Changer de rythme de publication Ă©tait devenu une nĂ©cessitĂ©. Et câest probablement lâune de mes meilleures dĂ©cisions prises cette annĂ©e. Cela mâa permis de mâessayer Ă de nouveaux projets â collectifs et musicaux, je vous en reparlerai sĂ»rement bientĂŽt. Mais surtout, cela me donne plus dâamplitude dans la sĂ©lection de mes sujets et invitĂ©s. Vous devriez en avoir un bel aperçu avec cette nouvelle Ă©dition.
Lâinterview du jour vole dans le sillage de la prĂ©cĂ©dente, avec une plume qui dĂ©nonce mais jamais ne renonce. Câest lâhistoire dâun combat juste face Ă des institutions vĂ©tustes, lâexpression dâune colĂšre contre un carcan dĂ©lĂ©tĂšre, le rĂ©cit dâune peur qui doit changer de camp. Et pour cause : cette nouvelle Ă©dition a pour thĂšme un mal auquel vous avez peut-ĂȘtre (sans doute) dĂ©jĂ Ă©tĂ© exposĂ©s. Le harcĂšlement.
Bonne lecture Ă vous,
Benjamin
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đ INTERVIEWâŠÂ Anne Boistard (Balance Ton Agency)
Ă chaque newsletter, je vous propose de dĂ©couvrir le portrait et les idĂ©es de vĂ©ritables plumes âWith Attitudeâ. Aujourdâhui, jâai le plaisir de recevoir Anne Boistard, qui est Ă lâorigine de Balance Ton Agency, un compte Instagram qui dĂ©nonce les abus et violences au sein du monde de la publicitĂ©. Cinq ans aprĂšs #metoo et deux ans aprĂšs la crĂ©ation de BTA, je nâaurais pas pu trouver meilleur timing pour cette interview plus que jamais dâactualitĂ©.
Hello Anne et merci dâavoir rĂ©pondu Ă lâinvitation ! Je suis trĂšs heureux de te recevoir en interview aujourdâhui. Pour commencer, je voudrais revenir sur le contexte dans lequel tu as lancĂ© Balance Ton Agency [BTA]. Ăa fait deux ans que tu dĂ©nonces les nombreuses dĂ©rives en agence de publicitĂ© : un milieu dans lequel un certain nombre de personnes (en majoritĂ© des hommes) se permettent absolument tout et nâimporte quoi. Sur ton compte Instagram, tu relates des cas de sexisme, de racisme, dâabus de pouvoir, ou encore de harcĂšlement sexuel â le tout dans des structures oĂč tout le monde est au courant mais oĂč personne ne dit rien. Comment peut-on en arriver lĂ dans une entreprise ?
Le secteur de la publiciteÌ reste encore aujourdâhui majoritairement dirigĂ© par des hommes. Comme ça fait des dĂ©cennies quâils sont au sommet de la hiĂ©rarchie, certains se comportent comme sâils Ă©taient au-dessus des lois. Non seulement ils continuent de se permettre des paroles et gestes quâon ne remettait pas forcĂ©ment en question auparavant, mais en plus ils le font en toute impunitĂ© au sein de leurs agences.
Ajoute à ça une proximitĂ© avec des sphĂšres de pouvoir et dâinfluence, des horaires qui finissent souvent assez tard (les fameuses âcharrettesâ), ainsi qu'une certaine culture de la fĂȘte, de lâalcool et de diverses drogues. Le rĂ©sultat est un cadre particuliĂšrement propice aux abus â qui peuvent aller jusquâĂ des cas de viol sur le lieu de travail.
Ces spĂ©cificitĂ©s ont leur importance, car les problĂšmes ne sont pas les mĂȘmes partout. Dans le milieu de lâentrepreneuriat par exemple, il y a une initiative similaire Ă ce que je fais qui sâappelle Balance Ta Startup. Et mĂȘme si câest encore un secteur dominĂ© par les hommes, les profils quâon y retrouve sont diffĂ©rents. Ce sont souvent des entrepreneurs et employĂ©s assez jeunes â parfois tout juste diplĂŽmĂ©s â qui lĂšvent des millions et sont Ă la tĂȘte dâentreprises qui grandissent trĂšs (trop) vite.
