Depuis le dĂ©but de Plumes With Attitude, il y a un certain nombre dâinvitĂ©s qui mâont marquĂ© par la force de leurs expressions. Câest la rupture dâĂ©galitĂ© de Tania de Montaigne, câest lâĂ©criture de la lumiĂšre de Michel Ayçaguer, et câest bien sĂ»r la passion economy de Li Jin. Câest Ă©galement le cas de cette nouvelle Ă©dition.
Et alors que mon mois de septembre aura Ă©tĂ© marquĂ© par le doute et lâagitation, et alors que la newsletter entre dans sa troisiĂšme annĂ©e, cela faisait longtemps (deux mois đ ) quâappuyer sur le bouton âPublierâ ne mâavait pas autant soulagĂ©. Mais la chose la plus importante que je retiendrai, câest que câest une action qui continue, Ă chaque Ă©dition, de me faire rĂȘver.
Excellente lecture Ă tous,
Benjamin
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đ INTERVIEWâŠÂ Vincent Cocquebert
Ă chaque newsletter, je vous propose de dĂ©couvrir le portrait et les idĂ©es dâune vĂ©ritable plume âWith Attitudeâ. Aujourdâhui, jâai le plaisir de recevoir Vincent Cocquebert, qui est journaliste indĂ©pendant et auteur de deux livres autour de trois notions phares : gĂ©nĂ©ration, civilisation et⊠cocon. Jâai trouvĂ© notre discussion particuliĂšrement propice Ă la prise de recul et Ă la remise en question. En somme, tous les ingrĂ©dients rĂ©unis pour une excellente Ă©dition !
Salut Vincent et merci dâavoir rĂ©pondu Ă lâinvitation ! Je suis trĂšs heureux de te recevoir dans la newsletter et jâai plein de questions Ă te poser autour de tes deux premiers livres, qui me semblent dâailleurs trĂšs complĂ©mentaires. En 2019, tu publiais Millenial Burn-out (ArkhĂ©) dans lequel tu remets beaucoup en question la notion de gĂ©nĂ©ration. Cette annĂ©e, tu es passĂ© Ă une Ă©chelle plus large avec La Civilisation du Cocon (toujours ArkhĂ©). Quelles ont Ă©tĂ© pour toi les diffĂ©rences majeures en termes d'approche, de recherche et d'Ă©criture entre ces deux livres ?
Pour Millenial Burnout, je me suis directement inspirĂ© d'une expĂ©rience que je menais depuis prĂšs de trois ans. J'Ă©tais rĂ©dacteur en chef d'un webzine fait par et pour les 16-25 ans qui s'appelait Twenty. Mon idĂ©e, c'Ă©tait de faire Ă©merger une voix gĂ©nĂ©rationnelle avec des tĂ©moignages de jeunes d'horizons trĂšs divers. CâĂ©tait une sorte de journalisme existentiel oĂč ils parlaient de leur rapport Ă l'Ă©cole, Ă l'amitiĂ©, Ă la famille, Ă leurs vies intimes et professionnelles. Mais que ce soit dans leurs discours, approches et sensibilitĂ©s, je nâai absolument pas retrouvĂ© l'ensemble des marqueurs gĂ©nĂ©rationnels qu'on leur avait collĂ©s. Je les trouvais beaucoup moins âzappeursâ, beaucoup moins sĂ»rs dâeux. Ă lâinverse, ils me semblaient plus rĂ©servĂ©s et davantage en quĂȘte de validation extĂ©rieure. Dâailleurs, une grande majoritĂ© dâentre eux voulaient Ă©crire, et non faire des vidĂ©os ou des podcasts.
