En trois ans et demi d’activité, j’ai le sentiment d’avoir publié souvent à rebours, parfois en avance, et très rarement à pic. Une fois n’est pas coutume, je pense avoir visé à l’intersection de trois actualités : celle de mon invitée, la mienne, ainsi que la grande actualité — pour le moins chargée.
Je pense que nous sommes nombreux à avoir vécu ce mois d’avril comme celui de l’incompréhension, de la colère, du découragement. Et si je ne me suis jamais considéré comme militant, il aura été pour moi très propice aux questionnements.
Première fresque grâce à un cher ami, première manifestation (oui oui), premières soirées de soutien à des mouvements en menace de dissolution : je me suis senti plus que jamais exposé à d’autres regards et prismes d’analyse de notre société.
Ma nouvelle invitée — qui ne se considère pas non plus comme militante — pense qu’il est illusoire et vain de revendiquer la neutralité en tant que journaliste. Et si on étendait ce raisonnement à tous types de médias ?
Côté PWA, j’ai justement le sentiment que ma sélection d’invités et de sujets portés ne s’est jamais aussi bien portée qu’en 2023. Alors je ne le dis sans doute pas avec la voix de la neutralité, mais j’ai le sentiment d’être sur la bonne voie.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Salomé Saqué
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Salomé Saqué, qui est journaliste économique au sein de mon média indépendant préféré, Blast, mais aussi sur France Info, France 5 et Socialter. Notre interview fait suite à la sortie de son premier livre à seulement 27 ans : Sois jeune et tais-toi, aux éditions Payot. Et c’est donc avec une joie non dissimulée que je vous dévoile une conversation que j’avais hâte de publier — et que je vous invite à partager à vos aînés. Bonne lecture !
Bonjour Salomé et merci beaucoup pour avoir répondu à l’invitation ! Je suis très heureux de te recevoir aujourd’hui, soit quelques semaines seulement après la sortie de ton premier livre. Newsletter sur l’écriture oblige, j’ai souvent pour habitude de démarrer mes interviews en repartant de certains mots de mes invités. Je te propose donc de revenir sur ceux que tu as choisi pour le titre de ton livre : Sois jeune et tais-toi. Certains y reconnaîtront le slogan de Mai 68, d’autres l’associeront peut-être davantage à l’expression sexiste dont il est dérivé : “Sois belle et tais-toi”. Alors je me demandais, à quel moment ce titre s’est-il imposé à toi ?
Je l'avais en tête depuis longtemps, bien avant l’écriture du livre. Pour être tout à fait honnête, je ne savais pas que c’était un slogan de Mai 68. J'avais l'impression d'avoir eu une idée de génie en voulant détourner l’injonction “Sois belle et tais-toi”... avant de réaliser que je n’étais évidemment pas la première à y avoir pensé. Mais quand j’ai appris que c’était un slogan utilisé en Mai 68, ça n’a fait que me conforter dans mon impression que ce choix de titre était le bon. Ça me permet de faire un clin d’œil à la génération des soixante-huitards à qui ce livre s’adresse en priorité. C’est une façon de les inviter à ne pas reproduire les erreurs qu’ils ont eux-mêmes dénoncées par le passé.
Ton livre revient sur une réalité qu’on peut avoir tendance à oublier, à savoir que les jeunes sont une minorité — notamment sur le volet politique. Car s’il est de bon ton de pointer du doigt leur haut niveau d’abstention à chaque élection, tu rappelles très justement que la pyramide des âges en France fait qu’ils sont avant tout une minorité démographique. Autrement dit : qu’ils votent ou non, ils représenteront toujours moins de votes que leurs aînés. À côté de ça, les jeunes représentent une minorité à risque, avec une exposition supérieure au chômage et à la précarité, ainsi qu’aux dégâts actuels et futurs sur le climat et la santé mentale. Autant dire que ça fait déjà beaucoup… mais ce n’est pas tout ! Car en plus de ça, de nombreux éditorialistes et de personnalités politiques les taxent de “fragiles”, de “victimes” ou encore de “chochottes”. Donc au-delà d’être indécent, ça me semble important de rappeler que c’est complètement infondé. Mais comment expliquer le déchaînement médiatique que subissent les jeunes ?