Ce nâest donc pas tout Ă fait le mĂȘme rapport au pouvoir et Ă lâargent que dans une industrie plus Ă©tablie comme la publicitĂ©. Dâailleurs, il y a davantage de harcĂšlement moral que sexuel en start-up â mĂȘme si ça existe, bien sĂ»r. La toxicitĂ© de certaines boĂźtes vient plus souvent du fait que de nombreux dirigeants nĂ©gligent ou nâarrivent pas Ă gĂ©rer lâhumain. Mais pour moi, cela nâest pas comparable au climat dâomerta et dâimpunitĂ© qui rĂšgne dans le milieu de la publicitĂ©.
Tu prĂ©cises aussi quâen agence, les abus sont traditionnellement passĂ©s sous silence. Les victimes dĂ©missionnent, les collĂšgues se taisent, mais les bourreaux restent. Avec BTA, tu as justement dĂ©cidĂ© de renverser ce statu quo et de braquer les projecteurs sur tous les problĂšmes du secteur. Et on ne va pas se mentir, jâimagine que tu te doutais bien que ça allait ĂȘtre un combat Ă la David contre Goliath. Comment as-tu trouvĂ© le courage de te lancer seule dans lâarĂšne ?
HonnĂȘtement, je n'avais aucune ideÌe de l'ampleur que ça allait prendre. Si jâavais su, je n'aurais peut-ĂȘtre jamais commencĂ©. Et pour cause : je sortais tout juste dâun violent burn-out Ă la suite duquel je ne mangeais plus et ne parlais plus. Autant dire que lancer un compte Instagram viral Ă©tait hors de propos dans ce contexte.
Reste que jâavais Ă©tĂ© victime de harcĂšlement moral et tĂ©moin de harcĂšlement sexuel en agence. Jâai dâailleurs moi-mĂȘme longtemps gardĂ© le silence. Il faut dire que câest un petit milieu oĂč tout le monde se connaĂźt et on a tous peur de voir sa carriĂšre sâarrĂȘter si on en vient Ă parler. Et quand tu as fini tes Ă©tudes et que tu en as bavĂ© pour trouver un job en CDI, tu nâas pas envie de te reconvertir Ă 25 ans juste parce que tu as osĂ© dire tout haut ce qui nâallait pas dans une boĂźte. Jâai donc commencĂ© BTA avec le seul moyen que jâavais Ă ma disposition pour me protĂ©ger : lâanonymat.
Je voulais surtout que chaque victime puisse sâidentifier Ă ce combat. Il nâĂ©tait donc pas question que je devienne sa figure de proue. Jâai rĂ©ussi Ă rester anonyme pendant un an, avant dâĂȘtre contrainte dây renoncer. Ătant passĂ©e par lĂ , je comprends donc entiĂšrement que les personnes qui dĂ©noncent leur employeur sur BTA prĂ©fĂšrent garder lâanonymat. Ceci dit, jâespĂšre quâĂ lâavenir on aura moins de difficultĂ©s Ă tĂ©moigner Ă visage dĂ©couvert â comme lâont fait les victimes de PPDA en couverture de LibĂ©ration lâan dernier. Je trouve ça important de montrer que les rapports de force sâinversent et que la peur a changĂ© de camp.
Justement, je voulais te demander ce quâil en est vraiment. Peut-on aujourdâhui dire objectivement que la peur a changĂ© de camp ?
Comme pour le mouvement #metoo au global, un jour on a lâimpression dâavancer⊠pour mieux reculer le lendemain. On parle souvent de libeÌration de la parole, mais encore faut-il que celle-ci soit crue, ou mĂȘme Ă©coutĂ©e. Que ce soit en agence de pub ou ailleurs, câest un phĂ©nomĂšne systĂ©mique qui prend du temps.
LâactualitĂ© politique du moment nous rappelle dâailleurs que le gouvernement n'est pas du tout exemplaire aÌ ce niveau. Car si les ministres eux-mĂȘmes passent Ă travers les mailles du filet, alors comment peut-on espĂ©rer lutter ailleurs contre lâimpunité ? Il devrait y avoir un vĂ©ritable devoir dâexemplaritĂ© de la part du gouvernement. HĂ©las, on lâattend toujours.
