Aux grands mots les grands remèdes.
L’interview de cette nouvelle édition rejoint le podium des conversations les plus denses que j’ai eu le plaisir de publier. D’où un coup de balai sur les autres sections de la newsletter, disparues ou tronquées, pour mieux laisser place à la plus magique des rencontres de cette année.
Et pour cause : laissez-moi vous présenter votre nouvelle sorcière bien-aimée.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Keridwen
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de recevoir Keridwen, co-fondatrice et plume en chef d’un projet NFT qui force mon admiration : Crypto Coven. Difficile de ne pas tomber sous le charme de cet objet artistique et littéraire qui repousse les limites de la construction d’univers. Et balaye les idées reçues autour d’un écosystème souvent méconnu.
Hello Keridwen et merci beaucoup d'avoir accepté cette interview ! Tu es l'une des cinq créatrices de l'un de mes projets NFT préférés, Crypto Coven : une collection de 9 999 superbes illustrations de sorcières. En tant que Français, votre thème et approche m’évoquent les travaux d’une célèbre autrice, Mona Chollet. En 2018, elle a publié Sorcières, un essai féministe sur l'évolution de l'imaginaire autour de la sorcellerie à travers les siècles. Et je me demandais justement, quelles ont été les influences et inspirations majeures qui ont donné vie au projet Crypto Coven ?
Je ne connaissais pas cette autrice mais j'adore déjà son livre. On a choisi les sorcières parce que ce sont des figures féminines qui se caractérisent par leur indépendance. Dans de nombreux mythes et folklores, les femmes sont hélas représentées par certains archétypes que je ne trouve pas aussi inspirants : la mère, la vierge, la demoiselle, la putain. La sorcière est un cas à part. Au-delà de ses pouvoirs, c'est une personne qui n’est pas définie par ses relations avec autrui. Elle peut être absolument qui elle veut — même une créature maléfique si elle en a envie. Et ça nous fascine !
Deux de mes cofondatrices, Aletheia et Nyx, sont à l’origine de cette thématique centrale pour le projet. C'est également une réflexion collective sur ce que cela veut dire d’être une femme dans la tech aujourd'hui. Tout comme les sorcières, on refuse d’être définies par nos relations. On n’accepte pas que notre magie puisse venir de quelqu'un d'autre. Enfin, on ne veut pas s’inscrire dans un récit où notre seul but serait de servir d'autres personnes. D’où notre connexion à la sorcellerie. Dans l'histoire comme dans les récits modernes, c’est l'une des seules façons dont les femmes sont aussi explicitement considérées comme la source de leur propre pouvoir.
Quand on a commencé à construire l’univers du projet, on se sentait inspirées par un spectre assez large de personnages féminins. Ça a débouché sur une session intense de brainstorming. L’idée, c’était d’agréger toutes nos références préférées, qu’elles viennent de contes de fées, de mythes anciens, de science-fiction, de bandes dessinées, de films et séries, et bien sûr d'internet. Suite à ça, on s’est questionnées sur ce que nous évoquent tous ces personnages et comment on pourrait les regrouper en grandes catégories. C'est comme ça qu’on a défini les différents archétypes de notre collection.
On tenait donc notre fil rouge. Mais pour un projet avec autant de directions possibles, trouver sa voix n’est pas une mince affaire. C'est d’autant plus vrai dans la fantasy, où il existe de nombreuses normes dans le fond comme dans la forme. Et c'est là que j’entre en scène avec ma formation en littérature et mon amour pour le réalisme magique ! J’ai pris beaucoup de plaisir à me promener entre ces deux mondes et à incorporer des éléments empruntés à chacun d’entre eux dans le projet.
Chacune des 9 999 sorcières est composée d'une illustration, d’un nom unique, mais aussi de statistiques individuelles et d’une description personnelle. Et là où vous auriez pu vous contenter de l’esthétique visuelle de la collection pour sortir du lot, vous avez décidé de faire de l'écriture un élément central du projet. Pourquoi avez-vous choisi d’aller dans cette direction ?
