annoncé dans le dernier épisode. Après quatre années intenses, entre rencontres pour le podcast, organisation d’évènements, interactions avec ma communauté et sollicitations extérieures, j’ai eu besoin de faire une pause. J’adore l’état d’ébullition permanente, mais ça m’a aussi fait accumuler un certain niveau de fatigue au fil des années.
Rien qu’une heure d’interview pour le podcast, ça représente énormément de préparation et de concentration. Et au bout de quatre ans d’hyper-communication, à mettre des mots sur tout et à réfléchir au projet jour et nuit, j’ai su qu’il fallait ralentir pour recharger les batteries.
Je suis donc passé par une étape nécessaire de régénération. Ça m’a fait beaucoup de bien de me reposer, de voyager (quand c’était possible), mais aussi d’aller trouver de l’inspiration ailleurs, en travaillant sur d’autres projets. Moi qui voulais faire de la vidéo, j’ai pu faire une série de portraits en collaboration avec l’école d’écriture Les Mots. J’ai aussi travaillé en freelance avec PATiNE, une marque de vêtements que j’adore et dont j’avais d’ailleurs reçu la fondatrice Charlotte Dereux dans le podcast.
Mais si j’avais anticipé ce besoin de reprendre de l’énergie, ça m’a pris beaucoup plus de temps que prévu. Je n’aurais jamais pensé que mon projet m’avait tant épuisée. Ou que je puisse avoir besoin d’une transition qui se compte en mois et non en semaines.
Même quand l’énergie pour entreprendre est revenue, je savais que je ne pouvais pas remonter un projet sans réfléchir, la fleur au fusil, comme je l’avais fait pour Génération XX. Je sais que je n’ai plus cette naïveté que je pouvais avoir quand je me suis lancée.
Surtout, je voulais monter un nouveau projet sur lequel j’allais prendre le temps. J’en avais besoin pour réfléchir à ce dont j’ai vraiment envie, à l’ambition que je veux lui donner, ainsi qu’aux personnes avec qui je veux m’associer. Mais aujourd'hui, ça y est : la machine est lancée. Nous sommes trois co-fondatrices et ce sera un projet dans le domaine de l’éducation et de la culture [premières infos ici].
En parlant d’éducation, je voulais justement revenir sur les enseignements tirés de la centaine d’interviews de femmes que tu as menées. Que retires-tu de toutes ces rencontres sur près d’une demi-décennie ?
Je me considère très chanceuse d’avoir pu côtoyer des femmes aussi animées par une cause ou un projet. Ce sont toutes des personnes que je considère comme passionnées. Et c’est galvanisant de voir cette espèce de flamme se manifester chez un être humain. Ça m’a d’ailleurs guidée moi aussi, dans le sens où c’est précisément ce supplément d’âme que je recherche pour mes projets.
Je dirais que ça m’a aussi appris à être beaucoup plus à l'écoute, à sentir pas mal de choses chez les gens. Je me sens plus sensible à différentes façons de parler, au choix des mots employés, mais aussi à tout ce qui est non verbal : gestes, postures, silences. Je me suis d’ailleurs vue évoluer dans ma façon de conduire les interviews.
Au début, j’avais tendance à poser mes questions dans un certain ordre, avec une trame que je déroulais. Mais avec le temps, je me suis mise à conduire mes invitées vers mes questions plutôt que l’inverse. J’arrivais plus facilement à faire jaillir ce feu intérieur chez certaines personnes, mais aussi à percer la carapace solide que d’autres peuvent avoir. Ça rendait les échanges à la fois plus fluides et plus forts.
Parmi toutes tes invitées, on retrouve un certain nombre d’entrepreneuses et créatrices accomplies. Et si leurs parcours inspirants ont plutôt vocation à nous tirer vers le haut, j’imagine qu’on peut aussi avoir tendance à se comparer voire à complexer vis-à-vis de leurs parcours et réussites. Comment éviter cet écueil et ne garder que le meilleur quand on écoute ces récits de vie ?
Quand j’ai lancé le podcast, j’ai beaucoup insisté sur le fait que Génération XX n’est pas un enchaînement de recettes miracles ou de parcours à reproduire de A à Z. D’ailleurs, ce qui m'intéresse le plus en interview c'est d’amener mes invitées à parler de leurs faiblesses et échecs. Je voulais les faire descendre du piédestal sur lequel les médias ou le public ont tendance à les mettre.
L'idée pour moi, c'est de comprendre l'humain derrière le parcours, avec ses hauts et surtout ses bas. Après, tout le monde n'est pas forcément à l'aise pour en parler et certaines personnes vont être plus transparentes que d'autres sur le sujet. Et puis dans le fond on est tous pareils, dans le sens où chacun de nous a des petites et grandes blessures, des façons d’être différentes en public et en privé, ou encore un passé sur lequel on ne peut pas revenir. En prendre conscience et se le répéter aide à calmer cette tendance à se comparer.
Après, on peut aussi se servir de nos envies et jalousies comme d’un point de départ pour mener une réflexion sur sa propre vie. Cela va nous donner des indications sur ce qui nous frustre, ce qui nous manque, ou ce sur quoi on aimerait progresser. Et c’est là que l’inspiration entre en jeu. Ceci dit, il n’y a pas forcément d’intention ou d’objectif à mettre derrière la consommation de podcasts. Il suffit simplement de se laisser porter par son plaisir ou sa curiosité. Et ce sont des raisons amplement suffisantes pour en écouter.
L’écoute, c’est justement le thème du hors-série qui a clôturé le podcast. J’ai même vu que le sommaire était structuré autour de trois piliers : s'écouter soi-même, écouter les autres, et enfin écouter le monde. En quoi cette faculté est-elle aussi importante pour toi ?