Reste que notre laxisme vis-Ă -vis du harcĂšlement est aussi liĂ© Ă la culture franco-française. Aux Ătats-Unis, les victimes sont davantage crues et les rĂ©ponses sont Ă©galement plus directes. Quand un homme est accusĂ© dâavoir mis une main aux fesses Ă sa collĂšgue Ă la machine Ă cafĂ©, il fait ses cartons dans la journĂ©e. En France, câest encore loin dâĂȘtre le cas.
Il y a tout de meÌme une certaine ironie dans le fait que ces deÌrives ont libre cours dans des entreprises dont le cĆur de mĂ©tier est la communication et la gestion de la reÌputation. Y-a-t-il selon toi une correÌlation entre les comportements deÌnonceÌs en agence et la publicitĂ© en elle-mĂȘme ?
On dit toujours que les cordonniers sont les plus mal chausseÌs. La publicitĂ© nâest pas Ă©pargnĂ©e â et la politique non plus. Lâaffaire Quatennens est un exemple flagrant de cette hypocrisie autour dâun double discours qui prĂŽne lâexemplaritĂ© sans pour autant se lâappliquer Ă soi-mĂȘme.
Et si les agences comme les politiques sont censĂ©s exceller en communication de crise, alors pourquoi gĂšrent-ils aussi mal leurs problĂšmes en interne ? Dâautant plus que les solutions Ă apporter relĂšvent davantage du bon sens que de lâexpertise. Câest mĂȘme plus trivial que ça : il suffit dâappliquer le droit du travail et de respecter les ĂȘtres humains qui Ă©voluent dans ces structures. Avec BTA, je ne fais que dire tout haut ce que tout le monde sait dĂ©jĂ . Et si des agences que jâai pu dĂ©noncer ont pris des mesures en consĂ©quence, dâautres nâont rien fait du tout, et certaines ont eu pour seule rĂ©ponse de mâattaquer en justice pour diffamation.
Autre exemple de rĂ©action qui me dĂ©passe : certaines organisations continuent Ă remettre des prix Ă des personnalitĂ©s ou entreprises qui viennent de se faire Ă©pingler. Jâai eu le cas il y a quelques jours avec Renault qui a Ă©tĂ© Ă©lu annonceur de lâannĂ©e par le Club des DA [Directeurs Artistiques] alors quâils ont eu une centaine de tĂ©moignages contre eux cette annĂ©e.
Les journalistes de presse spĂ©cialisĂ©e ont donc eux aussi leur part de responsabilitĂ©. Câest juste hallucinant de voir des hommes se faire encenser dans des mĂ©dias quelques mois seulement aprĂšs avoir Ă©tĂ© accusĂ© de harcĂšlement dans une enquĂȘte MĂ©diapart. Câest trĂšs dĂ©stabilisant et je tâavoue que jâai parfois lâimpression de dĂ©noncer dans le vide. Pour autant, il ne faut pas baisser les bras et continuer Ă y croire.
Ă cĂŽtĂ© de ces dĂ©ceptions, jâimagine que tu as aussi eu ton lot de victoires.
Aussi Ă©tonnant que ça puisse paraĂźtre, jâai dĂ©jĂ reçu plusieurs fois des messages de dirigeants qui m'ont remerciĂ© de les avoir dĂ©noncĂ©s. Je pense notamment Ă ce fondateur dâagence qui a dit en interview sur CB News que BTA lui a permis de revoir toute son organisation interne. Dâautres mâont remerciĂ© de les avoir aidĂ©s Ă mettre en lumieÌre des choses dont ils n'avaient pas forceÌment conscience. Et ça peut ĂȘtre aussi innocent â en apparence â quâappeler ses employĂ©s âmes chatonsâ.
Reste que tout le monde nâa pas la mĂȘme dĂ©finition de ce qui est appropriĂ© ou non. Il y a quelques semaines, jâai publiĂ© au sujet dâune agence strasbourgeoise qui invitait ses clients Ă des soirĂ©es dĂ©guisĂ©es sur une thĂ©matique BDSM â et dont les photos se sont retrouvĂ©es sur sa page Instagram. Ăvidemment, on mâa reprochĂ© dâĂȘtre rabat-joie. On mâa mĂȘme assurĂ© quâil y avait une ambiance âbon enfantâ, ainsi quâun vĂ©ritable âesprit de familleâ dans cette entreprise.
Perso, jâai du mal Ă imaginer que tout le monde puisse se sentir Ă lâaise dans ce genre de soirĂ©e âcorpoâ.
