Bienvenue dans la dernière édition de 2023, soit l’année où j’ai le plus envisagé de mettre un terme à ce projet. La faute aux grands questionnements liés à un moral parfois chamboulé et à des écarts de santé qui font tout reconsidérer. Je me dis souvent que, qui sait, peut-être que demain sera — littéralement — la veille de l’année où PWA se fera plumer.
Reste qu’une autre partie de moi pense que la newsletter n’a encore dit son dernier mot. Et s’il y a bien une chose qui me donne de bonnes raisons de continuer, c’est que sa programmation ne s’est jamais aussi bien portée que cette année. Décroissance économique et amoureuse, hip-hop et cultures urbaines, thérapies psychédéliques et anomalies académiques, dissonances cognitives et désobéissance civile, nouvelles voix et discours sur le climat : ça a été tout ça PWA en 2023.
Pensée oblige pour les dix plumes qui ont accepté de répondre à mes questions cette année [dans l’ordre des éditions] : Timothée Parrique, Marie Kock, François Gautret, Salomé Saqué, Olivier Lefebvre, Zoë Dubus, Albin Wagener, Marine Doux, Marvin Parks, ainsi que la dernière invitée de la saison qu’il me tarde de vous présenter.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Alice Devès
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Alice Devès, qui est la co-fondatrice Petite Mu, un média sur les handicaps invisibles. Au-delà d’être un grand sujet de société, c’est une situation qui la concerne directement. En août 2021, on lui diagnostique une sclérose en plaque à l’âge de 24 ans. Depuis, sa mission est de libérer la parole et de sensibiliser autour de réalités qui touchent beaucoup plus de personnes qu’on ne pourrait le penser.
Hello Alice et un grand merci pour avoir répondu à l’invitation ! Ça fait un certain moment que je suis l’aventure Petite Mu avec attention et je suis ravi d’avoir aujourd’hui l’opportunité de pouvoir te poser mes questions. Je te propose de commencer par un de mes rituels de début d’interview, et donc de revenir ensemble sur l’origine du nom de ton média. Alors dis-moi, “Petite Mu” ça vient d’où ?
Mon idée de départ, c’était de créer un compte Instagram sur mon handicap invisible : la sclérose en plaques. Comme c’est une maladie auto-immune, j’ai eu envie de reprendre le terme “mu” — qui est le diminutif de “immune”. Il me restait alors à trouver quoi mettre devant ou derrière ce “mu” pour le compte Insta. Mes réflexions m’ont amenée à tomber sur “Petite Mu”, que j’ai tout de suite bien aimé et que j’ai décidé de garder.
J’avais déjà trouvé ce nom quand mon associée Anaëlle [Marzelière] m'a rejoint au tout début du projet. Et ce qui est marrant, c’est que pour elle c'était évident que “Mu” faisait soit référence à la mue du serpent, soit à cette idée de mutation, d’acceptation de sa maladie — et de la vie qui va avec. Je trouve d’ailleurs son interprétation bien mieux que la mienne (rires). Alors on s’est dit que Petite Mu, ce serait tout ça à la fois.
Spontanément, j’avais pensé au “mutisme”, qui rejoint votre démarche de briser le silence autour des handicaps invisibles.
J’y avais pensé aussi après coup. Dans le même registre, une personne nous avait demandé en conférence si c’était lié à la voix qui mue. Et c’est vrai que ça fonctionne aussi pour évoquer cette idée de libérer la parole et de faire évoluer les discours.
Je te propose justement d’entrer dans le vif du sujet. Tu rappelles souvent que les handicaps invisibles représentent 80% des cas de handicap et concernent près de 9 millions de personnes en France. C’est aussi un terme qui englobe un grand nombre de situations différentes. D’où ma question pour introduire cette notion : quelles sont les grandes familles de handicaps invisibles ?
Par définition, un handicap invisible est un handicap qui ne se voit pas. Dit comme ça, ça peut sembler évident. Mais dans les faits, ce n’est pas aussi simple que ça. Car la frontière entre visible et invisible est souvent assez fine. Certaines pathologies peuvent devenir visibles à certains moments, dans certaines circonstances ou à certaines périodes de l’année.