En voilĂ une bonne nouvelle ! (rires)Â
Oui, jâai moi aussi Ă©tĂ© surpris par une telle valorisation de l'Ă©crit. Et face Ă tous ces jeunes, je me suis demandĂ© pourquoi jâavais une telle dissonance cognitive entre tout ce que j'avais pu lire ou entendre Ă leur sujet et la rĂ©alitĂ© de ce que jâobservais. Je me suis donc interrogĂ© sur ce concept de gĂ©nĂ©ration, ainsi que sur sa pertinence en tant que grille de lecture de la sociĂ©tĂ© â et notamment de la jeunesse. Ă partir de lĂ , jâai dĂ©cidĂ© de dĂ©cortiquer la littĂ©rature existante sur le sujet. J'ai commencĂ© Ă me plonger dans l'histoire du concept de gĂ©nĂ©ration, pour comprendre ce qu'il thĂ©orisait rĂ©ellement, son but, sa mĂ©thodologie, ses limites⊠J'ai ensuite essayĂ© de comprendre son basculement, et de dĂ©terminer Ă partir de quel moment il a Ă©tĂ© utilisĂ© comme une grille de lecture quasiment performative de la sociĂ©tĂ©.Â
Pour La Civilisation du Cocon, la premiĂšre grande diffĂ©rence en termes dâĂ©criture est que je ne suis pas parti dâune expĂ©rience personnelle â mĂȘme si le confinement est passĂ© par lĂ . En revanche, il sâinscrit dans la continuitĂ© de mon premier livre autour dâun point que je nâavais pas rĂ©ussi Ă clarifier. Il sâagissait de cette sensibilitĂ© exacerbĂ©e, ce besoin croissant de protection, que Bret Easton Ellis avait regroupĂ© sous la notion provocatrice de âgĂ©nĂ©ration chochotteâ [dĂ©jĂ Ă©voquĂ©e dans PWA #17]. Je nâarrivais pas Ă cerner sâil sâagissait plutĂŽt dâun fait d'Ă©poque ou justement dâune nouvelle tendance gĂ©nĂ©rationnelle. Ăa mâa amenĂ© Ă remonter lâhistoire de notre besoin de sĂ©curitĂ©, de notre rapport au risque.
Contrairement Ă mon premier livre, jâai donc commencĂ© par la thĂ©orie â mĂȘme si comme je le disais, la pratique mâa trĂšs vite rattrapĂ© avec le confinement. Jâavançais dans lâĂ©criture tout en ressentant moi-mĂȘme la posture [en partie forcĂ©e] de retrait et de protection que je dĂ©crivais. Au final, cette expĂ©rience collective est venue confirmer la thĂšse initiale du livre, si bien que je nâai pas eu grand-chose Ă retoucher suite au confinement â qui nâa fait que rendre encore plus visibles des tendances dĂ©jĂ prĂ©sentes.
Justement, je me suis demandĂ© Ă quel moment la phase dâĂ©criture avait commencĂ©. Au-delĂ du confinement, câest quoi selon toi la meilleure illustration de cette civilisation du cocon ?
Pour moi, un cap a Ă©tĂ© franchi quand on sâest mis collectivement Ă banaliser â et mĂȘme valoriser â une posture plutĂŽt connotĂ©e nĂ©gativement auparavant : celle de passer son week-end Ă la maison. Et lĂ oĂč le terme de âcouch potatoesâ nâest pas vraiment une expression Ă laquelle on veut ĂȘtre associĂ©, la tendance du âNetflix & chillâ a donnĂ© naissance Ă un mode de vie quâon sâest mis Ă assumer plus facilement â notamment en comparaison Ă la fĂȘte le week-end. Et lĂ oĂč on avait auparavant tendance Ă valoriser les activitĂ©s Ă lâextĂ©rieur comme les expos, cinĂ©s et concerts, il y a eu un vrai changement de paradigme qui a consistĂ© Ă rapatrier ces activitĂ©s en intĂ©rieur â le tout avec plaid, bougies parfumĂ©es et Ă grand renfort de streaming. Câest un phĂ©nomĂšne qui a dâailleurs traversĂ© tous les milieux socioprofessionnels et culturels, et ce bien avant le confinement.
Certes, mais le terme de Netflix & Chill est un code spécifique à la culture du dating.
Câest vrai, mais la dĂ©marche reste la mĂȘme. Car lĂ oĂč les normes relationnelles dâhier valorisaient davantage le fait de commencer par un verre ou un restaurant Ă lâextĂ©rieur, il est Ă©galement devenu acceptable de faire le premier rendez-vous chez soi. Au fond, câest la mĂȘme approche de domiciliation, mais cette fois-ci appliquĂ©e Ă des relations sociales.Â
Le cas du dating rejoint justement certains paradoxes du cocon que je voulais aborder avec toi. Car l'une des grandes thĂ©matiques de ton dernier livre, c'est le repli sur soi. Reste que sur Internet, on se montre, on sâexpose, on se met en scĂšne. Selon les plateformes, cela vaut aussi bien pour notre vie, notre corps ou nos idĂ©es. Il y a Ă©galement eu une certaine libĂ©ration de la parole, notamment sur des problĂ©matiques identitaires comme le genre, lâethnicitĂ© ou la sexualitĂ©. Alors je me demandais, comment articules-tu ces tendances qui vont vers lâextĂ©rieur avec ta thĂšse sur le repli sur soi ?