Les jeunes constituent de parfaits boucs émissaires en temps de crise. On l'a notamment vu pendant la pandémie, quand ils ont été réduits à de vulgaires propagateurs de virus par de nombreux médias plutôt que d'être considérés comme une classe d'âge sacrifiée. Accordons-nous sur le fait que ce n'est pas la même chose d'être confiné chez soi à soixante-dix ans que quand on en a vingt. Pour moi, on a clairement minimisé voire fermé les yeux sur toutes les formes de souffrances que tout cela a pu engendrer chez eux.
Dans mon livre, je reviens sur la traque médiatique autour de certaines fêtes étudiantes — qui ont valu à l’ensemble des jeunes de nombreuses critiques très virulentes. Évidemment, ces mêmes médias n’ont à aucun moment salué l’effort collectif que représente le fait de sacrifier une partie de sa jeunesse pour préserver la vie des plus âgés. Sans oublier qu’il y a eu un grave déficit de politiques publiques à leur égard, notamment en comparaison à la priorité donnée à leurs aînés.
Les critiques sont également au rendez-vous quand il s’agit de pointer du doigt la propension de certains d’entre eux à dénoncer les dysfonctionnements et schémas de domination à l’œuvre dans notre société. Je trouve ça fou de reprocher à une partie des jeunes leur rejet du racisme, du sexisme et d’autres formes de discrimination en parlant de victimisation ou de “wokisme”. Je tiens à insister sur le fait que cela ne s’applique pas à tous les jeunes, qui ne sont pas tous politisés — et au-delà de ça, ne partagent évidemment pas tous les mêmes idées.
Faire passer les jeunes pour des victimes est donc un moyen facile et détourné de disqualifier leurs revendications. C’est d’ailleurs bien pratique, dans le sens où ça évite de poser la question de l’origine et du bien-fondé de ces revendications. Et surtout, ça évite de remettre en cause le système construit par une partie des générations précédentes dans le passé. Encore une fois, j’insiste sur le fait que cela ne s’applique pas à l’ensemble d’une classe d’âge mais seulement à certains de leurs aînés.
Tu évoques le fameux wokisme et ça me fait penser qu’une bonne partie de l’argumentaire autour de la soi-disant victimisation des jeunes est souvent utilisé à l’encontre d’une autre “minorité” oppressée : les femmes — en particulier les militantes féministes [cf. PWA #58 avec Fanny Vedreine]. Tu revendiques toi-même un fort engagement à ce niveau, que tu exprimes aussi bien dans ton métier de journaliste que sur les réseaux sociaux. Dans Sois jeune et tais-toi, tu parles bien sûr de féminisme… mais peut-être pas autant que ce que j’aurais imaginé. Bien sûr, je me suis dit que c’est un choix mûrement réfléchi et je suis très curieux d’en savoir plus sur la question. Pourquoi ne pas avoir donné plus de place aux enjeux féministes dans Sois jeune et tais-toi ?
Oui, c’est un choix qui a été mûrement réfléchi et que j’ai fait pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je ne voulais pas ouvrir trop de portes que j’aurais eu du mal à refermer sans aller au bout de mes idées. Bien sûr, l'enjeu était aussi d’éviter que le livre fasse 800 pages. Alors même si la question de l'égalité femmes-hommes est un autre de mes combats, j’ai préféré me concentrer sur les questions économiques, les enjeux écologiques, ainsi que sur la santé mentale des jeunes. Je précise que ça ne veut pas dire que je trouve qu’il y a une priorité ou une hiérarchisation à établir entre ces différents combats.