La première fois que j’ai vu les illustrations, je les ai trouvées magnifiques. Alors quand Nyx m'a proposé de rejoindre l’équipe au tout début du projet, je n’aurais pas pu être plus enthousiaste. Elle cherchait une plume qui les aide à façonner des personnages qui puissent exister en dehors de leur histoire et caractéristiques. Il y a eu beaucoup de travail sur l'apparence visuelle des archétypes et sur la façon dont ceux-ci reflètent les différents types de sorcières. Mais on a voulu aller plus loin dans l’écriture pour donner vie à des personnages profonds auxquels on aurait envie de s’identifier — et pas seulement de les collectionner en tant que NFTs.
Nyx voulait que chaque sorcière ait sa propre description afin que quiconque puisse se faire une idée de qui elle est. L’idée fondamentale derrière Crypto Coven, c'est une puissante volonté de créer une expérience de construction d’univers décentralisée. Pour cela, il nous a fallu donner une base à notre communauté afin que celle-ci sache par où commencer pour créer à son tour des histoires et lancer des projets. C’est pourquoi au-delà de son illustration, chaque sorcière a un nom, un signe astrologique, une personnalité et une description.
Autant dire que ça fait beaucoup de textes pour une collection de 9 999 sorcières ! J'ai lu que vous aviez trouvé le tour de magie parfait en passant par le générateur de langage d'OpenAI, GPT-3. Peux-tu m'en dire plus sur la façon dont tu as approché cette forme d'écriture assistée par intelligence artificielle ?
Quand Aradia n’a parlé de GPT-3, je n’étais pas du tout familière du sujet. N’ayant aucune formation technique, je n'avais aucune idée de comment un générateur de langage pouvait fonctionner. Reste que mes cofondatrices ont bien fait de m’encourager à expérimenter avec cette IA. Sans ça, je n’aurais jamais pu réussir à produire autant de descriptions en aussi peu de temps.
Et à ma grande surprise, mes expérimentations ont eu une certaine influence sur la construction de la voix du projet. J’avais envie d’un style d'écriture qui emprunte au registre mythique et à l’épique. Je voulais aussi jouer avec une grammaire et des mots étranges, un langage assez soutenu, des anachronismes, et aussi une pointe d’ironie.
Alors pour parvenir à ces 9 999 descriptions uniques, j'ai tout d’abord créé une structure de texte composée de cinq types de phrases. Chacune d'entre elles était construite autour d'un élément spécifique : l’archétype de la sorcière, ses loisirs, l'origine de sa magie, sa place dans son archétype, ainsi qu’une devise personnelle.
L’idée était ensuite d’utiliser GPT-3 comme un outil d’association libre : je l’alimentais avec des mots, il m'en redonnait d'autres, et j’itérais à partir de ça. Les résultats étaient souvent très surprenants — pour le meilleur et pour le pire (rires). Dis-toi que le programme est même allé jusqu'à écrire sa propre fiction à partir de mots que je lui avais donnés !
Avais-tu certaines réticences ou idées reçues sur le fait d’utiliser une IA pour un projet d’écriture ?
Comme beaucoup de personnes, j’avais peur que ce genre d’IA puisse un jour automatiser mon métier et me fasse perdre mon emploi. Mais quand j'ai commencé à tester GPT-3, cette crainte s'est rapidement dissipée. Et pourtant, les résultats que j’obtenais étaient juste incroyables. Certes, l’IA ne pouvait pas vraiment reproduire mon travail à l'échelle. Mais elle avait cette façon à la fois étrange et inspirante de l’imiter et de rebondir sur ce que je lui proposais.
En me familiarisant avec le programme, je me suis dit qu'il avait le potentiel d'être davantage un allié qu'un ennemi pour moi — et pour les auteurs en général. Et quand j'ai compris ce qu'il attendait de moi, ça avait des airs de magie. Aletheia s’est même mise à l'appeler mon “familier digital” en référence au lien qu'une sorcière établit avec un animal pour faciliter sa magie.