Tout d’abord, ces notions représentent les trois valeurs de Génération XX : l’intuition (écoute de soi), l’empathie (écoute des autres) et la curiosité (écoute du monde). Je trouve qu’elles contrastent avec certains traits de notre société, qui valorise davantage l’action et la réaction plutôt que la compréhension.
Par exemple, les algorithmes des réseaux sociaux ne nous exposent qu’à ce qu’on connaît ou ce qu’on aime déjà, et ce afin de maximiser notre engagement avec la plateforme. Et quand ils nous poussent des contenus ou idées qui ne vont pas dans notre sens, on retrouve cette même logique pour encourager une réaction — peu importe si elle est négative voire toxique.
Pour moi, cette incitation permanente à la réaction s’inscrit en opposition au développement de notre écoute. Sans cette dernière, je trouve qu’on est réduits à un état de collision entre ce qu’on aime et ce qu’on n’aime pas, le blanc et le noir, le familier et l’inconnu. Personnellement, la perspective d’un monde sans écoute me fait froid dans le dos.
En ce sens, l’écoute me semble encore aujourd’hui une qualité sous-estimée voire négligée. Pourtant, c’est le pas de côté nécessaire qui te permet de saisir la nuance, d’appréhender la complexité. Ça répond selon moi à certains des buts ultimes de la vie, à savoir être en paix avec soi-même, les autres et le monde. Après, ce n’est pas parce que j’ai lancé une revue sur ces sujets que je considère que j’ai atteint ce stade. Bien au contraire, il me reste encore du chemin à faire (rires).
Enfin, je trouve qu’être à l’écoute te permet de ne pas subir ton quotidien. Savoir s’écouter, c’est aussi réussir à mieux comprendre les émotions qui te traversent et prendre de meilleures décisions. Quant aux autres et au monde extérieur, tu ne peux pas les contrôler. Mais si tu t’intéresses à leur fonctionnement, tu vas avoir une meilleure connaissance et compréhension de ton environnement. Et c’est selon moi un prérequis fondamental avant d’espérer le changer.
Serait-ce un nouvel indice sur ton futur projet ? J’ai hâte de voir ce que tu nous prépares. Quant à moi, j’arrive à la fin de notre interview. Un grand merci à toi Siham pour cette belle conversation, et je te dis à très bientôt.
4 épisodes de Génération XX autour de l’écriture :
“Grandir c’est de rencontrer” : avec Lauren Bastide, créatrice du podcast La Poudre.
“Ne pas aller d’un point A à un point B” : avec Flore Vasseur, romancière et réalisatrice.
“Trouver du confort dans l’inconfort” : avec Marie Robert, philosophe et créatrice du podcast Philosophy is Sexy [cf. PWA #43].
“Passer de l’idée au projet” : un épisode spécial sur les coulisses du hors-série À l’écoute.
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Série, lecture et… action !
Normal People : On me l’a chaudement recommandée et j’ai enfin dévoré l’adaptation en série du roman de Sally Rooney. Tantôt fleur bleue tantôt pince-sans-rire, celle-ci a été saluée par la critique pour sa représentation juste de sujets — souvent mal représentés à l’écran — comme la dépression et le consentement.
Gouvernance décentralisée : C’est le principe fondateur des DAO (decentralized autonomous organizations). Mais la meilleure illustration de ce concept en application remonte bien avant la création d’Internet. Il s’agit des Alcooliques Anonymes, dont la première réunion s’est tenue en 1935, et qui se retrouve au cœur d’une belle analyse publiée par la branche éditoriale de Friends With Benefits.
Appel à candidatures : Jusqu’au 24 avril, vous pouvez postuler pour rejoindre la nouvelle promotion du programme Horizons. Lancé par l’incubateur Creatis et soutenu par le Ministère de la Culture, celui-ci vise à accélérer le développement de nouveaux projets médias autour de trois verticales : podcasts, vidéos et newsletters. Spoiler : je fais partie des intervenants pour cette dernière catégorie.
🎣 PETITES ANNONCES… Missions freelances & CDI
Pour relayer une mission freelance ou une offre en CDI : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Meilleurs Agents cherche un(e) UX Writer.
Veja recrute un(e) Community Manager Rédactionnel.
Swile recherche un(e) Creative Copywriter.
Kinetix recrute un(e) Community Manager Web3.
The Galion Project cherche un(e) Responsable Communication.
Voodoo recrute un(e) Communications & Content Associate.
Doctrine recherche un(e) Content Manager.
🗣 MEANWHILE… L’actu de la communauté
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Laetitia publie un livre sur la critique féministe de la productivité.
Valentin a fait une étude de cas sur le collectif Every.
Lauren propose d’étendre la clause de conscience à tout le monde.
Thibaut a écrit une tribune sur l’écolo-bashing.
Judith lance une pétition autour de l’invisibilisation de la fausse couche.
Louis a écrit sur les compétences à développer pour contribuer à des DAO.
DERNIÈRE CHOSE…
Publier cette nouvelle édition est un vrai soulagement, après un mois de mars assez agité de mon côté. En espérant qu’avril sera plus clément. Si vous avez des retours sur les dernières éditions et/ou des envies pour les prochains invités, prenez la plume pour m’en parler (benjamin.perrin.pro[a]gmail.com). C’est toujours un plaisir de mettre un visage ou des mots sur les personnes qui me lisent ! ✌️
May the words be with you,
Benjamin
P.S : Retrouvez toutes les newsletters précédentes dans l’archive de PWA. Et si vous avez aimé cette édition, n’hésitez pas à la partager autour de vous, ainsi qu’à vous abonner pour recevoir les suivantes par e-mail.