La pub a cette image assez dĂ©calĂ©e et festive qui attire les jeunes actifs. Câest un milieu qui emploie Ă©galement beaucoup de stagiaires et alternants. Pour autant, sont-ils consultĂ©s dans lâorganisation de ce genre dâĂ©vĂ©nements ? Sont-ils vĂ©ritablement en position de donner leur avis sincĂšre, ou mĂȘme de refuser dây participer ?
Au final, ils se retrouvent en photo sur lâInsta de leur boĂźte dans des tenues gĂȘnantes, entourĂ©s de poupĂ©es gonflables et de leurs boss torses nus. SĂ©rieusement, qui a envie de ça ? Et il ne sâagit lĂ pas de faire la brigade des mĆurs. Câest juste quâĂ partir du moment oĂč la soirĂ©e est organisĂ©e par ton patron, ton consentement va forcĂ©ment ĂȘtre biaisĂ© et ça peut ĂȘtre difficile voire risquĂ© de dire non.
Ăa illustre trĂšs bien ce que tu disais sur le fait que certaines agences ont un terreau particuliĂšrement propice aux dĂ©rives. Dâailleurs, jâimagine que le harcĂšlement peut ĂȘtre si imprĂ©gnĂ© dans la culture dâune entreprise quâon finit par ne plus le distinguer â et donc ne plus le dĂ©noncer. As-tu une mĂ©thode pour pouvoir qualifier une situation de harcĂšlement sans le moindre doute ?
Jâai fait plusieurs lives Insta avec Elise Fabing, qui est une avocate spĂ©cialiste du droit du travail. On fait pas mal dâĂ©ducation sur le sujet Ă base de vulgarisation. Face au harcĂšlement, le droit est une vĂ©ritable arme pour pouvoir se dĂ©fendre. ConnaĂźtre sa dĂ©finition est donc une premiĂšre Ă©tape indispensable pour y faire face.
Le harcĂšlement se caractĂ©rise par la rĂ©pĂ©tition de propos et de comportements ayant pour but ou effet une dĂ©gradation des conditions de vie de la victime. Le rĂ©sultat, câest une atteinte Ă ses droits et Ă sa dignitĂ©. Cela peut mener Ă une altĂ©ration de sa santĂ© physique et mentale, ou encore constituer une menace Ă son Ă©volution professionnelle.
Il existe différentes formes de harcÚlement qui peuvent se manifester par des réflexions déplacées, des insultes, des appels ou messages intempestifs, du chantage, des menaces de licenciements ou de mise au placard, et évidemment des violences physiques ou sexuelles.
Ă partir de lĂ , tu imagines bien que certaines formes de harcĂšlement sont plus difficiles que dâautres Ă prouver. DâoĂč lâenjeu de chercher Ă susciter lâĂ©crit au maximum. Quand on subit des violences Ă lâoral, je conseille toujours dâenvoyer un message Ă ses collĂšgues pour confirmer quâils ont bien entendu la mĂȘme chose. Lâair de rien, ça permet dâaccumuler des preuves Ă©crites qui seront des informations clĂ©s dans le cadre dâun Ă©ventuel procĂšs.
Aujourdâhui, ça passe souvent par des groupes Whatsapp entre collĂšgues â ce qui reprĂ©sente Ă la fois le meilleur alliĂ© des victimes et le pire cauchemar des entreprises. Je prĂ©conise mĂȘme dâenregistrer des conversations Ă lâoral. MĂȘme si câest illĂ©gal, il faut savoir que ça reste recevable au pĂ©nal.
Je note que tu ne recommandes pas immĂ©diatement le recours Ă BTA. Ce qui mâamĂšne Ă te demander : Ă quel moment en vient-on Ă âbalancerâ son employeur ?
Sans te mentir, on mâa envoyĂ© Ă plusieurs reprises des contrats de travail oĂč il est Ă©crit noir sur blanc de ne pas parler Ă BTA. Reste que câest bien beau de vouloir protĂ©ger lâimage de son entreprise Ă tout prix, mais quâen est-il de la protection de ses salariĂ©s ? Ce ne sont pourtant pas les interlocuteurs qui manquent. DĂ©partements RH, dĂ©lĂ©guĂ©s du personnel, mĂ©decine du travail : toutes ces personnes sont censĂ©es nous aider Ă remonter les problĂšmes et trouver des solutions.