Reste que je me suis inquiétée de la façon dont GPT-3 pourrait “cannibaliser” le travail d’autres personnes. Souvent, le résultat généré est suffisamment aléatoire pour penser qu'il l'a inventé tout seul. Mais il m’est parfois arrivé de retrouver un paragraphe entier issu d’un site personnel. Je me souviens notamment de ce qui avait tout l’air d’être la bio d'une blogueuse en astrologie. Je me suis demandée si cette femme avait consenti à ce que son travail puisse figurer dans les résultats d’un générateur de langage comme GPT-3.
Tout ça pour dire que je ne me suis pas toujours sentie très à l’aise sur le volet propriété intellectuelle. Et même si le blog de cette personne est dans le domaine public, je ne veux pas recevoir de textes issus de son travail — y compris quand il ne s’agit “que” de quelques phrases de sa bio. Alors dès que j’avais un doute sur un résultat, je le rejetais automatiquement et passais au suivant.
GPT-3 a depuis peu son alter ego : DALL·E 2, une IA [toujours développée par OpenAI] qui permet cette fois-ci de générer des images impressionnantes à partir de textes descriptifs. Que t’inspirent les perspectives infinies de création permises par un tel programme ?
L'art génératif est dans notre radar pour l'avenir de Crypto Coven. Avoir créé autant de caractéristiques pour nos NFTs fait qu’on a beaucoup de variables exploitables pour un algorithme. Par exemple, j’ai créé un personnage de narratrice pour notre site. Celle-ci intervient notamment dans certaines de nos expériences interactives comme notre jeu de cartes Memoria. Elle va te parler de ton archétype en tant que sorcière, de l'origine de ta magie, et va même jusqu’à te taquiner si ton score de sagesse est bas (rires). On réfléchit en permanence à de nouvelles idées de personnalisation basées sur les nombreuses caractéristiques contenues dans nos NFTs.
Maintenant, comment rendre notre univers toujours plus immersif ? Et comment faire de nos NFTs la clé de cette immersion ? Aujourd’hui, ta sorcière est l’élément central de ton expérience — et ce, pour chacune de tes interactions avec notre univers. Comme pour un jeu vidéo, on veut que tes choix aient un impact sur leur résultat. C'est une réflexion qu’on a en ce moment même pour des projets qui te permettront d’obtenir des créations visuelles basées sur de l’art génératif.
Reste que les résultats de DALL·E 2 me préoccupent de la même façon que GPT-3. D’où vient exactement cet art génératif ? À qui ces créations sont-elles “empruntées” ? Et dans quelle mesure les artistes concernés sont-ils au courant ? Qui plus est, je trouve que la création d’art génératif est très différente de l'écriture assistée par IA. Avec GPT-3, je pouvais garder un seul mot et éliminer tous les autres afin de créer quelque chose de nouveau. Mais ce n'est pas aussi interchangeable avec DALL·E 2, dans le sens où l’art visuel n’est pas aussi facile à éditer que l'écriture. Reste que j'ai vu certains artistes mettre leurs propres œuvres dans DALL·E 2 afin d’obtenir un résultat généré par la machine et inspirer de nouvelles créations.
Oui, j’imagine que DALL-E peut aider des artistes à étendre leur univers créatif dans des directions auxquelles ils n’avaient pas forcément pensé. Ça m’évoque un terme central pour Crypto Coven : le lore. D’ailleurs, je ne trouve pas de terme en français qui colle véritablement à son utilisation moderne. Ce qui m’amène à te demander, comment définirais-tu le lore ? Et comment abordes-tu ce concept au sein de Crypto Coven ?
J'aime penser au concept de lore comme un chemin narratif vers la construction d’univers [ou worldbuilding]. Ce n’est pas seulement un wiki tentaculaire qui a pour fonction de te renseigner sur tout ce qu’il y a à savoir d’un univers donné. Dans mon esprit, le lore est plus axé sur la narration : il se construit sur la base d’écrits partagés, d'expériences vécues et de toute la culture existante autour d’une création. Pour te donner une image, ça va plus ressembler à des contes populaires partagés autour d'un feu de bois qu’aux archives d’une bibliothèque.