Tout dâabord, je trouve que la parole sâest surtout libĂ©rĂ©e au sein de communautĂ©s de convaincus. En dehors de ces cercles, la parole va souvent ĂȘtre un vecteur de polarisation. Cela commence par le choix des mots, qui vont devenir des marqueurs identitaires forts dans lesquels on va injecter un certain sens. Si les termes que tu utilises rĂ©sonnent pour quelquâun dâautre, alors câest probable quâelle appartient â de prĂšs ou de loin â Ă ta communautĂ©. Quand on sâintĂ©resse Ă des sujets comme le fĂ©minisme ou lâorigine ethnique et sociale, il y a tout un lexique associĂ©. Lâabsence dâĂ©changes constructifs, notamment sur les rĂ©seaux sociaux, sâexplique en grande partie par la seule raison que les gens nâarrivent pas Ă se mettre dâaccord sur les Ă©lĂ©ments de base de la discussion.
Donc la libĂ©ration de la parole, je la vois surtout entre communautĂ©s dâadhĂ©sion. Je vois hĂ©las de moins en moins cette possibilitĂ© de rĂ©ussir Ă Ă©changer avec des groupes issus d'une autre altĂ©ritĂ©, et de parvenir Ă une construction commune du rĂ©el. Car si câest une chose de faire communautĂ©, câen est une autre de faire sociĂ©tĂ©. Or, la recherche permanente de validation et dâadhĂ©sion va avoir tendance Ă mettre de plus en plus de barriĂšres entre les individus et les personnes qui ne partagent pas forcĂ©ment les mĂȘmes codes et sensibilitĂ©s.
Quant Ă notre exposition sur Internet aujourdâhui, elle se fait surtout sur des rĂ©seaux sociaux que lâon choisit et auprĂšs de communautĂ©s qui, encore une fois, sont lĂ pour nous valider. Je trouve que cette pulsion de la mise en scĂšne est trĂšs cohĂ©rente avec ce besoin de reconnaissance liĂ© Ă notre affirmation identitaire. Dâailleurs, les plateformes dĂ©veloppent des outils pour filtrer qui peut commenter nos publications, ce qui revient Ă nous protĂ©ger du monde en dehors de nos communautĂ©s. Sauf quâĂ force de se protĂ©ger, et sans nier la violence qui peut se dĂ©ployer sur les rĂ©seaux, la moindre critique peut aussi ĂȘtre perçue comme une agression â ce qui a dâailleurs abouti Ă des termes aussi flous que le concept de âmicro-agressionâ.
Il y a Ă©galement tout un discours contemporain autour de la recherche d'impact sur la sociĂ©tĂ© au global. Et au-delĂ des mots, il y a aujourdâhui de vraies initiatives entrepreneuriales, associatives et mĂȘme citoyennes qui ont donnĂ© lieu Ă des rĂ©sultats concrets sur le terrain. Peut-on voir dans cette autre tendance une volontĂ© de chercher Ă sâextraire du cocon ?
En fait, tout le corps social dans son ensemble ne va pas se retrouver au mĂȘme niveau d'intensitĂ© face Ă lâappel du cocon. Dâailleurs, le phĂ©nomĂšne que je dĂ©cris avait commencĂ© par les classes populaires Ă la fin des annĂ©es 80, câest-Ă -dire suite Ă une dĂ©cennie caractĂ©risĂ©e par lâaffichage de la rĂ©ussite pĂ©cuniaire, de la consommation ostentatoire, et dĂ©jĂ de la mise en scĂšne de soi. Sauf que cette promesse de devenir les seuls guides de notre propre existence a rapidement montrĂ© ses limites. On sâest vite rendu compte quâon nâĂ©tait pas Ă©gaux face Ă la capacitĂ© dâinvention, de fluiditĂ© et de rĂ©invention de soi. DâoĂč ce mouvement de domiciliation des classes populaires marquĂ© par le rĂ©investissement du foyer Ă la fin des annĂ©es 80. Câest le petit pavillon de banlieue, la cabane au fond du jardin, mais aussi les prĂ©mices des marchĂ©s du bien-ĂȘtre et de la dĂ©co.
