Fait rarissime dans l’histoire de PWA : l’interview du jour était prévue depuis des mois. Comme si les planètes étaient alignées, la disponibilité de mon nouvel invité coïncidait avec un thème qu’il me tardait d’aborder : l’amitié. Mais cet élément isolé ne saurait résumer à lui seul toute la richesse de notre conversation.
D’où ce choix de titre pour cette édition, que je ne peux m’empêcher de penser à sens double et au pluriel. Au point de me dire que PWA est, à sa façon, une forme de création relationnelle qui me ressemble et me correspond. Et ça me semble d’autant plus vrai que mon mois de septembre en aura été une belle illustration.
Je suis très heureux à l’idée de vous partager aujourd’hui le dernier élément de ce mois d’anniversaire pour PWA. J’aurai rarement autant travaillé sur le projet que pendant les trente jours qui se sont écoulés. Une partie de moi a hâte de passer à octobre pour pouvoir souffler, l’autre se souviendra longtemps de ce mois de septembre 2024 comme l’un des beaux que j’ai connu avec mon cher média.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Geoffroy de Lagasnerie
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Geoffroy de Lagasnerie, sociologue, philosophe et professeur à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cercy. Il est l’auteur de 3, une aspiration au dehors, un essai publié chez Flammarion qui a été l’une des lectures récentes qui m’a le plus influencé. Autant dire que j’avais hâte de le recevoir en interview ! D’autant plus que son sujet de prédilection me tenait particulièrement à cœur pour l’édition des cinq ans de la newsletter : l’amitié.
Bonjour Geoffroy et un grand merci pour avoir accepté mon invitation ! J’attendais ce moment depuis plus d’un an, après avoir lu 3, une aspiration au dehors. J’ai été très marqué par cet essai, entre sociologie et philosophie, dans lequel tu reviens sur une décennie d’amitié avec Didier Eribon et Edouard Louis. Comme j’ai souvent l’habitude de commencer mes interviews par une question sur le choix des mots, je te propose donc de revenir ensemble sur le titre de ton livre. Comment se sont agrégés les différents éléments qui le composent ?
Quand je commence un livre, j'ai toujours son titre en tête avant de commencer à écrire. Déjà, le chiffre trois était une évidence, dans le sens où je voulais écrire sur l’amitié entre Didier, Edouard et moi. J’y tenais d’autant plus que les réflexions et modèles de référence sur le sujet vont souvent par deux. C’est la grande figure du couple d’amis : Laurel et Hardy, Cicéron et Atticus, ou encore Montaigne et La Boétie.
Penser l’amitié à trois introduit une rupture par rapport à l’approche traditionnelle de la relation à deux. Cela marque une autre conception de l’organisation psychique et de la construction de liens sociaux. Le résultat est un mode de vie tourné vers la multiplicité, ce qui se traduit par une toute autre façon d’envisager le quotidien.
Quant à l’aspiration au dehors, cela fait écho au développement de ma réflexion sur la politique de l’existence. Je voulais penser l’amitié au-delà du mode de vie pour l’envisager comme un véritable projet politique. Car aujourd’hui, l’organisation de notre société est largement influencée par la structure conjugale et familiale, avec pour base la vie à deux.
Plus j’ai réfléchi sur le sujet de l’amitié et plus j’ai fait un parallèle avec l’utopie. Or, cette dernière est justement pensée comme une théorie du dehors, c’est-à-dire un prisme pour penser une possibilité de sortir de la société. Je me suis alors demandé ce qui changerait si on mettait non pas le couple et la famille au centre, mais l’amitié.
C’est un livre que tu as écrit après plus de dix ans d’amitié avec Didier et Edouard. À quel moment as-tu considéré que tu étais prêt à écrire sur le sujet ?
J’écris toujours par rapport à un pouvoir. L'écriture pour l'écriture ne m’intéresse pas. Je veux donner des armes à des personnes ou à des projets politiques qui s’opposent à un pouvoir dominant. Ce qui a donné naissance à 3, c’est la gestion française du premier confinement en 2020. Comme Didier, Edouard et moi n’habitons pas ensemble et que nous ne sommes pas non plus voisins, la décision du gouvernement revenait à suspendre notre capacité à nous voir au quotidien — et donc à mettre en péril notre mode de vie.