Reste que la question de l’urgence climatique pose une menace existentielle d’une ampleur sans précédent. Si on ne fait rien, ce sera irréversible pour l’ensemble de l’humanité — toutes générations confondues. Ceci dit, elle illustre aussi une véritable source d’inégalités intergénérationnelles, entre des personnes qui ne verront pas forcément de conséquences sur leur quotidien de leur vivant, et d’autres qui verront leur vie profondément affectée par les catastrophes à venir. C’est très différent des inégalités femmes-hommes par exemple, qui sont transgénérationnelles, et donc communes à toutes les classes d’âge.
Enfin, la prise en compte de ces deux menaces dans le droit français n’est pas du tout la même. Dans la loi française, hommes et femmes sont égaux : c’est l’application concrète de cette égalité qui pose problème. Du côté du climat, sur le volet juridique… on n’en est hélas pas encore là. Ça s’explique notamment par des politiques qui ne sont pas du tout à la hauteur de l’urgence écologique.
Reste que le féminisme se heurte lui aussi à un mur d’incompréhensions, en particulier chez de nombreux médias conservateurs, qui restent une source d’information majeure pour une partie des plus âgés. Malgré leurs différences, il existe donc un certain nombre de points de convergence entre ces deux combats. Mais ce sont des questions qui méritent un livre entier sur le sujet.
Les jeunes ont malgré tout un avantage non négligeable face à leurs aînés, à savoir une maîtrise bien plus avancée d’internet et de ses différentes possibilités — même s’ils y sont aussi plus exposés. Et en dépit de dégâts prouvés sur la santé mentale (en particulier chez les adolescentes), les réseaux sociaux ont également joué un rôle-clé en matière d’éducation, de libération de la parole et de coordination de l’action collective. En ce moment, on assiste à l’émergence d’une autre arme à double tranchant qui risque d’amener de grands chamboulements : l’intelligence artificielle. Que t’évoque l’extrême accessibilité d’IA très sophistiquées comme ChatGPT vis-à-vis de l’utilisation que peuvent en faire les jeunes ?
Je t’avoue ne pas m’être suffisamment penchée sur la question pour pouvoir apporter une analyse digne de ce nom. Mon avis sera peut-être amené à changer, mais à titre personnel, c’est une nouvelle qui m’effraie plus qu’elle ne me réjouit. J’ai le sentiment que ça peut créer une révolution à l’origine d’une profonde transformation de la société. Une révolution qu’on ne peut aujourd’hui ni mesurer ni maîtriser. Et c’est précisément ça qui a tendance à me préoccuper.
En ce qui concerne les jeunes, je n’ai pas encore assez de recul pour pouvoir envisager la question par le prisme générationnel. Ça me semble logique qu’ils s’en emparent plus rapidement que leurs aînés. Mais à côté de ça, nous allons tous être exposés à une prolifération sans précédent de fake news et d’images très réalistes générées par des IA. En tant que journaliste, je vois donc avant tout une accélération des problèmes inhérents à internet et aux réseaux sociaux en matière de bataille de l’information.
Ce que je trouve terrible, c’est qu’on semble n’avoir rien retenu de nos erreurs du passé. C’est comme si on s’obstinait à créer des monstres de Frankenstein sans réfléchir avant de les mettre entre toutes les mains. Et même si je ne possède pas d’expertise spécifique sur l’IA, j’ai comme l’impression que c’est une technologie qui ne va faire qu’intensifier la logique capitaliste et néolibérale de laquelle on est justement censés sortir de toute urgence vis-à-vis du climat et de la justice sociale.