Les classes supĂ©rieures le vivront Ă leur tour, notamment grĂące Ă Internet et au fait qu'on peut aujourdâhui tout faire venir Ă nous depuis notre tĂ©lĂ©phone. Sauf quâil y a une catĂ©gorie, parfois appelĂ©e âgĂ©nĂ©ration surdiplĂŽmĂ©eâ, qui va continuer Ă adopter une posture de changement et une volontĂ© de transformation du monde. Ce sont souvent des individus de classes dâĂąge diffĂ©rentes, mais plutĂŽt issus des Ă©lites Ă©conomiques, sociales et culturelles. Leur appartenance Ă des classes aisĂ©es fait quâils vont pouvoir plus facilement se permettre de chercher Ă avoir un impact sur le monde. Cette posture de transformation est plus rare chez les populations les plus fragiles, qui peuvent avoir le sentiment dâĂȘtre en quelque sorte mises au ban de la sociĂ©tĂ©.
Dâailleurs, cette catĂ©gorie souvent mise en avant va ĂȘtre appelĂ©e le ânectarâ des millenials. Mais dire que la jeunesse est entiĂšrement progressiste, antiraciste, antisexiste et Ă©coresponsable, câest passer Ă cĂŽtĂ© de sa diversitĂ©. Câest fermer les yeux sur le fait quâau premier tour des derniĂšres Ă©lections prĂ©sidentielles de 2017, un jeune sur deux a votĂ© pour un candidat aux extrĂȘmes du spectre politique. Donc je pense que ce dĂ©sir dâimpact sur la sociĂ©tĂ© est rĂ©el, mais reste encore aujourdâhui une posture assez avant-gardiste.
En tant que journaliste indĂ©pendant et auteur, tu as toi-mĂȘme une certaine propension au risque, avec cette instabilitĂ© Ă la fois associĂ©e Ă ton statut mais aussi aux industries dans lesquelles tu Ă©volues. Tu es donc plutĂŽt Ă contre-courant de cette propension au repli sĂ©curitaire, au sentiment de protection. Alors je me demandais, quel rapport entretiens-tu personnellement avec cette civilisation du cocon ?
Câest quelque chose que jâai beaucoup questionnĂ© lors de lâĂ©criture du livre. Cela mâa fait rĂ©aliser que jâai moi aussi cette propension Ă m'entourer de personnes qui me ressemblent, avec des profils Ă©conomiques et culturels mais aussi des trajectoires existentielles assez similaires. Je suis Ă©galement concernĂ© par le fait de moins vouloir sortir, de moins me retrouver au contact dâune altĂ©ritĂ© bruyante, et dois donc lutter contre cette pulsion dâisolationnisme domestique. Quant Ă mes choix professionnels, je dirais quâils reflĂštent davantage une envie de libertĂ©. La prise de risque n'est pas un moteur dans ma vie, mais plutĂŽt le prix que je suis prĂȘt Ă payer pour lâillusion de cette libertĂ© â car jâimagine que câest en grande partie le cas.
Il y a un autre enjeu fondamental qui est revenu sur le devant de la scĂšne avec le Covid-19 et lâisolationnisme domestique auquel on a Ă©tĂ© forcĂ©, câest celui de la santĂ© mentale. Et sur ce volet, jâai lâimpression quâon peut voir le cocon Ă la fois comme une cause et un remĂšde. Dâun cĂŽtĂ©, on a rĂ©cemment assistĂ© Ă une explosion des maladies mentales comme lâanxiĂ©tĂ© et la dĂ©pression â toutes deux exacerbĂ©es par le contexte sanitaire et les diffĂ©rents confinements. De lâautre, on voit des disciplines comme le yoga, la mĂ©ditation ou encore la philosophie [cf. PWA #43] prendre plus de place dans la vie des gens. Quelle est ta lecture des diffĂ©rents liens entre la notion de cocon et la question de la santĂ© mentale ?