Pour un projet à venir qui s'appelle The Narrator's Hut, j'ai écrit des histoires sur des sorcières célèbres qui ont existé bien avant l’ère des personnages de la collection. Les membres de notre communauté pourront bientôt entrer dans la maison de la Narratrice [depuis notre site] et découvrir des artefacts qui contiennent des fragments d’histoires du passé. Nyx aime comparer ces objets magiques à des coquillages que l’on porte à l’oreille pour entendre des récits. La Narratrice aurait le rôle de guide vers le passé de notre univers. Par comparaison, notre Tree of Echoes réunit les histoires du présent, avec notamment des récits que des membres de notre communauté ont écrit suite à un concours de fictions.
Pour nous, le lore a donc une valeur rétrospective, dans le sens où il dicte le passé de notre univers. Ceci dit, il n’est pas prescriptif vis-à-vis de son avenir. Et pour cause : construire un univers décentralisé nécessite d'ouvrir les portes de notre univers et d'encourager la communauté à écrire la suite de l’histoire avec nous. Ce qui amène forcément son lot d’interrogations. Comment concilier un passé narratif prédéfini et un futur narratif qu’on ne maîtrise pas entièrement ? Et comment s'assurer que ce dernier soit cohérent ?
Quand j'enseignais la fiction, je disais souvent à mes étudiants que les lecteurs de littérature fantastique ont besoin de cohérence interne. Les inconditionnels chercheront toujours à avoir un niveau de détails supérieur à ce que peuvent attendre des lecteurs de fiction plus réaliste. Quand on ouvre les portes d’un monde inconnu, il faut veiller à ce que celles et ceux qui le découvrent puissent y trouver leur place. Avec Crypto Coven, nous n'en sommes qu'aux prémisses de la construction de notre univers. Et sur ce sujet, je préfère avancer doucement plutôt que de me précipiter. Prendre notre temps nous permet aussi de jouer sur le mystère, qui fait partie intégrante de notre identité.
Comment votre approche des concepts de lore et de construction d’univers se traduit-elle dans votre communauté ? À noter que j'attends moi aussi un niveau de détails supérieur ici (rires). Dans de nombreux projets NFT, la communauté est plus souvent un buzzword qu’un véritable pilier. C’est pourquoi j’aimerais beaucoup que tu me donnes quelques exemples de créations de la part de vos membres.
C'est l'un de mes sujets de discussion préférés ! On a emprunté une règle aux créateurs de Forgotten Runes : “lore, not floor” [traduction approximative : “la culture plutôt que l’argent”]. Quand on construit une communauté, il me semble essentiel d'être très clair sur ce que l’on veut, mais aussi (et surtout !) sur ce que l’on ne veut pas. Et même si on est infiniment reconnaissantes que nos membres aient pu dépenser une certaine somme pour acquérir une de nos NFTs, on aspire à créer une communauté fondée sur l'écriture, l'art, la féminité, l'étrange… mais pas sur le trading.
On a donc très vite fixé des limites pour déterminer ce qu’on accepterait ou non dans des espaces de discussions — comme dans notre Discord. Xuannu avait longtemps observé d’autres communautés et savait que ces règles devaient être mises en place le plus tôt possible pour pouvoir démarrer sur des bases solides. Et pour cause : une expérience de construction d’univers décentralisée nécessite impérativement de mettre la communauté au cœur du projet. Et je suis très heureuse que nos efforts aient porté leurs fruits.