C’est notamment le cas de maladies chroniques comme les cancers, l’endométriose ou la dépression. Cette dernière est un exemple assez parlant de handicap invisible qu’on ne voit pas toujours au premier regard, mais qui se distingue assez nettement quand on connaît la personne concernée. Les autres troubles psychologiques et psychiatriques comme la schizophrénie, l’anxiété, les troubles bipolaires et borderline, ou encore les TOC sont eux aussi des handicaps invisibles.
C’est également le cas des troubles du neurodéveloppement, qui regroupent les difficultés à apprendre, à se concentrer, à lire ou à écrire. Parmi ceux-ci, on retrouve la dyslexie, la dyscalculie, la dysorthographie, le spectre autistique et bien sûr le TDAH [trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité] dont on entend de plus en plus parler. Enfin, il y a les troubles visuels et auditifs partiels. Bien sûr, ce n’est pas une liste exhaustive mais ça te donne une première idée des grandes familles.
Je trouve ça important de préciser que la notion d’invisibilité est à nuancer selon les maladies concernées. Quant à “handicap”, c’est un mot qui est utilisé depuis un certain temps. J’aimerais justement avoir ton avis sur la question : dirais-tu que le terme est toujours adapté à la diversité des situations qu’il englobe ?
Le terme de “handicap” a ce mérite de nous permettre de nommer les choses, et donc de nous aider à savoir contre quoi on se bat. Et ça me semble d’autant plus important quand la pathologie en question est invisible. Car si on ne la nomme pas, personne ne va prendre en considération les difficultés que ça nous donne au quotidien.
D’ailleurs, on peut avoir tendance à sous-estimer l’importance de parler de “personne en situation de handicap” plutôt que de “personne handicapée”. Cela veut dire que c’est notre environnement qui n’est pas adapté à notre situation et non l’inverse — à savoir que nous ne serions pas adaptés à la société.
Bien sûr, je comprends les personnes qui ne sont pas à l’aise pour parler de handicap vis-à-vis de leur trouble ou maladie. Reste que ça dit aussi quelque chose de notre vision de société qui doit évoluer autour des situations de handicap. Ce qu’on essaye de changer avec Petite Mu, c’est justement de faire en sorte que ce ne soit pas seulement un synonyme de différence ou de faiblesse, associée à des sentiments comme la peine et la pitié.
Aux origines de Petite Mu, il y a un choix personnel : celui de prendre la parole autour de ton propre handicap invisible, la sclérose en plaques. As-tu eu des doutes avant de prendre la décision de parler de ta maladie en public ?
Pour tout dire, je ne me suis jamais vraiment posée la question. Dès que je l’ai appris, ça m’a semblé naturel de le dire à ma famille, à mes amis, et même à mon boulot. Je me souviens avoir immédiatement appelé à mon bureau pour prévenir que j’étais à l’hôpital pour une sclérose en plaque. J’ai vite intégré que je n’avais pas à avoir honte ou à me sentir responsable de ma maladie.
Je n’étais pas spécialement préoccupée par le regard des autres, même si je me suis rendu compte que quelque chose avait changé. Exemple typique : quand je rentrais chez mes parents le temps d’un week-end, j’avais l’impression qu’ils voulaient s’occuper de moi comme si j’avais dix ans. J’ai également ressenti une différence avec certains amis, qui me proposaient moins de sortir avec eux, prétextant que j’avais sûrement besoin de me reposer. Je les ai vite repris en leur disant que l’exclusion sociale, elle commence par là.
Ceci dit, je pense aussi que je suis passée par une phase de déni. C’est seulement au bout de quelques mois que j’ai réalisé que c’était un handicap et que ça allait m’empêcher de faire certaines choses dans ma vie. Lancer le média m’a fait beaucoup de bien dans le sens où j’ai moins pensé à la maladie. J’avais surtout l’impression de m’occuper des autres, notamment en parlant d’autres pathologies. Reste qu’interviewer des personnes en situation de handicaps m’a rappelé que moi aussi je suis malade — et que ça peut avoir un certain impact sur mes journées.
J’ai parfois aussi cette impression que ma maladie ne m’appartient plus vraiment. Comme c’est l’événement fondateur qui a mené à la création de Petite Mu, j’ai été beaucoup amenée à en parler. Même si j’ai toujours pris de la distance avec la maladie dans mon discours, je suis consciente qu’on doit souvent m'associer à une sclérose en plaque. Et c’est paradoxal de répéter qu’une situation de handicap ne nous définit pas tout en ayant choisi de faire de ma maladie le centre de ma vie.