Je comprends cette envie de vouloir cultiver son monde intĂ©rieur, de vouloir avoir des espaces de restauration face Ă une sociĂ©tĂ© dont on partage de moins en moins les valeurs de concurrence et de prĂ©dation. Cela nous aide Ă©galement Ă ne pas cĂ©der face Ă ces maladies caractĂ©ristiques de notre Ă©poque que sont lâanxiĂ©tĂ©, la dĂ©pression ou encore la paranoĂŻa.
Reste que la domiciliation dont on parlait plus tĂŽt nâest pas sans risques. Car Ă force de se mettre en retrait, on finit par avoir une perception de l'extĂ©rieur â et donc de la rĂ©alitĂ© â qui nous paraĂźt de plus en plus dure, plus anxiogĂšne, associĂ©e Ă une altĂ©ritĂ© qui nous semble de plus en plus lointaine. Dis-toi que lâannĂ©e du confinement, la peur de l'Ă©tranger a augmentĂ© de 10 points chez les Français alors quâil nây a jamais eu aussi peu de flux de personnes. Il faut savoir que câest un indice qui est gĂ©nĂ©ralement assez stable et qui peut grimper dâ1-2% suite Ă des Ă©vĂ©nements graves de type attentats. Mais pour 2020, câĂ©tait du jamais vu. Lâindice de dĂ©fiance interpersonnelle envers les individus Ă©tait dâailleurs lui aussi Ă la hausse.
Donc cet isolationnisme domestique â bien que forcĂ© lâan dernier â a son effet anesthĂ©siant, piĂ©geant voire totalitaire. Devenir l'ordonnateur de son petit monde crĂ©e un rapport fallacieux vis-Ă -vis de l'extĂ©rieur. Cela nous conduit Ă dĂ©velopper une anxiĂ©tĂ© factice basĂ©e sur une perception de faits qui ne sont ni concrets ni reprĂ©sentatifs de la rĂ©alitĂ©. Donc le remĂšde peut non seulement ĂȘtre pire que le mal, mais aussi dĂ©velopper de nouvelles pathologies mentales quâon vient paradoxalement nourrir. Car au fond, Ă quoi bon affronter le monde extĂ©rieur quand on peut domestiquer ses divertissements et interactions sociales dans son salon, quand on est en contact permanent avec une communautĂ© de pairs qui va dans notre sens et rĂ©pond Ă notre besoin de validation ?
Et alors, sans parler de solutions toutes faites (parce que ce serait trop facile !), que prĂ©conises-tu pour nous aider Ă repenser notre appartenance et notre vulnĂ©rabilitĂ© Ă cette civilisation du cocon ?Â
Je pense que la premiĂšre Ă©tape est de prendre conscience que, derriĂšre ce cĂŽtĂ© trĂšs ouatĂ© et a priori inoffensif de toute cette culture de la domestication et de l'entre-soi, le plus gros risque qui nous guette est celui de la perte dâempathie. La seconde Ă©tape Ă franchir, câest de chercher Ă sâaffranchir de ce besoin permanent de confort et de validation. Et cela passe par lâĂ©change avec des personnes qui ne sont pas comme nous, qui ont dâautres idĂ©es et sensibilitĂ©s, sans que cela tourne au conflit.
Il y a eu un certain nombre de polĂ©miques autour de ce qu'on appelle les ârĂ©unions non mixtesâ. Historiquement, ça a donnĂ© lieu Ă des espaces de transformation du rĂ©el. Dans les annĂ©es 70, le Mouvement de LibĂ©ration des Femmes (MLF) avait pour objectif de se regrouper pour proposer une alternative au patriarcat. MĂȘme combat pour les militants homosexuels, qui Ă©taient Ă lâĂ©poque soumis aux lois anti sodomie et se retrouvaient pour sâorganiser et transformer le monde par la lĂ©gislation.
Aujourdâhui, jâai davantage cette impression que ces regroupements ont davantage une fonction de groupes de parole que de moteurs de changement du rĂ©el. Bien sĂ»r, câest important d'ĂȘtre avec les siens et de se retrouver avec des personnes qui rencontrent des problĂ©matiques de vie similaires. Mais il ne faut pas perdre de vue lâobjectif de sâinscrire dans une sociĂ©tĂ© et de chercher Ă la transformer.Â
Pour citer lâhistorien Jean Delumeau, âLa plus grande pulsion de l'individu nâest pas la libido mais le besoin de sĂ©curitĂ©â. Reste que si on est aussi nombreux Ă nous figer dans cette posture de repli, c'est aussi parce que pour la premiĂšre fois dans l'histoire de la civilisation moderne, on nous prĂ©sente le futur comme quelque chose qui va ĂȘtre pire que le passĂ©.