Aujourd'hui, nous avons des membres incroyables qui sont ici parce qu'ils aiment l'art, les contes, la sorcellerie et les jeux de rôle. Avant même la sortie de la collection en NFTs, on avait organisé un concours au sein de la communauté. Les tout premiers membres de notre Discord pouvaient nous proposer leurs moodboards avec des idées de visuels et de textes pour les descriptions. Et il s’avère qu’on en a intégré pas mal dans la collection ! À vrai dire, certaines de mes caractéristiques visuelles et descriptions préférées viennent de membres de la communauté. Il y a également deux initiatives au sein de la communauté qui ont eu un impact significatif sur notre lore. Toutes deux sont parties de besoins réels qui se sont traduits en récits.
Le premier exemple est lié à la nature même de Discord : tout disparaît très vite et la gestion d’une base de savoirs est assez compliquée. On avait un certain nombre d’experts de tous horizons qui partageaient leurs connaissances, mais aucun moyen de tout rassembler efficacement. L'un des membres de notre communauté [Kagami] a spontanément créé une page Notion pour réunir toutes les ressources et informations autour du projet, comme les interviews et enregistrements de nos Twitter Spaces. Mais surtout, il s'est nommé conservateur de la bibliothèque et a associé ce rôle à l’identité de sa sorcière. Des volontaires l’ont rejoint par la suite en tant que bibliothécaires pour mettre leurs domaines d'expertise au service de la communauté.
Le deuxième exemple est celui de notre agence de détectives. Là encore, tout a commencé par un besoin très spécifique de la communauté. Certains membres avaient flashé sur la sorcière de leurs rêves au sein de la collection, mais ne savaient pas comment contacter leur propriétaire pour faire une offre d’achat. Jusqu’à ce qu’un membre de notre Discord [OldKing] prenne les devants et commence à enquêter entre Twitter et Etherscan pour trouver un moyen d’entrer en contact avec les personnes en question. Non seulement ça a marché plus d’une fois, mais en plus l'équipe de détectives s'est agrandie. Aujourd'hui, l'agence fait partie intégrante de notre lore, avec des histoires dignes de polars publiées sur notre site. Et je trouve ça fascinant de voir la communauté créer ses propres récits au sein de notre univers. Pour un projet comme le nôtre, ça vaut tout l’or du monde.
Depuis quelques mois, l’écosystème NFT connaît son tout premier bear market (ou marché baissier). Ça n’a pas manqué de renforcer certaines convictions largement partagées en dehors du milieu, telles que “les cryptos sont des pyramides de Ponzi” ou “les NFT ne sont qu'une mode”. En tant que créatrice dont la vie a changé grâce à Web3, que réponds-tu généralement à ça ?
On dit souvent que Crypto Coven est un projet “show, don't tell”. On ne promet pas la lune pour mieux dépasser les attentes. C’est pourquoi on a choisi volontairement d’opter pour une roadmap très succincte. Car si on entend aussi souvent des gens crier à l’arnaque, c’est aussi parce que des créateurs font des promesses grandioses qu’ils ne pourront pas tenir. Pour nous, il était hors de question d’aller dans cette direction.
Crypto Coven, c’est un projet qui fait la part belle à l’amour de l'art, à la création d’histoires et à la construction d’une communauté. On est en train de construire un univers avec lequel on pourra bientôt interagir — pas seulement dans le texte mais aussi sur une carte. On a également prévu de faire une deuxième collection de NFTs plus abordables et accessibles. Pourquoi parler de simple effet de mode alors qu’on est là à écrire et à construire main dans la main avec notre communauté ?
Enfin, tu as raison : rejoindre le projet Crypto Coven a profondément changé ma vie et ma trajectoire en tant que plume. Et il faut garder en tête que les exemples de critiques que tu as mentionnées viennent souvent de personnes qui jugent les projets NFTs uniquement sur le volet financier — et ne prennent donc pas en compte leurs dimensions artistiques, narratives et communautaires.
Tu imagines bien que ça m’est déjà arrivé de me retrouver face à de tels discours dans ma vie personnelle. J’y ai tout simplement répondu en montrant ce qu’on fait. J'ai montré à ces personnes la beauté de nos illustrations, je les ai invitées à lire nos textes, je leur ai présenté l’organisation de notre Discord. Ça me semble essentiel de montrer son travail aux autres pour qu’ils le comprennent — et in fine puissent changer d’avis sur le sujet.