J’ai eu l’occasion d’en parler il y a quelques mois avec Yann Ferguson, un chercheur français sur le sujet de l’IA [lire l’interview]. Celui-ci m’a fait prendre conscience que c’est un secteur qui représente surtout une véritable bombe à retardement en termes d’empreinte carbone. Donc, il y a là aussi de quoi être très préoccupé… Mais revenons-en à nos aînés ! Dans ton livre, tu soulignes l’importance de la solidarité intergénérationnelle face aux nombreuses urgences actuelles. La question que je vais te poser est volontairement provocatrice. J’imagine que pour un certain nombre de personnes, la solidarité intergénérationnelle peut se résumer à faire de son mieux pour aider ses enfants voire petits-enfants. Que réponds-tu à ceux qui disent faire leur part en se concentrant sur le seul fait de soutenir leur famille ?
C’est une chose de faire sa part sur le volet individuel, mais cela ne doit pas nous empêcher d’admettre qu’il y a avant tout un problème structurel. La question de l’inégalité intergénérationnelle face au dérèglement climatique a par exemple été mise en avant dans la synthèse du dernier rapport du GIEC parue il y a quelques semaines. De la même façon, on ne peut pas balayer la question des luttes féministes en se contentant de dire qu’on n’a jamais agressé personne. Ceci dit, c’est un bon point de départ pour s’interroger sur l’étendue de “faire sa part”. Au fond, qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui “aider les nouvelles générations” ?
Et tu as raison : il y a plein de gens qui n'envisagent la solidarité intergénérationnelle que dans la sphère familiale — même si encore une fois, ce n’est pas le cas pour tout le monde. À noter que ce soutien passe souvent par le prisme de l’argent. Sauf qu’il faut se rendre à l’évidence : la solidarité financière au sein de la famille ne suffira pas à protéger ses propres enfants et petits-enfants des catastrophes à venir sur le climat et la biodiversité. Certes, ça pourra leur apporter un avantage vis-à-vis des plus défavorisés, qui seront les premiers à payer le prix de la crise climatique — ce qui a été démontré dans tous les rapports du GIEC publiés ces dernières années.
Mais cet avantage ne sera que de courte durée. Car dans un monde où on manque d’eau potable ou de nourriture, dans un monde où la stabilité politique est bouleversée, avoir de l'argent ne réglera pas tout. Et je pense que certaines personnes âgées n'ont pas encore pris la mesure de l’ampleur des conséquences que va causer le dérèglement climatique. Celles-ci doivent réaliser que nos modes de vie vont être profondément bouleversés. Quant aux catastrophes climatiques que la France a pu vivre ces dernières années, il faut s’attendre à ce que celles-ci se multiplient. C’est pourquoi il va falloir se rendre à l’évidence : à un certain stade, l'argent ne suffira plus à protéger ceux que l’on aime. Même en imaginant une perspective très cynique dans laquelle seule la sécurité de nos enfants nous importait, ce ne serait pas possible de leur garantir avec certitude qu’ils seront à l’abri.
En revanche, ça ne veut pas dire qu’il n’existe aucun recours pour les aider. Dans mon livre, j’insiste sur l’importance cruciale de sortir du prisme individuel pour aller vers d’autres formes collectives d’engagement. C’est la seule solution pour guider l’action politique vers un changement structurel de modèle économique pour notre société. Et si on veut aider ses enfants pour de vrai, il faut s’impliquer dans des initiatives qui œuvrent à préserver l’avenir de tous les jeunes. Aujourd’hui, cette logique est hélas absente du raisonnement d’un certain nombre de personnes plus âgées.
Et pour cause : il y a toujours un large déficit d'information sur l’urgence climatique, en particulier chez les médias plébiscités par nos aînés. Ça n’empêche qu’il y a quelques jours, j’ai vu passer un reportage sur France 3 à propos de la sécheresse qui sévit actuellement dans les Pyrénées-Orientales. J’ai été marquée par le témoignage d’une dame d'un certain âge qui n'a plus d'eau potable qui coule de son robinet. Quand le journaliste lui a demandé si elle aurait pensé que cette situation pouvait lui arriver, elle lui a répondu que non. Pour moi, cette situation illustre l’un des freins majeurs à la lutte contre le réchauffement climatique : on ne se rend compte du problème que quand il est là — et donc quand il est trop tard.