Ce qui est assez Ă©tonnant, c'est quâon pourrait aussi imaginer un effet inverse Ă la carpe diem pour la sociĂ©tĂ© post-Covid-19. Câest sans doute un peu tĂŽt pour juger mais certains annoncent dĂ©jĂ un retour des roaring twenties.
On a aussi beaucoup annoncĂ© le âmonde dâaprĂšsâ, qui a plus des airs de prophĂ©tie autorĂ©alisatrice quâautre chose. Le Covid-19 ne fait pas encore partie du passĂ©, mais la pĂ©riode qui va suivre sera effectivement trĂšs intĂ©ressante Ă observer. Dâailleurs, je devrai sans doute mettre Ă jour ma thĂšse. Car une gĂ©nĂ©ration se dĂ©finit par un Ă©vĂ©nement fondateur qui nous atteint collectivement, sans faire de distinction entre classes socio-Ă©conomiques. Pendant la PremiĂšre Guerre Mondiale, tout le monde a vĂ©cu les tranchĂ©es, des fils dâouvriers aux grandes familles aristos. Le traumatisme commun a notamment marquĂ© cette gĂ©nĂ©ration par un antimilitarisme assez prononcĂ©. En ce sens, l'expĂ©rience commune du Covid-19 â et du confinement bien sĂ»r â peut tenir lieu d'Ă©vĂ©nement fondateur et inciter la jeunesse Ă revoir certaines choses dans leur approche du rĂ©el, mais aussi dans leur volontĂ© de transformer le futur. Reste que pour l'instant, il est trop tĂŽt pour tirer des plans sur la comĂšte.
Le Covid-19 nous a Ă©galement donnĂ©s Ă voir des initiatives citoyennes et des Ă©lans de solidaritĂ© quâon nâavait pas vus depuis longtemps. Et comme on approche de la fin de lâinterview, je voulais conclure notre discussion sur une note plus lĂ©gĂšre. AprĂšs avoir parlĂ© des nombreux risques et dĂ©rives de la civilisation du cocon, y a-t-il certains de ses aspects qui te rendent plus optimiste ?Â
On peut y trouver un message positif plus profond. Car au fond, cette culture du cocon traduit une volontĂ© d'apaisement, un besoin d'Ă©vacuer la nĂ©gativitĂ© et le conflit. Il y a donc quelque part une pulsion pacifique. Sauf que le monde est un peu plus complexe que ça et quâon ne peut pas pacifier tout seul dans son coin. Elle illustre Ă©galement un fort besoin de communautĂ© qui peut nous amener Ă envisager les limites du culte de lâindividu roi.
Je pense quâon gagnerait Ă actionner ces deux dynamiques sous-jacentes (volontĂ© d'apaisement et besoin de communautĂ©), mais dans un sens plus collectif. Car la civilisation du cocon a cette facultĂ© de rĂ©trĂ©cir le monde. Et je pense qu'il faudrait essayer d'utiliser davantage ces deux leviers positifs dans une optique d'expansion de ce dernier. Car pour lâinstant, câest toujours le rĂ©trĂ©cissement qui gagne.
Excellent, ce sera le mot de la fin. Je crois que je ne verrai plus jamais le mot âcoconâ de la mĂȘme façon (rires). Plus sĂ©rieusement, câest une discussion que jâai trouvĂ©e passionnante et qui mâa donnĂ© envie de creuser davantage le sujet. Alors un grand merci Vincent, et je te dis Ă bientĂŽt !
4 chiffres sur le cocon, choisis par Vincent :
60 % : âCâest le temps que nous estimons passer en intĂ©rieur (soit 16 heures par jour). La rĂ©alitĂ© est que nous vivons en moyenne 90 % de notre temps entre quatre murs, soit plus de 21 heures par jour.â
Source : YouGov - Indoor Generation (Avril 2018)
68% : Câest la part des Français qui estiment « quâon doit tout faire pour tendre vers le risque zĂ©ro » quand seulement 32 % admettent que « le risque fait partie de la vie ».â
Source : Ătude Sociovision
3/4 : âCâest la part des enfants qui Ă©volueraient moins dâune heure par jour en extĂ©rieur, soit un temps infĂ©rieur Ă celui dâun prisonnier contraint de passer au moins 60 minutes hors de sa cellule.â
Source : The Guardian (mars 2016)
71% : âCâest la part des Français qui rĂ©pondent par lâaffirmative Ă la question : « diriez-vous quâon nâest jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ou quâon peut faire confiance Ă la plupart des gens ? ».â
Source : CEVIPOF, BaromĂštre de la confiance politique (avril 2020)
đźÂ KNOWLEDGE IS POWER⊠Maintenant vous savez !
