Les premiers mots d’une édition de PWA sont souvent les derniers que j’écris avant de publier. Et aujourd’hui, je dois bien admettre que je ne sais pas par où commencer. Moins d’un mois après ma dernière publication, difficile de ne pas avoir l’impression que l’Histoire s’est accélérée à vitesse grand V. Que l’on assiste à la fin d’une ère sans savoir laquelle va émerger. Ou encore que notre chère fenêtre d’Overton s’élargit un peu plus chaque jour, à grand renfort de discours politiques éhontés.
La dédiabolisation de l’extrême-droite était le sujet de ma première interview de l’année. Ma conversation avec Vincent Edin [cf. PWA #77] me semble à la fois si proche et si loin. Six mois plus tard, les termes ont encore changé. Le mot “Extrême” s’accorde partout au pluriel — quoi qu’en dise le Conseil d’État. Et c’est un nouveau “Front” qui se pose désormais en seul vrai rempart face au Rassemblement National.
Mais au milieu de tout ça, il y a aussi de la joie. Je l’ai vue défiler dans la rue, s’afficher sur les murs, accompagner mes lectures, et même s’inviter dans mon interview du mois. Le titre de cette édition est d’ailleurs une formule directement empruntée à notre nouvelle invitée. Et alors que je ne savais pas comment démarrer cet édito, je pensais encore moins le conclure sur ça. Même si on reparlera de tout le reste plus bas.
Bonne lecture,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Margaux Cassan
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Margaux Cassan, qui est philosophe, chercheuse et autrice d’un essai hybride sur le naturisme publié chez Grasset, Vivre Nu. Je suis ravi d’avoir saisi ma chance le temps d’un dernier cycle de dédicaces pour lui proposer d’être ma nouvelle invitée. Ce qui vaut à PWA le privilège d’être le premier média dans lequel elle parle de son prochain livre à venir cet automne. Tous les ingrédients me semblent donc réunis pour vous proposer une interview de joie — malgré un contexte qui ne l’est pas.
Hello Margaux et merci d’avoir répondu à l’invitation ! C’est un plaisir de te recevoir aujourd’hui, alors que je viens de finir ton premier livre, Vivre Nu. Avant de parler du fond du sujet, le naturisme, j’ai envie de commencer par la forme de ton texte, qui est à mi-chemin entre l’essai philosophique et le récit personnel. Qu’est-ce qui t’a amenée à choisir ce type de narration ?
Avant de commencer à écrire, je n'avais en tête aucune forme de récit préétablie — pas plus que mon éditeur. J’ai donc eu la chance de ne me voir imposée aucune direction, ni du côté de l'essai ni de la fiction. Au départ, je voulais faire de la pédagogie sur ce qu’est le naturisme : à savoir un mouvement de vivre ensemble mêlant esprit de communauté, proximité avec la nature et liens intergénérationnels.
Comme je viens de la philosophie, j'ai cette tendance académique à vouloir remonter aux origines, retracer son histoire et revenir sur les différents courants de pensées associés. J’étais donc plutôt bien partie pour aller vers un format de type essai. Reste que l’histoire que je voulais raconter convoque des sensations physiques et un lien profond à la carnation.
Or, ça me semblait impossible de retranscrire cette expérience dans un essai. Mon rapport au naturisme passe avant tout par le corps et je voulais que ça se ressente à la lecture. D’où ma volonté de piocher dans différents registres, sans me mettre d’œillères. Je ne voulais pas avoir d’idées préconçues sur ce à quoi le livre était censé ressembler. Et au final, je trouve que le résultat reflète plutôt bien ce caractère hybride et composite du naturisme.
Dans le livre, on te suit de la petite enfance à l’âge adulte. Ça m’a évoqué un genre littéraire que j’aime beaucoup : le roman d’apprentissage. Par moment, j’y ai même vu certains liens avec le gonzo, mais sans ce côté voyeur qui lui est parfois associé.
Il y a un point important du livre qui n’est ni dans le roman d'apprentissage ni dans le gonzo : c'est le côté amoralité. À aucun moment je ne juge mon environnement dans le récit. Dans le roman d'apprentissage, il y a souvent ce parti pris de l’omniscience dans la narration pour mieux dérouler l’histoire et expliquer le passage à l’âge adulte.