Pour ne rien te cacher, ça m’arrive de vouloir tout arrêter et de ne plus avoir à en parler. Et puis, c’est toujours délicat vis-à-vis du projet. Ma maladie a beau faire partie de l’ADN de Petite Mu, je refuse de la considérer comme un outil de storytelling au service du média. Bien sûr, c’est hélas ce que je me dis parfois quand je doute ou que ça ne va pas. Reste qu’en parler m’évite de devoir le cacher.
Si je me sens très fatiguée et que j’ai besoin de me reposer, je n’ai pas à me justifier. Quand je dois décaler une conférence ou une intervention en entreprise à cause de maladie, je n’ai pas à trouver d’excuses et personne ne va m’embêter. Alors que quand tu n’en parles pas, tu laisses les autres libres de juger, d’analyser ou d’interpréter tes états et agissements sans avoir cette information. D’autant plus que ça t’amène souvent à compenser pour éviter que les autres ne s’en rendent compte. Ça peut donc très vite devenir un cercle vicieux.
Merci pour cette réponse très complète ! J’imagine que le cheminement qui t’amène à en parler ou non dépend aussi de la maladie en question. Et ça m’amène à te demander : quand on est en situation de handicap invisible, quelles sont les questions à se poser avant de se décider à en parler autour de soi ?
La première chose selon moi, c’est de ne pas en parler avant de se sentir 100% à l’aise avec cette perspective. C’est d’autant plus important de se poser cette question dans la sphère professionnelle. On nous demande souvent s’il faut en parler ou non en entretien. Si on se sent capable de défendre l’idée que son handicap n’aura pas d’impact sur ses compétences et qu’il suffira juste de quelques aménagements pour pouvoir travailler normalement, alors on peut l’envisager. Mais si on ne se sent pas encore prêt à affronter les discriminations et stigmatisations associées, ou que l’entreprise ne semble pas forcément sensibilisée sur ces sujets, alors peut-être qu’il vaut mieux ne pas le mentionner — au moins dans un premier temps.
Au-delà du monde professionnel, la question est de savoir à qui en parler dans son entourage. Là encore, si on sent qu’un proche n’est pas sensibilisé ou ne nous met pas en confiance sur le sujet, inutile de se sentir obligé d’en parler. Il faut aussi se demander si on a suffisamment d’énergie pour aller sur ce terrain. Cela implique de se sentir capable d’aller dans des explications plus ou moins détaillées, de se défendre face aux incompréhensions, d’encaisser certaines réflexions. Et je ne parle même pas de remarques malveillantes mais de simples maladresses qui peuvent blesser, du style : « Ma pauvre, c’est horrible ce que tu as ».
Plus tôt, tu parlais de storytelling et ça m’évoque un autre cliché sur le handicap. Car à l’inverse de la peine ou de la pitié trop souvent associées à certaines situations de handicap, il y a parfois l’exact contraire, à savoir une certaine propension à mettre en avant le handicap comme une force dans la vie d’une personne. Quelle est ta lecture de ce type de discours ?
J'ai un rapport ambivalent à ça dans le sens où, en ce qui me concerne, j’estime en avoir fait une force. À choisir entre ma vie avant ou après le diagnostic, je choisis sans hésiter mes années avec la sclérose en plaque. Ça peut sembler paradoxal mais je ne me suis jamais sentie aussi bien dans ma vie. J’ai repris confiance en moi sur pas mal de sujets et ça m’a permis de faire plein de choses que je n’aurais jamais osées auparavant. Bien sûr, je dis aussi ça parce que mon état de santé s’est plutôt stabilisé.
À côté de ça, je n’en peux plus d’entendre le terme de “super-héros” pour parler de ces personnes qui surmontent leur situation de handicap avec brio. Bien sûr, c’est une excellente chose que des discours positifs et des parcours inspirants se fassent une place dans le paysage médiatique. Mais si c’est la seule représentation du handicap dans les médias, alors celles et ceux qui vivent très mal leur propre situation ne vont pas pouvoir s’y identifier — et vont même en souffrir. Se sentir différent des gens qui n’ont pas ta pathologie, c’est une chose. Mais ne pas se retrouver dans le discours de personnes qui sont dans la même situation, c’en est une autre.