à savoir que le temps de parole entre les forces du Bien et du Mal a été respecté.
Chouchou : Lâun de mes moments prĂ©fĂ©rĂ©s de 2021 a Ă©tĂ© de recevoir Sari Azout en interview [cf. PWA #35]. Ce mois-ci, câĂ©tait au tour du collectif Every de poser les questions. Et le rĂ©sultat est une nouvelle interview bluffante de sagesse, entre santĂ© mentale, capital Ă©motionnel et expĂ©riences personnelles. Et comme si ça ne suffisait pas, la reine du rabbit hole vient de sortir sa propre bible de Web3. Rien que ça !
Ceci explique cela : Certains des meilleurs conseils dâĂ©criture se trouvent du cĂŽtĂ© de la science. Cet article de Harvard Business Review rĂ©sume plusieurs rĂ©sultats de recherche sur la rĂ©action dâun cerveau humain aux charmes de la plume. Et comme toujours avec lâĂ©criture, les effets sont bĂ©nĂ©fiques Ă tous les niveaux de votre vie.
Original Gangster : Peter Thiel est Ă mes yeux â et Ă plus dâun titre â lâune des personnalitĂ©s qui a eu le plus dâimpact sur notre sociĂ©tĂ© lors de ces trois derniĂšres dĂ©cennies. Parfois pour le meilleur, mais souvent pour le pire. Comme ce portrait fabuleux publiĂ© dans le New York Magazine le dit, câest âla figure la plus influente de lâindustrie la plus influente au mondeâ. Une excellente lecture qui revient sur sa jeunesse tourmentĂ©e, son entrĂ©e fracassante dans la vie dâadulte, et sa philosophie de vie aussi radicale que controversĂ©e.
Lisan al Gaib : Si lâadaptation colossale de Dennis Villeneuve ne vous a pas (encore ?) convaincus, alors peut-ĂȘtre que cette chouette vidĂ©o de TED-Ed le fera. Bref, vous voyez oĂč je veux en venir : lisez Dune, de Frank Herbert.
đŁÂ PETITES ANNONCES⊠Missions freelances & CDI
Pour relayer une mission freelance ou une offre en CDI :Â benjamin.perrin.pro@gmail.com
Hopaal recrute un(e) Copywriter et un(e) Social Media Manager.
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Ubble cherche un(e) Content Manager.
Malt recrute un(e) UX Writer.
đŁÂ MEANWHILE⊠Lâactu de la communautĂ©
Et vous, ils ressemblent Ă quoi vos projets du moment ? Ăcrivez-moi pour mâen parler et apparaĂźtre dans la prochaine Ă©dition : benjamin.perrin.pro@gmail.com
Quentin analyse les nouvelles économies de l'information et des médias.
Laetitia a interviewé Azeem Azhar (!).
Samuel et Alexis ont publié le teaser de leur projet Série Indés.
Marine a lancé le crowdfunding du 2Úme numéro de la revue Pays.
Yoann a créé une formation aux finances personnelles avec LiveMentor.
RenĂ©e a gagnĂ© un concours de nouvelle â et a Ă©tĂ© publiĂ©e.
Aliens et les Garçons ont démarré (en fanfare) leur 4Úme saison.
DERNIĂRE CHOSEâŠ
AprĂšs une course aux invitĂ©s effrĂ©nĂ©e en ce mois de rentrĂ©e, Octobre sâannonce plus maĂźtrisĂ©. Et je peux vous dire que jâai eu la confirmation dâune plume que je voulais absolument interviewer cette annĂ©e. Mieux encore : le thĂšme de notre (future) conversation forme une excellente transition parfaite avec cette Ă©dition.
Alors Ă trĂšs vite pour une interview anti-cocon,
May the words be with you,
Benjamin
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