Dans l’inconscient social, l'amitié est souvent considérée comme une relation dont on peut se passer. À côté de ça, les liens conjugaux, parentaux et familiaux sont soutenus, encouragés, et même subventionnés par l’État — à travers des dispositifs politiques, fiscaux, administratifs et idéologiques. Ça m’a amené à vouloir penser le sujet de la précarité politique de certains modes de vie. 3 n’est pas seulement une éloge de l’amitié. C’est aussi un livre dans lequel je politise ma colère contre l’idéologie familialiste au cœur de notre société, un modèle qui fait beaucoup de mal.
À en juger par la force de votre amitié et surtout sa place dans vos vies respectives, j’imagine qu’écrire ce livre n’a pas forcément dû être facile pour toi. Comment s’est passée la phase d’écriture ?
Je dois admettre que c'est un des livres que j'ai eu le plus de mal à écrire. Au début, je pensais que cela prendrait la forme d’un récit — sans théorie — et non d’un essai. Ça a été mon parti pris pour la première version du texte, que je n’ai jamais envoyée tant elle me semblait mauvaise (rires). Je l’ai ensuite laissé reposer et n’y ai pas touché pendant six mois, préférant tourner la page, lire et écrire sur un autre sujet.
Quand je l’ai repris, c’était pour l’intégrer dans une démarche philosophique et politique. Je pense que mon mode de pensée n’est pas adapté à un format romanesque. Reste que je voulais en faire un récit positif, en allant du côté de l’éloge. Je voulais en faire un texte d’affirmation de la vie — comme dirait Deleuze — qui puisse donner aux lecteurs l’envie d'expérimenter une autre approche plus politique de l’amitié.
Au début de 3, tu dis que l’amitié avec Didier et Edouard a marqué un tournant dans vos vies respectives. Dirais-tu qu’écrire ce livre a pu constituer un tournant dans votre amitié ?
D’un côté, j’ai envie de dire pas spécialement. Mais de l’autre, je reconnais que j’ai pu avoir peur à certains moments. Je me suis demandé si je ne risquais pas de tuer la relation en cherchant à l’objectifier. Je ne voulais pas que ce livre nous amène à “jouer” notre amitié plutôt que de continuer à la vivre sincèrement. Mais cela n’a heureusement pas été le cas
Au-delà des caractéristiques uniques de votre amitié, je trouve que celle-ci va aussi à l’encontre de certains clichés sur le sujet. Je pense notamment au fait qu’elle est arrivée assez tard dans vos vies respectives, là où on peut avoir souvent tendance à associer l’amitié à des périodes comme l’enfance ou les études par exemple. Je trouve que ça donne de l’espoir, dans le sens où cela vient nous rappeler que rien n’est jamais joué. Ce qui m’amène à te demander : quelles sont selon toi les idées reçues les plus tenaces sur l’amitié ?
La première chose qui me frappe, c’est la fréquence à laquelle on associe l'amitié à la douleur dans le langage courant. On dit souvent qu’un ami, c'est quelqu'un sur qui on peut compter en cas de coup dur. On en parle comme de la personne qui sera toujours à nos côtés quand ça va mal, quand on est malade, ou encore après une rupture. Personnellement, je trouve ça très bizarre d’évaluer une relation à son potentiel de soutien dans le malheur ou dans la souffrance.
Pour moi, l’amitié, c’est l’affirmation d’un bonheur quotidien. C’est une pulsion de vie. Un ami, c’est quelqu’un avec qui on aime prendre un café, se balader ou s’échanger des messages — même insignifiants — dans la journée. Ce qui compte le plus à mes yeux, c’est avant tout le plaisir d’être ensemble. Et ça me semble déjà une belle fin en soi, bien plus que la perspective d’avoir quelqu’un à qui parler quand ça ne va pas.
Une autre idée reçue très fréquente, c’est de penser l’amitié comme exclusivement intragénérationnelle. Je trouve que c’est une erreur majeure de considérer qu’on ne peut être amis qu’avec des personnes du même âge, de la même classe sociale, ou encore de la même orientation sexuelle. Alors qu’au contraire, l’amitié repose sur un principe de différenciation. Être ami avec quelqu’un, c’est aimer les changements que cette personne nous apporte. Et l'une des grandes forces de l’amitié, c'est justement de nous permettre d’entretenir des liens qui dépassent les notions d’âge et de génération avec des personnes que l’on choisit.