D’où l’importance d’une information à la hauteur de l’urgence. Et on a d’autant plus besoin d'anticipation que les conséquences se font déjà ressentir en France, comme le montre la sécheresse dans les Pyrénées-Orientales. L'autre problème majeur qui va surtout affecter les plus jeunes de leur vivant, c’est que la protection de leur avenir est hélas tout sauf une priorité de notre gouvernement. Et pour celles et ceux qui n’ont pas encore eu à subir une catastrophe climatique personnellement, il y a de quoi être terrifié par notre inertie collective face à cette promesse d’un futur très sombre.
Ce refus du gouvernement de protéger l’avenir des Français s’est particulièrement manifesté dans le contexte de la sortie de ton livre : la réforme des retraites. Difficile de trouver meilleur exemple de défaillance “technique” de notre système politique que ce passage en force qui ignore complètement l’opposition d’une grande majorité des citoyens au texte de loi adopté. Forcément, c’est très décourageant de voir nos élus faire l’impasse sur les enjeux actuels autour de l’urgence climatique, de la justice sociale et de la solidarité intergénérationnelle. Mais à côté de ça, j’ai l’impression qu’on n’a jamais autant parlé de désobéissance civile. Dans ma toute première interview de 2023 [cf. PWA #66], Timothée Parrique évoquait le désespoir de scientifiques qui en viennent à s’allonger sur des routes pour se faire entendre. Ce qui m’amène à te poser une dernière question : la solidarité intergénérationnelle doit-elle nécessairement passer par la désobéissance civile ?
Aujourd’hui en France, ça me semble une évidence. Emmanuel Macron devrait a priori rester au pouvoir pendant au moins quatre ans. Sauf que nous n’avons pas quatre ans devant nous pour agir. Comme on ne peut pas compter sur un changement de dirigeant avant la fin de son mandat, il y a urgence à attirer son attention, à le faire réfléchir, avec pour objectif de le convaincre de changer de ligne politique.
Car au-delà des grandes promesses comme quoi il allait tenir ses engagements climatiques, force est de constater que la situation actuelle est dramatique. Ça fait six ans que sa politique va à l’encontre du climat, de la biodiversité et des droits sociaux. Et si on ne fait rien, ça ne m’est pas prêt de changer. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui le dit mais les différents rapports du Haut Conseil pour le Climat : l’institution qu’il a lui-même créé lors de son premier quinquennat pour évaluer ses politiques climatiques. Et le mot qui revient le plus souvent, c’est “insuffisant”.
À partir de là, on n'a pas d’autre choix que de lui faire opposition. Et c’est ce qui est en train de se passer. Certains voient la mobilisation citoyenne contre la réforme des retraites comme un échec, dans le sens où ça n’a pas suffi à bloquer son adoption. Mais je pense qu’il faut aussi voir cette ferveur populaire sous un autre angle, qui est celui de l’espoir. On peut se féliciter de la solidarité intergénérationnelle à l'œuvre dans les manifestations par exemple.
Rappelons tout de même qu’il y a eu des millions de personnes de tout âge dans les rues ! Différents sondages ont montré que c’est un sujet sur lequel l’opinion des Français est globalement alignée, avec entre deux-tiers et trois quarts de la population contre cette réforme. C’est une mobilisation populaire sans précédent qui a réuni plusieurs générations autour d’un objectif commun : la défense des droits sociaux.
Autre point important : il me semble essentiel de constater que la contestation a permis un ralliement de différentes revendications. Je pense par exemple aux questions liées à l’injustice climatique causée par cette réforme — dont se sont particulièrement emparé les plus jeunes. C’est un événement politique majeur dont on doit aussi se souvenir comme un moment unique d’effervescence populaire.