Je voulais revenir avec toi sur l’une des particularités de votre équipe fondatrice. Vous avez toutes les cinq choisi de rester anonymes et d'associer vos identités respectives à vos sorcières. Bien sûr, ça contribue à l'aura de mystère qui entoure votre projet. Mais en tant que créatrices au sein d'un écosystème très masculin, j’imagine surtout que c’est pour votre propre sécurité. Ce que je me demandais, c’est dans quelle mesure travailler sous un pseudonyme a pu changer ton expérience personnelle d’internet ?
Tu as tout à fait raison : entretenir le mystère fait partie intégrante de notre choix, mais on a avant tout pensé à notre sécurité en tant que femmes. Reste qu’on ne se serait pas doutées de l’impact de ce choix sur notre degré d’immersion dans notre univers, mais aussi celui de notre communauté.
On a créé les sorcières de la collection comme des personnages à part entière. L’idée, c’est que les membres de la communauté puissent eux aussi les incarner. C’est ce qu’on a fait en liant notre identité à celle de nos sorcières. Et on a été surprises de voir que ce choix collectif d’utiliser un pseudonyme a pu encourager de nombreux membres de notre communauté à nous imiter. C'était déjà génial de voir des gens mettre leur NFT en photo de profil sur Twitter et Discord, mais ça a été encore plus incroyable de les voir incarner leur personnage dans leurs interactions sur ces réseaux.
Et si un certain nombre de membres de notre communauté sont devenus des amis proches, je ne les connais pas forcément au-delà leur identité de sorcière. On a récemment organisé nos premiers événements physiques autour de la conférence annuelle NFT NYC. Pour l’occasion, j’ai choisi de me déguiser en reprenant les traits de ma sorcière. Et ça a été vraiment magique de rencontrer les membres de notre communauté en chair et en os — certaines elles aussi déguisée — et de prolonger cette expérience immersive en incarnant son propre personnage.
Vu de l’extérieur, Web3 peut sembler difficile d’accès voire intimidant — en particulier quand on n'est pas ingénieur ou artiste visuel. Que recommanderais-tu à des plumes qui s'intéressent de loin à l'écosystème mais ne savent pas comment faire leurs premiers pas ?
J’ai envie de commencer par dire qu’ils sont non seulement les bienvenus, mais en plus que l’écosystème a besoin d’eux. Nyx m'a un jour dit que la technologie n'est que de la technologie jusqu'à ce que quelqu'un en fasse un truc cool. C'était juste avant que je rejoigne le projet et ça a changé quelque chose en moi. Les NFTs ont certes un volet technologique qui doit être fascinant pour les ingénieurs. Mais pour tous les autres, il y a aussi de quoi être passionné par tout ce que cette technologie permet de créer, distribuer et monétiser différemment : peintures, histoires, poésies, et j’en passe.
Les artistes n’ont pas besoin de comprendre le fonctionnement de cette technologie de A à Z pour pouvoir se l’approprier et expérimenter à leur façon. Ce qui fait qu’ils ont tout à fait leur place dans cet environnement. Avec Crypto Coven, j’ai intégré cet écosystème en rejoignant une équipe pluridisciplinaire. C'est une expérience qui a changé ma vie et que je recommande à quiconque — à condition d’avoir la possibilité de s’entourer d’autres profils créatifs et techniques, bien sûr.
Et pour les personnes plus solitaires, de nombreux créateurs ont ouvert la voie. Par exemple, l'une des membres de notre communauté [Amac] écrit des poèmes dans le désert et les associe à des peintures miniatures, qu’elle distribue au format NFT. Les recettes lui ont d’ailleurs permis de financer la publication de son premier livre. Et elle fait tout toute seule ! L’existence de nombreux outils accessibles aux créateurs solo est aussi le résultat d’un écosystème qui gagne en maturité. Se lancer n’est donc pas aussi inaccessible qu’il n’y paraît.