Enfin, il y a selon moi un dernier tabou à lever. Cela concerne la soi-disant pureté de l’amitié. Je pense qu’il faut arrêter de considérer qu’une amitié dite “intéressée” ne peut pas être synonyme de sincérité. Ça me semble tout à fait acceptable qu’on veuille devenir ami avec quelqu’un pour une raison identifiée, que ce soit parce qu’il vous invite à dîner, parce qu’il vous sort de votre quotidien, ou parce qu’il vous aide à faire avancer votre carrière. Pour moi, on peut à la fois aimer passer du temps avec quelqu’un et aimer ce qu’on retire personnellement de cette relation.
Et si je pense ça, c'est avant tout parce que cela fait sauter de nombreux verrous dans les relations interpersonnelles. On peut très bien aimer quelqu'un pour son argent, pour sa beauté, pour son savoir, pour sa conversation. Aimer quelqu'un, c'est forcément aimer quelque chose de quelqu'un. Pour moi, l’amitié pure n’existe pas. Et il n'y a pas de manière plus saine ou plus éthique d'aimer quelqu'un. Je pense qu’il faut prendre les gens comme ils sont et accepter l’amitié telle qu’elle nous apparaît.
Je voulais revenir avec toi sur une notion centrale dans ton livre : la création relationnelle. En quoi celle-ci est-elle si importante dans la grille de lecture politique que tu proposes sur l'amitié ?
L’idée principale derrière la création relationnelle, c’est que les relations que l’on crée nous qualifient et font partie de nous. Ça m’étonnera toujours que la sociologie classe les individus par genre, classe sociale, niveau de revenus… mais ne considère pas leur appartenance (ou non) à un cercle amical en tant que critère tout aussi pertinent pour étudier leurs comportements sociaux.
Il y a d’ailleurs une certaine pauvreté dans nos représentations des différents types de relations accessibles dans nos vies. Pour une majorité de gens, celles-ci sont peu nombreuses et fortement stéréotypées : c’est être parent, frère ou sœur, avoir des collègues, quelques liens de sociabilité… et ça s’arrête là. Reste que ça me semble consubstantiel à la monotonie de la vie sociale que nous proposent nos institutions.
Créer de nouveaux types de relations était au cœur de la théorie psychanalytique de Wilhelm Reich, mais aussi dans les textes de Michel Foucault sur l’amitié dans les années 80. Aujourd’hui, je trouve ça dommage que les sociologues comme les représentants de la gauche ne s'emparent pas davantage du sujet. Collectivement, on aurait tout à gagner à imaginer de nouvelles façons de vivre qui soient davantage fondées sur une aspiration au dehors plutôt que sur l’enfermement au-dedans.
Repenser la question de notre tissu relationnel me semble essentiel pour sortir des modèles sociaux hérités du passé. Ce serait un projet politique majeur que d’encourager les individus à créer davantage de liens autour d’eux, de créer de nouveaux types de relations et de valoriser davantage la qualité de leurs interactions. Et ça me semble d’autant plus important que la pauvreté relationnelle est souvent synonyme de tristesse dans notre société.
J’ai l’impression que le thème de l’enfermement résonne particulièrement entre tes travaux, ceux de Didier et les écrits d’Edouard. Il y a quelques mois, ce dernier a publié Monique s’évade, un livre qui s’inscrit dans le prolongement du thème de la fuite, qui est omniprésent dans son œuvre. Et c’est un terme sur lequel je voulais revenir avec toi tant il me semble traverser jusqu’aux titres de vos publications respectives. Quelle place occupe cette question de la fuite dans votre amitié ?
C’est une question qui est intimement liée à la subjectivité gay. Quand on est un enfant gay, la vie s’accompagne souvent d’une sensation d’enfermement voire d’étouffement dans ce qu’on appelle d’ailleurs la “cellule” familiale. C’est ce malaise quand tu regardes la TV avec tes parents et que ça parle d’homosexualité. Ce sont ces questions tant redoutées sur tes premiers amours. C’est cette angoisse permanente à l’idée d’être percé à jour.