Sauf quâil y a un certain nombre dâagences oĂč rien de tout cela ne fonctionne pour diverses raisons. Et quand on est Ă court dâidĂ©es et quâon ne voit aucune issue de secours, câest souvent lĂ quâon fait appel Ă moi. DĂ©noncer nâest dâailleurs pas une fin en soi. BTA a permis Ă de nombreuses victimes de rĂ©aliser quâelles n'Ă©taient pas seules, et leur a parfois donnĂ© la confiance qui leur manquait pour attaquer en justice.
En parlant de ça, que reÌponds-tu aux personnes qui vont pointer du doigt cette nouvelle âjustice des reÌseaux sociauxâ ?
Quand jâai commencĂ©, on a beaucoup taxĂ© BTA de tribunal populaire voire de dĂ©lation. Et surtout, on ne comprenait pas lâutilitĂ© dâune telle initiative quand des recours lĂ©gaux existent. Alors certes, la justice est lĂ pour ça et câest tant mieux. Mais gardons en tĂȘte quâun procĂšs est long, coĂ»teux et psychologiquement Ă©prouvant.
DĂ©jĂ , il faut se prĂ©parer Ă revivre lâabus quâon a subi, ainsi quâĂ lâexpliquer Ă des interlocuteurs qui ne le comprendront pas toujours. Rappelons au passage que des prĂ©judices comme le sexisme sont systĂ©miques. On a donc des chances de le retrouver du cĂŽtĂ© des policiers, des juges, et bien sĂ»r dans la dĂ©fense du camp adverse â qui risque de ne pas ĂȘtre tendre. Jâai rĂ©cemment eu lâexemple de lâavocate dâun directeur dâagence qui, en pleine audience, a qualifiĂ© la victime de âchaudasseâ.
Alors mĂȘme sâil y a eu des avancĂ©es sur le volet lĂ©gal ces derniĂšres annĂ©es, le recours en justice reste un chemin de croix. Donc je comprends entiĂšrement quâon puisse hĂ©siter avant dâengager des dĂ©marches. Ressasser le prĂ©judice voire le traumatisme subi, constituer un dossier bĂ©ton, ressortir les squelettes du placard, pour au final se heurter Ă un choc des mentalitĂ©s⊠Câest un travail de longue haleine, aussi bien sur soi-mĂȘme que pour le procĂšs.
Dâautant plus que rien ne te garantit de gagner.
Bien sĂ»r ! Dâailleurs, ça mâagace au plus haut point dâentendre des gens dire quâil y a des victimes qui vont au tribunal pour lâargent. En France, gagner un proceÌs aux prudâhommes pour harcĂšlement moral ne peut pas te rapporter plus de 7 000 ⏠en raison du plafonnement en vigueur.
Et pour cinq ans de bataille juridique et toute la charge mentale qui va avec, je pense quâon est dâaccord pour dire que ça ne vaut pas le coup financiĂšrement parlant. Et je ne parle mĂȘme pas des frais dâavocat Ă engager, mĂȘme sâil existe des aides via sa banque ou son assurance habitation pour celles et ceux qui nâen ont pas les moyens.
Tu fais bien de le rappeler car encore faut-il le savoir⊠De ton cÎté, comment arrives-tu à gérer ton combat avec BTA sur le volet santé mentale ?
Au dĂ©but, je nâavais pas du tout anticipĂ© que jâallais passer des journĂ©es entiĂšres Ă lire des tĂ©moignages atroces. Jâai aussi dĂ» faire des choix au niveau des rĂ©seaux sociaux Ă privilĂ©gier pour mon combat. Aujourdâhui, je concentre plutĂŽt mon action sur Instagram, oĂč jâai le soutien dâune communautĂ© bienveillante, plutĂŽt que sur Twitter, qui peut ĂȘtre dâune violence sans nom.
Jâai dâailleurs cette chance de ne pas recevoir les horreurs que les militantes fĂ©ministes doivent se coltiner Ă longueur de journĂ©e. En deux ans, jâai peut-ĂȘtre reçu un ou deux messages flippants, mais jamais de menaces de mort. Ă lâinverse, BTA mâa fait dĂ©couvrir des personnes exceptionnelles que je considĂšre aujourdâhui comme de vĂ©ritables amis â et ce, mĂȘme si je ne les ai pas encore toutes rencontrĂ©es.