Pour finir, on fait en sorte d’être aussi transparentes que possible dans notre processus de création avec Crypto Coven. On veut montrer ce qu’on fait et comment on s’y prend, notamment aux femmes et à d’autres catégories marginalisées, le tout afin de les encourager à se lancer.
Ce dernier point me rappelle ma conversation avec Dame [cf. PWA #42], que j’avais reçu dans la newsletter il y a tout juste un an. Il m’avait notamment parlé de l’enjeu pour les personnes sous-représentées dans l’industrie tech de revendiquer leur place dans Web3. Et je voulais finir par ça : quel impact du projet t’a rendue particulièrement fière d’avoir contribué à la création de Crypto Coven ?
On aime beaucoup Dame, qui a fait partie de nos premiers fans ! Si on revient un an en arrière, l'écosystème avait une esthétique très masculine et n’était donc pas spécialement accueillant pour tout le monde. De nombreuses femmes nous ont dit que Crypto Coven a marqué leur premier achat de NFT, précisément parce que c’était la première collection qui leur ressemblait. Et je suis vraiment reconnaissante du gain en maturité de l’écosystème sur ce point depuis qu’on s’est lancées. Il y a maintenant de nombreux projets merveilleux qui mettent à l’honneur des femmes, le tout avec un spectre plus large de couleurs de peaux.
Enfin sur une note plus personnelle, j'ai été très heureuse d'apprendre de la part de membres de la communauté que le projet les avait incités à reprendre la plume. Au moment de notre concours de fictions, plusieurs personnes m'ont contactée pour me dire qu’elles n’avaient pas écrit depuis leur adolescence. Je suis donc fière d'avoir pu contribuer à créer un espace où les gens se sentent à la fois bienvenus et inspirés. Entendre des réactions aussi enthousiastes de la part de la communauté est sans aucun doute ce qu’il y a pour moi de plus magique dans notre aventure.
Je ne pouvais pas imaginer meilleure conclusion ! Merci beaucoup Keridwen pour cette conversation aussi profonde. Je suis ravi d’avoir pu aborder autant de sujets passionnants avec toi et j’ai encore plus hâte de savoir ce que vous nous réservez pour la suite avec Crypto Coven. Je te dis à bientôt !
4 interviews de PWA pour aller plus loin :
PWA #48 avec Kyle Chayka : sur la construction d’un média avec des NFTs.
PWA #45 avec Fadeke Adegbuyi : sur la culture internet et l’anonymat en ligne.
PWA #38 avec Patrick Rivera : sur les fondamentaux de Web3.
PWA #32 avec Aliens & les Garçons : sur un projet atypique de science-fiction.
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Avec d’autres ingrédients magiques au menu !
Voyage aux Confins de l’Esprit : Recommandé par Anne-Laure Le Cunff dans la toute première édition de la newsletter, le livre génial de Michael Pollan vient d’être adapté en mini-série sur Netflix. Au programme : retour sur l’histoire mouvementée des psychédéliques et leurs applications prometteuses sur la santé mentale.
Split : Êtes-vous la même personne sur Internet que dans la vie réelle ? C’est tout l’objet de cet article de Jason Levin sur les différences de personnalités entre la toile et la rue. Pensez-y la prochaine fois qu’on vous demande où vous vous situez entre introversion et extraversion.
🗣 MEANWHILE… L’actu de la communauté
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Pauline adapte Les Liaisons Dangereuses en newsletter.
Sebastien a réalisé un court-métrage sur l’île de Bréhat.
Myriam a créé son studio de rédaction de biographies, Milim.
Victor a transposé ses récits d’aventure au format newsletter.
Louise a publié une chronique d’histoires d’amour parisiennes.
DERNIÈRE CHOSE…
La prochaine édition de PWA marquera le troisième anniversaire de la newsletter. 🎊
Mais qui sera l’invité d’honneur pour marquer le coup ? Trouver cette personne sera mon grand défi du mois d’août. D’ici là, suspense et surtout…
May the words be with you,
Benjamin
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