Il y a dans la culture gay un rapport particulier à l'enfermement. Ce n’est pas un hasard si Foucault a écrit Surveiller et Punir, si Jean Genet a été proche de prisonniers — avant d’être à son tour incarcéré. À mon échelle, passer le concours de l’ENS ne reflétait pas tant une volonté d’enseigner que celle d’avoir un salaire pour pouvoir prendre mon indépendance et quitter ma famille.
L’affect fondamental d’un gay, c’est donc cette peur du dedans — à laquelle s’opposent le dehors et le sentiment de liberté qui lui est associé. Et c’est vrai que c’est une expérience commune qui traverse nos grilles de lecture de la société et des pouvoirs avec Didier et Édouard.
La force de ton propos, c’est justement cette approche de l’amitié comme contre-pouvoir politique et contre-modèle de société. Plus tôt dans notre conversation, tu évoquais la notion d’utopie. Et je me demandais : à quoi pourrait ressembler une société dans laquelle l’amitié prendrait plus de place dans les décisions politiques ?
Dans mon livre, je cité les travaux de Jacques Derrida sur le sujet — principalement dans Politiques de l’amitié [publié en 1994]. Celui-ci faisait le rapprochement entre les fondements philosophiques de l’amitié et ceux de la démocratie, en les opposant aux mécanismes de domination qu’ont en commun la famille et le pouvoir politique autoritaire voire tyrannique.
À mes yeux, il n’y a aucune raison pour que le mode de vie familial soit le seul modèle social subventionné par l’État. Aujourd’hui, encourager socialement et fiscalement le choix de faire des enfants semble aller de soi. Mais cela se fait au détriment de beaucoup de gens — à commencer par celles et ceux qui n’en veulent pas — et ne constitue en rien un mode de vie plus légitime que d’autres.
Le grand problème avec l’amitié aujourd’hui, c’est qu’elle est complètement invisibilisée dans le débat public. Si bien qu’elle aurait besoin d’institutions pour solidifier tous ces liens sociaux qui ont toujours été relégués au second plan. Reste qu’au-delà de la multiplication de ces liens, l’amitié s’épanouit paradoxalement dans l’acceptation et le respect de la solitude.
L’un des grands principes du modèle amical décrit dans mon livre, c’est le choix de la non-cohabitation. Très concrètement dans ma vie, l’aspiration au dehors se traduit par le fait d’habiter seul dans un petit appartement de vingt-cinq mètres carrés. Ça me suffit amplement et je n’aspire pas à plus grand.
Le choix de la non-cohabitation est pour moi le socle qui m’amène à multiplier les liens transversaux et transgénérationnels au dehors : que ce soit dans les sorties, les loisirs, les voyages, mais aussi l’engagement associatif et le combat politique. C’est tout l'inverse du fameux rêve du pavillon individuel, avec ce choix de la cohabitation permanente et du repli vers la vie au-dedans.
Dans 3, tu cites à plusieurs reprises le texte de Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux. Et ça m’évoque le sujet de la vie romantique et sentimentale, sur laquelle ton approche du modèle amical doit forcément avoir un impact. Quels enseignements l’amitié peut nous donner sur la façon dont on vit et appréhende les relations amoureuses aujourd’hui ?
Je ne crois pas à l'idée de l'amour ou de l'amitié comme des formes affectives qui auraient chacune leurs spécificités. En tant que sociologue, je réfléchis en termes de pratiques et non d’ontologies. Ça m'intéresse bien plus que le mot qu’on va mettre dessus. Que ma relation avec Edouard et Didier soit de l’amitié ou de l’amour, au fond peu importe. C’est le type de pratiques associées qui définit cette relation, notamment dans son opposition à d'autres modes de vie possibles comme la conjugalité.
Pour répondre à ta question, je voudrais d’abord revenir sur le sujet de la non-cohabitation. Le principe à la base de ce choix, c'est l’idiorythmie : à savoir le respect du temps et de l'autonomie de chacun. En amour comme en amitié, vivre sous le même toit tend vers une duplication des rythmes et des identités. Et à terme, c’est un modèle qui me semble condamner à l’ennui et à la destruction des relations.
Pour moi, aimer quelqu’un, c’est aussi aimer son absence. C’est aimer qu’il vive des choses sans nous, et donc qu’il ne soit pas là tous les jours. Ça peut sembler paradoxal mais le plaisir de l'autre se cultive aussi dans la construction régulière de son absence. Or, la cohabitation en couple est un modèle de surprésence qui menace voire détruit notre altérité vis-à-vis de notre partenaire.