Reste que le gouvernement a fait la sourde oreille face à ce vent de contestation. En témoigne d’ailleurs l’allocution présidentielle d’Emmanuel Macron hier soir [la veille de notre interview]. Force est de constater qu’aucun mode d’expression démocratique traditionnel n’a réussi à nous protéger de la politique du gouvernement. La grève n’a pas suffi, les manifestations non plus, pas plus que le dialogue avec les syndicats.
Donc on en arrive logiquement à la conclusion qu’il faut trouver autre chose pour que ça change. Et en ce sens, la désobéissance civile me semble être un passage obligatoire et indispensable pour pousser nos élus à enfin écouter les citoyens. Souvenons-nous de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui aurait pu être un vrai pas en avant sur le volet climatique et démocratique… pour finalement s’avérer complètement bafouée par le gouvernement — qui n’a gardé que 10% des propositions des citoyens.
Enfin, difficile de parler de désobéissance civile sans évoquer les (nombreux !) cas de violences policières qui, elles aussi, viennent balafrer la démocratie. Et c’est un problème d’autant plus grave que cela dissuade des citoyens de manifester par peur pour leur propre sécurité. Là encore, on ne peut que déplorer que celles-ci restent largement tolérées — et donc souvent impunies — par un gouvernement qui va jusqu’à refuser d’utiliser le terme de “violences policières” pour en parler. Il y a donc un vrai déni de l’exécutif autour de toutes ces violations démocratiques qui se sont particulièrement accélérées ces derniers mois.
À partir de là, oui : la désobéissance civile me semble être l’un des seuls recours possibles. En tant que journaliste, ce n’est pas mon rôle de dire ce qu'il faut faire ou pas. Mais j’ai l’impression que le gouvernement ne nous laisse aujourd’hui pas le choix. Je pense d’ailleurs que ce genre de pratique va être amené à s'intensifier et évoluer. Et ça me semble très important de rappeler que désobéissance ne veut pas dire violence. Il ne faut pas associer le principe de désobéir au fait de tout casser.
La désobéissance civile, c’est aussi s’allonger sur une route pour la bloquer, c’est s’asseoir pacifiquement devant le siège de Total le jour de son assemblée générale. Hier à Marseille, cela consistait à taper sur des casseroles depuis chez soi. Pourtant, quand on entend parler de désobéissance civile, on ne pense pas forcément à ça dans l'immédiat. Et pour cause : tout reste à inventer en matière de mobilisation et de modes de contestation politique pour faire entendre sa voix.
Quant à nos aînés, ils sont donc à la fois attendus — mais aussi les bienvenus — dans ces nouvelles formes d’action. En tant que jeunes, on a d’ailleurs beaucoup à apprendre de leur expérience, de leur recul, de leur sagesse. C’est donc un soutien précieux qui sera accueilli avec beaucoup de gratitude et de joie. D’autant plus que la solidarité intergénérationnelle me semble indispensable pour faire en sorte que le futur à créer ensemble soit désirable pour tout le monde. Hélas, c’est loin d’être gagné d’avance. Alors autant dire qu’on va avoir besoin d’eux !
Et ça me semble une excellente façon de conclure cette interview. Malgré le timing serré de cette discussion, je suis très heureux d’avoir pu ouvrir autant de sujets avec toi. Pour finir, encore bravo pour ce premier livre (déjà à sa troisième réimpression !) que j’ai eu le plaisir de lire. Et surtout, un grand merci à toi Salomé pour avoir pris le temps de répondre à mes questions. Je te dis à bientôt !
4 interviews de PWA sur des sujets voisins :
PWA #62 avec Anne Boistard : sur la lutte contre le harcèlement en entreprise
PWA #61 avec Thomas Wagner : sur l’inaction climatique
PWA #53 avec Jean-Marie Charon : sur le désenchantement des journalistes
PWA #37 avec Léa Moukanas : sur le besoin de plus d’engagement citoyen
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Entre long format et tests de personnalité.