Mais quand je repars de souvenirs de mes cinq ans, j’essaye de les raconter à hauteur d'enfant, c’est-à-dire avec toute la naïveté que je pouvais avoir à l’époque. Et je trouve que c’est également cette absence de distance avec le propos qui me sépare du registre sulfureux voire scandaleux que convoque souvent le gonzo. Au-delà de mon rapport affectif au naturisme, j’estime ne pas avoir le recul nécessaire pour faire du cynisme sur le sujet. On est donc plutôt sur une sorte de gonzo naïf (rires).
J’en déduis que ton idée de départ, c’était plutôt de parler du naturisme à travers ton récit personnel que l’inverse ?
Exactement, même si j’ai choisi d’écrire à la première personne. Quand on fait un tableau sociologique du naturisme, je me situe aux antipodes des clichés sur les personnes qui le pratiquent — contrairement à mes oncle et tante Anselme et Jeannette qui ont une place centrale dans mon récit et y correspondent davantage.
En tant que jeune et en tant que femme, je trouvais ça intéressant d’apporter un autre regard sur la pratique. D’autant plus que certaines thématiques comme la recherche d’utopie et d’égalité me semblaient absentes des discours dominants sur le sujet. Je suis d’ailleurs très attachée au titre du livre, Vivre Nu, et à ce prisme du naturisme comme façon de vivre et non façon d’être.
J’aurais pu m’attendre à ce que tu accordes le titre au féminin. Tu as hésité ?
Pas vraiment. Mais on me l'a beaucoup demandé, à commencer par mon éditeur. Je ne voulais pas que le livre soit associé à un récit de l'intimité. J'avais envie de faire un texte sincère et éprouvé sur la nudité, sans pour autant aller dans l’impudeur. J’aime aussi cette allure de slogan que peut avoir le titre, Vivre Nu. Je pense que toute personne qui s’aventure dans l'auto-fiction espère au fond d’elle que son récit résonne avec d’autres expériences personnelles voire universellement partagées.
Comme on est dans une newsletter sur l’écriture, j’ai très envie de t’entendre sur le parallèle entre deux démarches : celle de la nudité collective inhérente au naturisme, et celle de la mise à nu à travers les mots. Dans ton récit, tu évoques ton enfance, ta famille, ton corps, ta sexualité, ou encore tes insécurités. Dirais-tu que ton rapport à la nudité facilite cette sorte de mise à nu dans le texte ?
Si on a autant de mal à se montrer nu, c’est parce qu’on a l’impression de se dévoiler, avec cette sensation de pouvoir être percé à jour. Comme si retirer ses vêtements permettait aux autres d’accéder à notre intimité. Ce n’est pas l’expérience que j’ai de la nudité collective. À vrai dire, c’est même tout l’inverse.
Je ne me trouve jamais aussi anonyme qu’en étant nue au milieu de personnes qui le sont aussi. En même temps, c’est très difficile de qualifier quelqu’un dans sa nudité quand c’est la norme pour toutes les autres personnes autour. En ce sens, je trouve que le naturisme est plus une façon de se cacher que de se montrer.
À mes yeux, écrire sur soi est davantage synonyme de dévoilement. Il me semble tout de même important de rappeler qu’il y a une forme de contrôle sur le récit. Ça reste un discours sur soi qu'on maîtrise, dans lequel on va occulter que ce qu'on n’a pas envie de partager. Et à mon échelle, je ne me suis pas sentie dépassée par l’histoire que j’avais envie de raconter.
Vivre Nu, c’est un texte de joie — j’y tenais pour mon premier livre. Et ça me semble plus facile de défendre une intimité joyeuse plutôt que tragique ou douloureuse. C’était d’autant plus important pour moi que la plupart des récits intimes sont davantage le fruit d’un drame ou d’une blessure enfouie.
À l'échelle de ta vie, tu parles du naturisme comme d’une thérapie. Or, c’est un bienfait qu’on associe souvent à l’écriture — moi le premier. D’où ma question : qu’est-ce que ça t’a apportée d’écrire sur le sujet ?
Entre le moment où j'ai commencé à écrire le livre, le moment où il a été publié et aujourd'hui alors que je continue à en parler, ma réflexion a beaucoup évolué. Et ce rapport béat au naturisme que je pouvais avoir plus jeune, je tenais à le retranscrire dans les trente premières pages.
J’ai voulu garder ce regard d’enfant en début de livre afin de créer une chronologie qui corresponde à mon propre cheminement mental. Et si les ellipses temporelles font que je grandis forcément plus vite dans le récit que dans la vie, j’estime ne plus être la même personne depuis que je l’ai écrit.