Il faut déjà se dire que ça prend du temps d’accepter que ta maladie est pour la vie. Et si ta santé mentale en prend déjà un coup, tu peux vite culpabiliser quand tu te compares à des personnes qui ont fait de leur maladie une force. D’où l’importance de faire évoluer les représentations en laissant la parole à celles et ceux qui ont des difficultés au quotidien. Et ça me semble d’autant plus important dans la sphère professionnelle. Car gérer sa maladie est souvent un travail à temps plein, ce qui peut amener pas mal de difficultés à côté, que ce soit pour avoir un emploi ou le garder.
Et dans la ligne éditoriale de Petite Mu, comment vous y prenez-vous pour traiter ces différences de représentations des situations de handicap ?
Il y a une première différence qui se fait dans nos formats. Comme on fait pas mal d’interviews face caméra, on reçoit forcément des personnes plutôt à l’aise pour parler de leur maladie à visage découvert. Reste que ça n’empêche pas une vraie diversité de représentations au niveau des récits entre différentes pathologies.
Mais surtout, on fait des appels à témoignages [anonymes] en permanence. Il n’y a aucune sélection, aucun filtre, juste une liste d’attente. Avec ce format, l’idée n’est pas de choisir les personnes qu’on va recevoir mais au contraire d’accepter tout le monde. Et au sein des témoignages qu’on reçoit, on tient à donner à chacun la possibilité, s’ils le souhaitent, de dire tout le mal qu'ils pensent de leur situation.
Pour Petite Mu, tu dis avoir été inspirée de médias féministes et militants. Mais peut-on véritablement adopter une approche similaire avec les enjeux associés aux handicaps ? Car pour les mouvements féministes et militants, j’aurais tendance à penser qu’il y a un enjeu central d’identification, là où je vois plus un enjeu d’acceptation de sa maladie du côté des handicaps. Comment t’es-tu appropriée ces influences et les as-tu adaptées aux problématiques spécifiques de Petite Mu ?
Ce qui m’a beaucoup inspirée, c’est la libération de la parole que ces mouvements ont pu déclencher. Je pense notamment à #metoo, avec une première femme qui parle, puis une seconde, puis une troisième, et ainsi de suite… Et c’est très puissant de trouver la force de dire tout haut “Moi aussi, j’ai vécu ça en tant que femme”, et surtout de dépasser cette honte trop longtemps associée au fait d’en parler.
Sur ce point, je trouve que la démarche est assez similaire avec les handicaps invisibles. Encourager une libération de la parole sur le sujet, c’est aider les gens à se sentir moins seuls, avoir moins de honte d’en parler et dire à leur tour : “Moi aussi je suis concernée”. C’est vraiment cet effet boule de neige qui m’a inspirée.
Je vois, c’est beaucoup plus clair pour moi. Ce n’est pas tant la question de s’identifier à quelque chose que de dire qu’on a soi-même vécu un événement similaire dans sa vie.
Au-delà de parler de situations de handicaps en tant que telles, l’intérêt de Petite Mu c’est aussi de partager les nombreuses discrimination qui leur sont associées. Je peux te donner un bon exemple avec ma carte Mobilité Inclusion, que j’ai eu un an après la création de Petite Mu. Vu toutes les histoires que j’avais entendues en interview, je me doutais bien que je ne serais pas épargnée par des réactions extérieures.
La première fois que j'ai dû l’utiliser, c’est parce que je ne pouvais plus marcher en sortant d’une gare et que je me retrouvais contrainte de prendre un taxi. Comme les employés de la compagnie devaient avoir une trentaine d’années, je me suis dit que tout allait bien se passer. Sauf que le mec a pété un câble en me voyant sortir ma carte pour couper la file d’attente.
“Non mais tu te prends pour qui ?! J’hallucine, c’est insupportable les gens comme toi”. Ce genre d’histoires, je l’ai entendu des centaines de fois et je m’étais toujours dit que je pourrais parler du média le jour où ça m’arriverait. Pourtant, j’ai été incapable de dire quoi que ce soit sur le coup.
En même temps, tu n’étais pas en pleine possession de tes moyens pour répliquer.
C’est sûr. Et il y a évidemment des gens compréhensifs. D’autres acceptent sans broncher, mais ne se privent pas de soupirer. Même si au fond, tu sais que tu n’y es pour rien, tu ne peux pas t’empêcher d’avoir l’impression de saouler tout le monde. On avait d’ailleurs fait un sondage sur Instagram en demandant quelle était la pire remarque entendue après avoir montré la carte.