Faites entrer l’accusé : Je ne vous apprendrai sans doute rien en vous disant qu’Hugo Clément s’est attiré une volée de bois vert après son passage chez Valeurs Actuelles. Mais au-delà de la polémique, avez-vous prêté attention à l’excellent débat proposé par notre cher service public dans les jours qui ont suivi ? C’était dans l’émission C ce soir (voir le replay ici), que je vous recommande pour la richesse de certaines idées avancées, pour la pluralité des opinions partagées, mais aussi pour la diversité dans les sensibilités politiques des invités. À voir !
La Carte aux trésors : Vivre de son média indépendant semble souvent relever du parcours du combattant. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’il n’y a que des obstacles et pièges en chemin. Cette interview de Jean-Samuel Kriegk (KissKissBankBank) pour le podcast Mediarama m’a permis de me remettre à niveau sur ce qui se fait aujourd’hui en France — et ce qui devrait se faire demain — en matière de financement participatif des créateurs de médias indépendants. Bonus : le décryptage du lancement de Blast, dont je n’ai hélas pas eu le temps de parler avec notre invitée.
Family Business : Ma rencontre en 2016 avec l’écosystème The Family m’a aidé à remettre de l’ordre dans ma vie. Et même si j’ai depuis appris à développer mon esprit critique vis-à-vis de l’esprit “famille” propre aux start-ups, j’aurai toujours de la sympathie pour l’accélérateur qui m’a aidé à y faire mes premiers. Aujourd’hui, le destin de The Family semble intrinsèquement lié au verdict d’un procès en cours contre l’un des trois associés. Quant à la genèse de cette véritable saga, c’est tout l’objet de la série podcast Oussama le Magnifique (Nouvelles Écoutes) écrite par Léa Lejeune, journaliste et consœur de la newsletter Plan Cash.
Cinquante nuances plus sombres : Découvert dans une émission Arte sobrement intitulée “Comment se débarrasser des connards”, le très sérieux test du Facteur Obscur de Personnalité n’a depuis cessé de m’interroger. Celui-ci vous permet d’évaluer les situations dans lesquelles vous avez tendance à… plutôt jouer perso que collectif (euphémisme !), et ainsi mettre des mots sur vos comportements les plus déviants. Et si comme moi vous trouvez tout cela déjà passionnant en solo, alors ne boudez pas votre plaisir et partagez donc ce test à vos amis !
🗣 MEANWHILE… L’actu des plumes
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Anne-Laure écrit son premier livre.
Jean-Baptiste est passé dans le podcast de Noémie.
Apolline lance une formation en UX Writing.
Julien a co-réalisé un documentaire sur Mark Zuckerberg.
Siham lance la deuxième saison de son cycle de cours du soir.
DERNIÈRE CHOSE…
Le bouclage de cette newsletter aura été une véritable course de fond. Et comme souvent lors de mes longues sessions d’écriture, la musique aura joué un rôle-clé dans mes plus grandes avancées. Alors pour conclure une édition sur l’importance du collectif, j’ai envie de finir par une tendre pensée pour mes chers amis de La Gabegie.
Et pour cause : les trois drôles d’oiseaux qui grandissent à mes côtés en tant que jeunes DJs m’ont impressionné par leurs premiers sets de haute volée. J’aurais moi même aimé vous en partager un avec cette newsletter, mais lanterne rouge oblige… ce sera manifestement pour la prochaine fois !
May the words be with you,
Benjamin
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Une édition (et une invitée) particulièrement intéressantes, bravo Benjamin ! J’ai l’impression que la newsletter s’éloigne de son thème initial orienté vers l’écriture, mais c’est intéressant de découvrir des personnalités qui travaillent à faire bouger les lignes, par leurs écrits, mais aussi par leurs idées et leurs actions !