La violence que je reçois vient surtout des agences. Jâai Ă©tĂ© attaquĂ©e plusieurs fois en justice pour diffamation et harcĂšlement alors quâil suffisait juste aux personnes concernĂ©es de se remettre en question. Ă noter que je suis ni journaliste ni lanceuse d'alerte, donc je nâai aucun statut ou loi pour me protĂ©ger.
Je prĂ©cise dâailleurs que je ne me substitue pas Ă leur travail â et encore moins Ă celui de la justice. Jâai eu plusieurs fois eu lâopportunitĂ© de collaborer avec des journalistes qui ont fait un travail dâexception. Je pense notamment Ă MĂ©diapart, avec qui jâai travaillĂ© pendant plus dâun mois dans le cadre dâune vaste enquĂȘte sur le groupe Havas.
Enfin, il faut sâimaginer que quand je dĂ©nonce une agence, je reçois entre 400 et 500 messages privĂ©s dans la mĂȘme journĂ©e. Ăa peut ĂȘtre pour corroborer des faits, ajouter un tĂ©moignage, mâapporter du soutien, ou tout simplement donner un avis. Il y a donc lĂ aussi une certaine rigueur Ă avoir, ainsi quâune charge mentale associĂ©e Ă gĂ©rer.
Pour finir, il ne faut pas perdre de vue que ça mâa aussi beaucoup apportĂ© sur le volet personnel. Car aprĂšs des annĂ©es Ă bosser en pub, ça faisait longtemps que je ne mâĂ©tais pas sentie aussi utile Ă la sociĂ©tĂ©. La premiĂšre chose que je fais en me levant chaque matin, câest de regarder si je peux venir en aide Ă quelquâun qui en a besoin.
Cette annĂ©e marque Ă©galement un tournant professionnel pour toi, Ă©tant donnĂ© que tu as co-fondĂ© ta propre agence, Balanced. Comment ce nouveau projet sâinscrit-il dans le prolongement de BTA ?
AprĂšs avoir passĂ© deux annĂ©es Ă dĂ©noncer les dĂ©rives dâun systĂšme, jâai envie de contribuer de lâintĂ©rieur Ă sa transformation. BTA mâa appris Ă dĂ©tecter certaines failles et dysfonctionnements des entreprises sur le volet humain. LâidĂ©e de Balanced, câest dâaccompagner des clients qui cherchent Ă faire du bien-eÌtre de leurs salariĂ©s un pilier de leur rĂ©ussite en tant quâorganisation.
Cette recherche dâĂ©quilibre va mĂȘme au-delĂ de leurs Ă©quipes, dans le sens oĂč on a intĂ©grĂ© la dimension environnementale. Il ne sâagit pas donc pas seulement de se concentrer sur les rapports humains, mais aussi de sensibiliser au respect du vivant.
Aujourdâhui, on est trois cofondateurs et on vient de signer notre premier client. Câest trĂšs gratifiant de me sentir lĂ©gitime sur ce terrain et de donner un nouvel Ă©lan Ă ce que jâavais initiĂ© avec BTA.
Câest gĂ©nial de voir ton implication porter ses fruits sur le volet perso comme pro. FĂ©licitations et je vais suivre tout ça avec attention ! En tout cas, je suis trĂšs heureux dâavoir eu cette conversation avec toi et je te remercie dâavoir acceptĂ© de rĂ©pondre Ă mes questions. CâĂ©tait un plaisir de te recevoir Anne, et je te dis Ă bientĂŽt !
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Jâai eu le plaisir dâavoir Ă©tĂ© invitĂ© Ă contribuer au deuxiĂšme numĂ©ro de leur revue papier (Ă prĂ©commander ici), avec une interview de la chercheuse AnaĂŻs Voy-Gillis sur le thĂšme de la rĂ©industrialisation.
Jâai dâailleurs hĂąte de rĂ©itĂ©rer lâexpĂ©rience avec dâautres mĂ©dias indĂ©pendants. Si vous avez votre propre publication ou que vous avez des envies ou idĂ©es de collaborations, avec grand plaisir pour en discuter â benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
May the words be with you,
Benjamin
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