Au-delà de mes choix de narration, j’étais moi-même incapable de prendre ce recul au moment où je me suis lancée dans le projet. C’est par l’écriture que s’est développé mon regard critique sur certains fondements, contradictions et dévoiements de ce mode de vie. Ça aura donc été une vraie introspection, aussi bien sur ma propre expérience du naturisme que sur le mouvement en lui-même.
Cette prise de conscience dans le récit vient aussi rappeler que c’est un mouvement avant-gardiste menacé par l’expansion capitaliste de l’industrie touristique.
Par définition, le naturisme traditionnel est un mouvement de sobriété. Les gens dorment en tente ou en bungalow, font leurs courses dans de petites boutiques où il y a le minimum syndical, et ça leur suffit. Il n’y a ni toboggans, ni jeux pour enfants, juste la nature. Ce n’est donc pas très compatible avec la recherche du profit, ce qui explique que le mouvement survit essentiellement grâce à des réseaux associatifs.
Alors quand un groupe de camping comme Capfun rachète une zone naturiste comme Bélézy, c’est évident qu’ils ont tout intérêt à la transformer pour la rentabiliser. Et je ne peux même pas leur reprocher ça : ce n’est qu’une entreprise qui obéit à la logique capitaliste. En revanche, je pense le naturisme ne doit pas chercher à rentrer dans cette économie. Ce serait renier ses origines et les valeurs qui font son histoire.
Comment a été reçu le livre par la communauté naturiste ?
Ce qui me faisait le plus peur, c'était la réaction d'Anselme et Jeannette. Ce sont des gens que j'aime énormément et que j’avais peur de trahir en écrivant sur leur mode de vie. Je sais qu’ils tiennent à la discrétion, qui est d’ailleurs une valeur centrale dans le mouvement naturiste. Alors quand j’ai reçu le mail de mon oncle qui me disait qu’il avait été très touché par le livre, je me suis sentie comme adoubée. L’essentiel était là : tout le reste, je m’en foutais.
Le livre a également été bien accueilli au sein de la communauté naturiste, à quelques rares exceptions à la marge. En même temps, c’est un récit qui dénote vis-à-vis du traitement médiatique habituel sur le sujet, qui est souvent racoleur et loin de la réalité. Donc je suis contente que les journalistes aient pu saisir l’opportunité d’en parler autrement, avec un autre prisme que celui de la moquerie.
J’ai d’ailleurs été surprise de voir autant de femmes s’emparer du sujet. Tu es seulement le deuxième homme à m’interviewer sur le livre depuis sa sortie il y a plus d’un an. Mais si j’avais envie de sensibiliser sur la notion d’utopie égalitaire dans le naturisme, ce n’est pas forcément l’angle principal qui a été retenu par les journalistes.
Ceci dit, je suis ravie que les sujets autour du rapport au corps et de l’émancipation au regard de l’autre aient pu résonner auprès de nombreuses femmes. Pour certaines, cela a pu faire écho à cette nécessité de se réapproprier leur corps suite à un événement survenu dans leur vie. Et à mes yeux, la nudité permet de réparer certaines blessures du passé. Être naturiste, c’est affirmer que notre corps est à nous seule — et n’appartient à personne d’autre.
Je voulais justement revenir avec toi sur un paradoxe que tu abordes dans le livre. Cela concerne la supposée invisibilisation des corps dans le naturisme. Et ça peut sembler logique au premier abord : on a souvent entendu dire que montrer la nudité au naturel est une façon de la désexualiser. Reste que dans Vivre Nu, tu reconnais que le regard occupe une place centrale dans le naturisme. Ce serait dans l’indifférence des autres à sa nudité que viendrait l’approbation de son corps — quel qu’il soit. Tu écris que ce sont les regards extérieurs qui contribuent malgré eux à accepter son apparence voire ses différences. Mais que t’as appris la pratique du naturisme sur ton propre regard ?
Il y a un problème très courant avec le regard, aussi bien celui qu’on pose sur soi que sur les autres, c'est ce qu'on appelle le dysmorphisme. C’est ce fameux effet de zoom qui resserre la focale sur ce qui nous dérange voire nous complexe. C’est par exemple ce petit bouton sur le visage qui nous fait dire qu’on “ne voit que ça” quand on se regarde dans un miroir. Selon les personnes, ça peut bien sûr aller beaucoup plus loin dans l’autocritique.