Ce plaisir de l’absence est l’un des piliers de l’amitié. L’autre est son caractère transitif. Quand un de nos proches devient ami avec quelqu’un, il y a des chances que l’on soit amené à le rencontrer — voire devenir ami avec cette personne. Si bien que la nouvelle amitié créée sera peut-être même plus forte que celle qui lie cette personne avec l’ami qui vous a présenté.
Ce qui m’amène naturellement sur le sujet de la jalousie. Dans l’amitié, il y a un principe de démultiplication relationnelle, avec cette idée de transitivité des liens créés. C’est très différent du schéma classique de l’amour romantique, où l’on peut avoir tendance à considérer ce qui se passe à l’extérieur de la relation comme une rivalité voire une menace que l’on va chercher à bloquer. Une réflexion très commune sur le sujet, c’est d’ailleurs le fameux : “Tu vois trop tes amis”.
Pour moi, ce sont les deux points les plus importants : l’acceptation de la non-présence et la transitivité des liens, par opposition à la cohabitation par défaut et à la structure fermée du couple. À partir de là, qu’on appelle ça de l’amour ou de l’amitié, qu’il y ait de la sexualité ou non : c’est la forme de vie qui va compter. Le reste m’importe peu, à commencer par le mot qu’on met dessus. Je pourrais dire que je suis amoureux de Didier, d’Edouard, ou simplement ami avec eux. C’est notre forme de vie qui compte le plus à mes yeux
Et au cœur de cette forme de vie, l’écriture occupe une place centrale pour chacun de vous. Je ne m’attendais pas à ce que tu développes autant ce point dans le livre. Et j’ai beaucoup aimé la façon dont tu décris l’influence de votre amitié sur vos travaux respectifs. Je voudrais donc prendre le sujet dans l’autre sens et te demander : en quoi ton approche de l'écriture vient-elle nourrir ta réflexion sur l'amitié ?
Pour moi, l’amitié et l’écriture ont pour enjeu commun la recherche d’une forme d’autonomie. Dans la notion de création relationnelle dont on parlait plus tôt, il y a cette idée que les formes de vie créées obéissent à des règles que l’on a soi-même choisies. Cela veut dire qu’on va définir soi-même le cadre de nos relations, et donc que l’on va être libres de s’affranchir des modèles existants.
Au fond, c’est pareil quand on est auteur. Écrire pose la question de la conquête d’une forme d'autonomie vis-à-vis de son champ d’exercice et des institutions qui le régissent. Est-ce que je vais me conformer aux règles fixées par les institutions de pouvoir et d’autorité pour chercher de la reconnaissance ? Ou est-ce que je vais plutôt choisir d’écrire selon mes propres critères et essayer d'imposer une œuvre différente de ce qui est attendu ?
L’amitié peut constituer un principe d’autonomisation en devenant un nouveau champ d'appartenance qui libère des contraintes internes. En un sens, j’estime aujourd’hui que j’appartiens plus à l’amitié qu’à l’université. Ça veut dire que l'espace qui me donne le plus d’exigences vis-à-vis de mes écrits, c'est la relation que j’ai avec Didier, Edouard et d’autres amis. Ça revient à dépasser le cadre de l’université comme champ d'appartenance, et ce, en choisissant un champ plus autonome à partir de règles que j’ai moi-même définies.
En ce sens, l'amitié peut avoir une dimension subversive. C’est une forme de déclaration d'indépendance — voire de sédition — vis-à-vis des institutions. On en revient d’ailleurs à cette notion de fuite dont on parlait plus tôt. Je considère donc que ma pratique de l’écriture et mon approche de la création relationnelle se nourrissent mutuellement. Derrière l'aspiration à une vie amicale, il y a aussi cette recherche de l’affranchissement et de l’autonomie.
Voilà qui me semble parfait pour conclure cette conversation qui marque les cinq ans de ma newsletter sur l’écriture. Je suis très heureux de t’avoir reçu pour parler de tous ces sujets avec toi. Alors encore un grand merci Geoffroy pour avoir accepté l’invitation ! Et je te dis à bientôt.