On a eu plus de trois-cent témoignages hallucinants. Sans surprise, les femmes ont droit à de nombreux propos sexistes : “T'es pas fatiguée pour te maquiller, mais t’as aucun problème pour passer devant tout le monde” ou encore “C'est pas de ma faute si t'es mal foutue”. À chaque fois que j’en parle en conférence, les gens sont toujours choqués. Pourtant, ce genre de situations arrive tous les jours. C’est juste que personne n'en parle.
Tu cites les conférences que vous faites avec Petite Mu et ça me fait penser à une tribune récente dans Le Monde au sujet de la sensibilisation aux enjeux climatiques en entreprise. Au cœur de l’article, il y a cette question de la difficulté à mesurer le véritable impact des ateliers de type Fresque du Climat auprès des participants. Du côté de la sensibilisation aux handicaps invisibles, comment sont accueillis vos ateliers et conférences en entreprise avec Petite Mu ?
Je trouve qu’il y a plusieurs types de profils d’entreprises, pour différents stades de réflexion. Parmi celles qui nous sollicitent pour intervenir dans leurs bureaux, je dirais qu’il y en a une sur trois qui est dans une véritable démarche proactive. Récemment, on a même eu le cas d’une entreprise qui tenait à mettre en place une équipe dédiée à la gestion du handicap en interne avant de nous faire intervenir. L’idée, c’était de se doter d’un cadre pour pouvoir accueillir des situations de handicaps invisibles avant d’encourager les salariés concernés à en parler.
Une autre grande différence se trouve dans le niveau de participation à nos ateliers et conférences. Sur ce point, la moyenne d’âge et le nombre de salariés jouent beaucoup. Dans des PME où la plupart des gens ont entre 20 et 30 ans, on a souvent plus de la moitié de l’équipe qui répond présent. C’est loin d’être le cas dans les grands groupes. Récemment, on n’a eu qu’une vingtaine de personnes en conférence dans une boîte de plus de 9000 collaborateurs. D’autant plus que c’étaient essentiellement des personnes concernées, des proches et des aidants. Mais c’est toujours difficile de voir que la majorité des gens ne s’y intéresse pas tant que ça ne les atteint pas.
À savoir aussi que les entreprises de plus de 20 salariés sont redevables d’une sanction financière si elles sont en dessous des 6% d’emploi de personnes en situation de handicap. Ça peut aller jusqu'à 300 000 € par an pour des PME, ce qui n’est pas sans conséquences. Et comme aujourd’hui, 11% de la population active a une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé [RQTH], les entreprises ont un intérêt financier à libérer la parole autour des handicaps invisibles. Plus elles sensibiliseront sur le sujet, plus leurs salariés se sentiront en confiance pour en parler, plus elles feront remonter leurs statistiques et moins elles payeront de taxes.
Pour finir, je suis très optimiste pour la nouvelle génération. On a fait plusieurs interventions dans des collèges et ils m’ont impressionné par leur niveau de connaissances — notamment sur les troubles psy. Personnellement, je n’avais aucune idée de tout ça quand j’avais leur âge. On sent que la parole s’est libérée sur la santé mentale depuis le Covid-19. Et bien sûr, les réseaux sociaux ont joué leur rôle dans leur sensibilisation.
Newsletter sur l'écriture oblige, on va finir par ce sujet. J'imagine qu’il y a eu un avant et après ton diagnostic dans ta façon d’écrire sur toi et sur les enjeux associés à ta situation. De plus, tu es vite passée de l’absorption de tout un tas d’informations sur les handicaps invisibles à la restitution de tous tes apprentissages dans la ligne éditoriale de Petite mu. Comment ces deux expériences ont-elles influencé ta façon de voir les choses et de les retranscrire au quotidien ?
Je vais être très honnête, l’écriture n’a jamais été mon fort. J’ai beau avoir fait une prépa, l’orthographe et la syntaxe m’ont toujours posé beaucoup de difficultés tout au long de ma scolarité. Encore aujourd’hui, ça m’arrive de me demander si je ne suis pas dysorthographique. Plus jeune, je voulais être journaliste mais je n’ai pas osé m’engager dans cette voie, persuadée que je ne savais pas écrire. La création de Petite Mu m’a permis de retrouver confiance en moi à ce niveau.