Reste que face à une multiplicité de corps nus, on se retrouve forcément exposés à différents types de morphologies, de grains de peau, de cicatrices aussi. Dans cette situation, l’effet de zoom a tendance à disparaître — que ce soit sur son propre corps ou celui des autres. Et c’est une bonne nouvelle pour tout le monde, dans le sens où ça vient casser les attentes qu’on peut avoir sur ce à quoi il devrait ressembler.
Ce qui me fascine dans le naturisme, c’est cette frontière souvent vague entre les corps de personnes qui ne sont pas du même genre. Il y a une telle diversité en termes de morphologies que la distinction femme-homme est parfois très floue sur le plan physiologique. Et en tant que femme, je trouve ça extrêmement rassurant.
Entre mes dix-huit et mes vingt-quatre ans, j’avais tendance à établir une séparation très nette entre les genres — qui se nourrissait essentiellement de ma peur des hommes. Il y a donc un certain soulagement à voir cette distinction disparaître dans ce flou. Ça a profondément changé mon rapport à l’autre.
Aujourd’hui encore, je trouve que les discours dominants accentuent énormément les différences entre les hommes et les femmes — en termes de physiologies, mais aussi de comportements. Comme ces distinctions de corps sont gommées dans un cadre de nudité collective, je vois moins d’écarts dans les façons de se comporter, ce qui contribue à rendre les interactions plus fluides pour tout le monde.
J’avais été particulièrement marqué par un passage dans lequel tu dis que “dans un village naturiste, un homme est une femme comme une autre”.
J'ai conscience que la formule peut sembler exagérée, mais elle reflète vraiment l’évolution de ma pensée. Pour moi, la masculinité dite toxique est avant tout une affaire de phallocentrisme. Quand tu retires de l’équation cette matérialisation du désir par l’érection, le résultat est un corps masculin qui n’a rien de particulièrement menaçant dans sa naturalité. On a besoin de représentations d’hommes sans armures, caractérisés par leur vulnérabilité qui les rapproche des femmes plutôt que par cette étiquette de prédateurs qui les en éloigne.
Ton récit me semble d’ailleurs aussi bien s’adresser aux femmes qu’aux hommes. Spontanément j’aurais pu m’attendre à un angle plus féministe, là où tu m’as davantage surpris en parlant davantage d’écologie et de végétarisme.
Oui, j’ai voulu revenir sur les liens évidents — hélas pas souvent mis en avant — entre naturisme et écologie. Je suis d’ailleurs convaincue que c’est un argument qui attirerait davantage de jeunes vers ce mode de vie. Dans le naturisme, il y a une notion de juste mesure, entre minimalisme et refus de l’hubris. À ses origines, on retrouve d’ailleurs une opposition aux abus de l’ère industrielle.
C’est à la fois valable vis-à-vis du secteur pharmaceutique que de l’agroalimentaire. À savoir aussi que le naturisme est né en même temps que la malbouffe. Et là où la société lui a longtemps associé le côté pratique de passer moins de temps en cuisine, le mouvement naturiste y a toujours été fermement opposé. À l’origine, ce sont des anarchistes à l’avant-garde de la contestation du système capitaliste.
Ils ont compris très tôt que la viande et le sucre allaient devenir les nouveaux opiums du peuple. D’où la place centrale du végétarisme dans les racines du mouvement. Ce sont des liens que j’avais sous-estimés avant d’écrire mon livre et je suis heureuse de leur avoir redonné une place dans les discours actuels sur le naturisme.
De façon plus anecdotique, il y a un autre élément que j’ai été surpris de retrouver dans le récit. C’est la présence répétée de l’animal symbole de ma newsletter : le paon. J’ai même appris l’existence du poisson paon grâce à toi. Et je ne te remercierai jamais assez pour ça (rires). Forcément, ça m’a inspiré une question sur le sujet. C’est un oiseau qui évoque le regard, la parade, la transformation, mais aussi l’habit. Pour reprendre l’expression du livre qui qualifie les non-naturistes, je trouve que c’est un animal très “textile” quand on y réfléchit. Au-delà d'en avoir côtoyé un pendant ton enfance à Bélézy, as-tu trouvé un lien symbolique entre le paon et le naturisme ?