4 interviews de PWA sur des sujets voisins :
PWA #83 avec Hadrien Klent : sur l’utopie politique
PWA #67 avec Marie Kock : sur le célibat féminin
PWA #44 avec Vincent Cocquebert : sur la civilisation du cocon
PWA #39 avec France Ortelli : sur les relations amoureuses
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Le documentaire sur DJ Mehdi semble faire l’unanimité, et sans surprise : j’en suis !
Tris(t)olaris : Quel pincement au cœur d’apprendre, avec huit mois de retard, la fin du podcast Aliens et les Garçons [cf. PWA #32]. J’ai siroté les trois heures et quelques de leur dernier épisode de rétrospective — les “Aliens Awards” pour les intimes — entre admiration et nostalgie. Félicitations à Thomas, Florian et Vik pour mon ovni littéraire préféré de ces dernières années !
Carton assuré : Un autre tour de force par un ancien invité de la newsletter. Thomas Firh [cf. PWA #51] et l’équipe Les Others viennent de lancer les précommandes du coffret Recto Verso version Europe, soit le guide ultime pour sillonner notre vieux continent à pied, et plus intéressant encore : sans avion. L’expression “c’est pas l’Everest” n’a jamais aussi bien porté son nom.
Juste mesure : Ce mois-ci, j’ai été impressionné par le rapport d’impact annuel d’une association que j’aime beaucoup : la Maison Perchée. Et alors que la santé mentale a été annoncée par Michel Barnier comme grande cause nationale de 2025 pour son gouvernement, il n’y a plus qu’à espérer — entre mille autres choses — qu’il tombe sur ce précieux document.
🗣 MEANWHILE… L’actu des plumes
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Agathe vient de lancer sa newsletter : La moins bonne version de moi-même.
Hugo a ouvert de nouvelles balades architecturales à Paris pour la fin d’année.
Anne-Laure a publié son premier livre : Tiny Experiments.
Kevin a écrit sur l’art et la manière de relier les points.
Julien a écrit le point final de sa newsletter sur le rapport aux écrans.
Diane a créé une carte du monde à partir de ses livres préférés.
Charlotte a publié un édito de rentrée entre béton et paradoxes.
Sebastien a écrit un texte sur Inoxtag, Xavier Niel et la zones d’inconforts.
Amélie a été interviewée pour Quotidien suite à son passage dans PWA
(oui, vous avez bien lu : c’est ma nouvelle anecdote préférée 💙).
DERNIÈRE CHOSE…
Un grand merci aux mésanges enjouées, aux pieds de grue, aux alouettes chaussettes, aux oies de vivre et autres paontastiques qui ont commencé à me soutenir sur Tipeee. Oui, je me suis bien amusé sur les noms des contreparties. Si vous voulez rejoindre cette joyeuse nuée de drôles d’oiseaux et mettre la main sur une paire de chaussettes collector, c’est évidemment toujours possible avec un don ponctuel ou récurrent.
Merci aussi à toutes celles et ceux qui sont venus écouter mon interview croisée avec Louise Hourcade et Attaa Ben Elafdil (Mouvement T) à la soirée des 5 ans de PWA. Enfin, merci également aux plumes qui m’ont envoyé de chouettes messages suite à la dernière édition hors-série spéciale anniversaire. Je n’ai pas encore répondu à tout le monde mais ça ne saurait tarder.
Tout ça pour dire qu’entre cette belle rentrée et cette nouvelle édition, le mois de septembre m’aura bien gâté. Même que je pourrais bien m’y habituer. J’ai déjà hâte de voir ce que le mois d’octobre nous réserve. Personnellement je n’en ai pas encore la moindre idée, mais ça ne saurait tarder. Après tout, ça fait cinq ans que c’est comme ça avec PWA. Il ne me reste plus qu’à vous dire à bientôt, et surtout…
May the words be with you,
Benjamin
Plumes With Attitude est une newsletter indépendante sur l'écriture au sens large, entre interviews de plumes de tous horizons et curation de haut vol. Si vous avez aimé cette lecture, n’hésitez pas à la partager autour de vous ou à me dire ce que vous en avez pensé par e-mail → benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Adoré ce entretien Benjamin, c’était limpide, concret, brillant ! Tout m’a énormément parlé, merci ! 🥲🙏👏