Je trouve ça beaucoup plus simple d’écrire quand on a le sentiment de maîtriser son sujet. Et puis, je me suis rendu compte que ce que j’entends en interview me nourrit énormément. Non seulement ça m’est arrivé à plusieurs reprises de m’identifier à certains témoignages, mais en plus c’est souvent dit avec beaucoup de justesse. Je m’en imprègne donc au quotidien et je sens que ça vient façonner mon discours, autant à l’écrit que dans mes prises de paroles à l’oral.
Enfin, créer le média a eu beaucoup d’impact sur mon associée Anaëlle. Elle a toujours voulu illustrer ce qui lui passe par la tête mais ça faisait dix ans qu’elle n’avait pas touché un crayon. Petite Mu lui a permis de parler de la dépression par la bande-dessinée, en lui prêtant les traits d’un petit personnage qu’elle a appelé Bob. Ça l’a aidée à extérioriser la pathologie et lui a fait beaucoup de bien. Je suis convaincue que le dessin comme l’écriture permettent de se détacher de sa maladie et de prendre du recul sur sa vie. Il y a là une vraie démarche thérapeutique qui nous a beaucoup aidées.
Je te propose de conclure sur ces bienfaits de l’écriture et de la création. Je suis très heureux de refermer l’année 2023 de PWA avec notre interview. C’était un vrai plaisir de te recevoir, un grand merci Alice ! Je te souhaite tout le meilleur avec Petite Mu, et te dis à bientôt.
4 interviews de PWA sur des sujets voisins :
PWA #71 avec Zoë Dubus : entre psychédéliques et santé mentale
PWA #70 avec Olivier Lefebvre : entre burn-out et bifurcations
PWA #62 avec Anne Boistard : entre harcèlement et non-dits
PWA #52 avec Judith Aquien : entre tabous et maternité
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Pour finir l’année entre fantaisies et fantasy.
Globi-boulga : Connaissez-vous le point commun entre le goûter, un traquenard et la joie de vivre ? Il s’avère que ces trois expressions ne se traduisent pas. Et si vous l’aviez deviné, vous n’êtes pas sans savoir que chaque langue a ses propres variantes de ces mots sans équivalent. Ce site génial en regroupe des centaines et vous permettra de découvrir ce qu’est le poprawiny [en polonais], l’art de la gambiarra [en portugais], ou à ne plus vous faire avoir par un tåkefyrste [en norvégien].
Gagner la Guerre : C’est le titre de mon dernier livre lu en 2023, par Jean-Philippe Jaworski, un romancier français maître de la fantasy. Une fois de plus, je suis infiniment reconnaissant envers mon meilleur ami pour m’avoir fait découvrir une œuvre aussi captivante et singulière. Je me suis régalé et le recommande vivement, tant pour la densité de son univers, le rythme effréné de ses scènes d’action, ou encore l’originalité de son style de narration — et ce, jusqu’à la toute dernière phrase.
À tester : Il y a des gens qui aiment les bonnes résolutions, d’autres qui détestent ça. D’un côté comme dans l’autre, on peut trouver que ça ne marche pas, ou que ce n’est pas assez. Le format YearCompass peut justement aider avec ça. C’est un petit livret qui a vocation, en quelques feuillets et bonnes questions, à conclure une année et préparer la suivante en beauté. À l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai pas encore essayé. Mais c’est prévu dès que cette newsletter sera publiée. Écrivez-moi si vous vous prêtez au jeu !
🗣 MEANWHILE… L’actu des plumes
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Stéphanie a lancé la newsletter de son podcast, Place à l’Audace.
Alexandre est reparti d’une feuille blanche pour écrire un roman.
Rachel est revenue en podcast sur la création de son studio de danse.
Vincent a publié son nouveau livre, Uniques au Monde.
Apolline fait le bilan de son année autour de l’UX Writing.
Thomas a contribué à une cartographie des acteurs de la e-santé mentale.
DERNIÈRE CHOSE…
Une fois n’est pas coutume, il n’y aura pas de rétrospective de fin d’année pour PWA. Je vous dirais bien que c’est parce que je suis en pleine réflexion à propos d’un format d’édition spéciale pour janvier — ce qui est vrai. Mais ne nous en cachons pas : je suis surtout beaucoup trop en retard pour ça. Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour avoir suivi, aimé, repris ou découvert la newsletter en 2023.
D’ici là, prenez soin de vous en cette fin d’année et surtout…
May the words be with you,
Benjamin
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