Au départ, c'est vraiment innocent. Ça convoque un souvenir d'enfance qui est quasiment à l'origine du livre. Encore une fois, j'avais envie d'écrire un texte de joie. Mais ce n’est pas forcément la première émotion qui me vient en tête quand je pense à mon enfance. C’est plutôt le naturisme qui aura été mon îlot de joie.
Pour l’anecdote, à cinq ans je faisais à peu près la taille d’un paon. C’est un animal qui incarne à merveille la beauté de la nature, mais aussi le danger qu’elle peut représenter pour un enfant. Et s’il y a bien une leçon que j’ai retenue de mon enfance, c’est “Attention au paon !” (rires).
On a parfois une idée assez angélique de la nature. Mais vivre nu à son contact, c’est aussi faire l’expérience de ses aspérités, de sa violence. Ça peut paraître simpliste à rappeler, mais l’herbe ça gratte, les pierres ça coupe, les orties ça pique, et un paon ça donne des coups de becs. Il y a dans le naturisme un certain rapport à sa propre vulnérabilité. Et le paon est sans aucun doute l’animal qui m’a le plus influencée dans mon rapport d’égalité à la nature.
Génial ! Je te propose de rester dans la symbolique pour la dernière question. Tu as récemment annoncé que ton prochain livre [à paraître le 9 octobre, toujours chez Grasset] portera lui aussi sur le corps, plus précisément sur la peau et le bronzage. Comme j’avais cette information en tête au moment de lire Vivre Nu, ça m’a forcément marqué de voir que la dernière phrase du livre finit par “rôtir au soleil”. Tu avais déjà cette idée en tête quand tu as rendu ton premier manuscrit ?
C’est la première fois que je parle dans un média de mon prochain livre : Ultraviolet. Je le vois comme le second volet d’un diptyque qui représentera les deux facettes de ma famille autour du sujet du corps. Mais là où Vivre Nu traite de la quête du retour à la naturalité, Ultraviolet sera sur le corps performé. Ce sont deux univers entre lesquels je me sens écartelée.
Il y a d’une part celui d’Anselme et Jeannette qui m’a bercée et dans lequel je retrouve beaucoup de joie, que ce soit dans sa dimension éthique et édénique. De l’autre, il y a celui de ma mère qui a pris un autre chemin que je veux raconter. Cette question de création d’univers est d’ailleurs une vraie obsession dans ma démarche littéraire.
Or, le lien entre ces deux mondes, c’est justement le soleil. Dans Vivre Nu, j’évoque sa douceur, avec pour image les premiers rayons du matin sur la peau nue. Si le choix des derniers mots du livre est sans doute inconscient, Ultraviolet fera bel et bien référence au soleil qui crame et à la peau qui rôtit.
C’est un récit qui s’inscrit dans la littérature des transfuges de classe. Dans son livre En finir avec Eddy Bellegueule, Edouard Louis raconte très bien les transformations inhérentes à l’ascension sociale, que ce soit dans sa façon de parler, de se tenir, ou encore de rire. J’ai voulu approfondir ce sujet autour des implications sur le corps.
Le changement de classe sociale de ma mère s’est cristallisé dans la transformation de sa peau — et en particulier de son teint. J’ai voulu écrire sur cette obsession du bronzage couleur caramel, véritable symbole de réussite dès les années 80 pour les gens qui avaient les moyens de partir en vacances.
Rappelons au passage que transformer son corps pour paraître riche aux yeux des autres coûte très cher, que ce soit pour le sculpter ou l’entretenir à base de crèmes, de soins et d’UV. Hélas, ça peut aussi se payer par le cancer [de la peau]. C’est ce qui s’est passé pour ma mère. Et c’est aussi l’événement à l’origine d’Ultraviolet.
Il y a une dimension presque mythologique dans le parcours de ma mère, que j’associe beaucoup au personnage d’Icare — qui se brûle littéralement les ailes à force de s’approcher trop près du soleil. Ultraviolet reviendra donc sur cet amalgame entre élan de vie et pulsion de mort que cache cette obsession de la transformation du corps.
Voilà qui donne envie de découvrir cette autre dimension de ton univers littéraire en pleine expansion. Félicitations Margaux, j’ai déjà hâte de le lire ! Et surtout, je te dis un grand merci pour cette conversation. À très bientôt !
4 interviews de PWA sur des sujets voisins :
PWA #71 avec Zoë Dubus : sur l’histoire des thérapies psychédéliques
PWA #67 avec Marie Kock : sur la mise à nu dans le récit intime
PWA #51 avec Thomas Firh : sur l’aventure en pleine nature
PWA #39 avec France Ortelli : sur le journalisme gonzo
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Une rubrique spéciale dissolution et anti-désinformation.
Délire total ? L’an dernier, il était invité sur tous les plateaux lors de la réforme des retraites. L’économiste spécialiste des politiques sociales et fiscales, Michael Zemmour, est repassé chez Blast pour une interview avec Salomé Saqué [cf. PWA #69]. Tous deux sont revenus sur le programme ambitieux du Nouveau Front Populaire [voir la synthèse par Bon Pote], ainsi que sur les commentaires fleuris que celui-ci a pu susciter dans les hautes sphères. De toute évidence, à voir avant dimanche !
Bollorisation des esprits : C’est un terme qui m’a marqué dans un entretien pour The Conversation entre la journaliste Clea Chakraverty et l’historien de la presse, Alexis Lévrier. En retraçant l’ascension du milliardaire Vincent Bolloré dans le paysage politique français, celui-ci montre que le tapis rouge déroulé à l’extrême-droite va hélas bien au-delà de ses propres médias. Et pour aller plus loin, je vous conseille cette excellente analyse vidéo par la journaliste Pauline Perrenot (Acrimed).
Peur panique : “L’antisémitisme est un fléau. Une ignominie qui doit être combattue avec la plus grande force et une détermination implacable”. Ainsi débute une longue tribune collective publiée sur le média indépendant Au Poste. Au cœur du propos : la réfutation des raccourcis calomnieux et instrumentalisés sur le supposé antisémitisme de La France Insoumise — sans minimiser les mots et silences qui ont pu blesser. Une lecture importante, que vous pouvez compléter par cet échange entre les voix principales du projet : les historiens Ludivine Bantigny et Jeremy Rubenstein, ainsi que le magistrat Albert Lévy.
🗣 MEANWHILE… L’actu des plumes
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Sarah a tiré le portrait de Timothée Parrique pour Socialter.
Thomas a lancé un mouvement d’entrepreneurs contre l’extrême-droite.
Gladys a répondu à une interview sur son rôle chez DesignGouv.
William a ouvert les candidatures de sa résidence verte pour freelances.
Anaelle et Alice sortent une BD sur les handicaps invisibles.
Kéliane se met au format interview avec Léonore de Roquefeuil.
Patrick veut ressusciter le terme de “défaculté”.
Julia a invité Laura dans sa newsletter pour parler littérature et IA.
DERNIÈRE CHOSE…
Pour ne rien vous cacher, cette édition aura été plus délicate que d’autres à publier. Car si c’est une chose de traiter de sujets politiques en interview, c’en est une autre d’exprimer son opinion à la première personne dans une newsletter envoyée à plus de trois-mille lecteurs. Pour autant, ce serait pour moi impensable de ne pas le répéter ici : il est plus que jamais urgent de s’opposer dimanche au Rassemblement National.
Je respecte d’autant plus celles et ceux qui appellent au barrage contre l’extrême-droite quand leurs audiences se comptent en millions. Reste que cela n’est ni réservé à certaines personnes, ni à certains formats, ni à certains combats. Pour la plupart d’entre nous, c’est souvent à petite échelle, lors de discussions informelles et dans la sphère privée que les arguments qui vont compter peuvent se trouver. Jusqu’à cette newsletter publiée aujourd’hui, ça aura été mon parti pris. Et si vous le souhaitez, il y a plein de possibilités pour que ce soit le vôtre aussi.
Faire ou prendre (vite) une procuration, appeler un ami qui s’est abstenu aux dernières élections, prendre des nouvelles dans sa famille, aborder les sujets politiques qui vous touchent dans une conversation de groupe… Quand bien même cela pourrait donner lieu à des moments gênants, c’est un moindre mal comparé à l’arrivée de l'extrême droite au gouvernement. C’est sans doute aussi un bon moyen de faire une petite place à un besoin on ne peut plus humain : l’espoir. Alors à vos mots, à vos plumes, et en nous souhaitant beaucoup de courage pour les jours à venir.
May the words be with you,
Benjamin
Plumes With Attitude est une newsletter indépendante sur l'écriture au sens large, entre interviews de plumes de tous horizons et curation de haut vol. Retrouvez toutes les éditions sur Substack et suivez les débuts de PWA sur Instagram.
Il me tarde de lire « ultraviolet »! Bravo pour cet article 👏
En un mot, merci.