Je vous l’ai sûrement déjà dit ici, mais j’aime imaginer cette newsletter comme un festival. Si bien que je parle souvent de programmation pour décrire l’enchaînement d’invités qui se succèdent tous les mois sur la petite scène de PWA. Et comme je m’intéresse aux gens, à l’art et au spectacle vivant, alors pourquoi ne pas faire une édition hors-série — mais pas tant — sur le format de l’événement ?
C’est le programme du jour avec mon nouvel invité. Une fois de plus, c’est une édition que je suis ravi de vous partager, notamment parce qu’elle fait écho à des interviews passées, à des projets que je suis en train de mener, ainsi qu’à des envies pour les prochaines années. Ça valait bien la peine de prendre autant de temps pour la publier ! Mais faute avouée, à moitié pardonnée ?
Bonne lecture à vous,
Benjamin
Plumes With Attitude est une newsletter sur l’écriture sous toutes ses formes. Si vous avez envie de suivre cette publication, abonnez-vous pour recevoir les prochaines éditions.
🎙 INTERVIEW… François Gautret
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir François Gautret, qui est commissaire d’exposition et fondateur de RStyle, une association qui fait la promotion du hip-hop et des cultures urbaines. Peu de rapport avec l’écriture au premier abord, et pourtant. Car à mes yeux, penser et créer un événement est une certaine façon d’écrire le vivant.
Hello François et merci pour avoir répondu à l’invitation ! Je suis très heureux de te recevoir aujourd’hui après t'avoir découvert il y a quelques mois via une interview avec Sarah Ichou [cf. PWA #64] pour le Bondy Blog. J’avais été marqué par ce terme d’archiviste que tu utilises pour décrire ta passion pour le hip-hop — et surtout la façon dont tu organises ta vie autour de celle-ci. Comme souvent dans cette newsletter, j’ai envie de démarrer notre interview par les mots. Car au-delà du hip-hop, tu es très engagé dans la promotion des cultures urbaines au global. Seulement, les deux termes me semblent si proches qu’on pourrait presque les considérer comme synonymes. Alors pour commencer, quelles différences fais-tu entre hip-hop et cultures urbaines ?
Le hip-hop regroupe les cinq disciplines à l’origine de la naissance du mouvement dans le Bronx, à New York. Parmi celles-ci, il y a trois courants musicaux : le rap, le DJing et le beatboxing, auxquels s’ajoutent la danse hip-hop avec le breaking et enfin le graffiti. Le regroupement de ces disciplines s’est opéré dans les années 70.
Tout commence avec un homme : Afrika Bambaataa, qui était membre d'un gang dans le Bronx qui s’appelait les Black Spades. Quand son cousin s'est fait tuer dans une fusillade avec la police, il a voulu mettre un terme à ces violences urbaines. Il a donc organisé des block parties aux côtés d’artistes comme DJ Kool Herc afin de pacifier les relations au sein du Bronx. C’est en réunissant différents mouvements artistiques issus de la rue qu’est né le mouvement fondateur du hip-hop : la Zulu Nation.
L’idée de départ, c’était d’apaiser les tensions et de les transformer en création. Ça passait par du dépassement de soi dans le cadre de défis entre artistes, avec une place pour toutes les disciplines — et donc pour tout le monde. Si tu sais bouger, tu danses. Si tu préfères utiliser ta voix, tu rappes. Si tu veux développer un univers graphique, tu graffes. Chacun a la possibilité de s'exprimer à sa façon et d’affirmer sa singularité. Peu importe qui tu es, d’où tu viens, si tu as un handicap ou pas, il y a une place pour toi. À la base, l’école de la vie c'est ça.
Donc pour moi, on parle de hip-hop quand il s’agit de ces cinq disciplines. Dès qu’on les dépasse, on parle d’arts urbains, de sports urbains, et de cultures urbaines au global. Ça englobe le hip-hop et tout ce qui gravite autour : la mode, l’argot, le parkour, la street photography, le double dutch, le freestyle football, etc. Pour moi, la distinction, elle est là. Bien sûr, ce sont des définitions mouvantes qui varient selon les personnes qui les emploient.
Il faut aussi voir ce terme de cultures urbaines comme une écriture contemporaine de toutes ces disciplines qu’on a trop longtemps ghettoïsées. Car même si le hip-hop a vécu de nombreuses évolutions, il a trop longtemps été cantonné au ghetto-blaster et à la rue. Ces clichés s’inscrivent d’ailleurs en opposition avec son esprit originel, qui n’est pas de rester old-school mais de toujours aller de l’avant.
À Paris, tu as vu naître puis évoluer le hip-hop français, pour la simple et bonne raison qu’il est né dans ton quartier : le XIXème arrondissement. Peux-tu me raconter comment ça s’est passé ?
Là aussi, il y a plusieurs réponses possibles. Pour moi, l’événement fondateur c’est la tournée New York City Rap Tour en 1982 avec les grandes figures du Bronx qui vont influencer les pionniers français que sont Dee Nasty et les membres du collectif Aktuel Force. C’est à ce moment que tout le monde découvre le hip-hop en France et que les cassettes commencent à tourner. Après, il a pu y avoir quelques variations en fonction des régions. À Marseille et dans les villes portuaires du Nord, ce sont les Marines américains qui font découvrir le hip-hop par le rap et la danse.
Quelques années plus tard, le cinéma va jouer à son tour un grand rôle dans sa diffusion. Je pense notamment à la scène culte de breakdance dans Flashdance en 1983, mais surtout à Beat Street en 1984. Culturellement, ce sont des moments importants qui ont largement contribué à sa popularité dans le monde entier. Les Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984 représentent eux aussi un vrai tournant. Le breakdance s’invite en cérémonie de clôture avec les New York City Breakers.
La même année est lancée H.I.P. H.O.P, une émission sur TF1 entièrement consacrée au hip-hop : une première mondiale ! L’animateur Sidney fait du rap, le graffeur Futura 2000 fait les décors en direct. Des danses, musiques et looks improbables se retrouvent propulsés sur la première chaîne de France. On peut y voir une réponse directe aux Jeux de Los Angeles. Les membres du jury du programme s'appelleront d’ailleurs les Paris City Breakers. D’autres villes suivront et auront leurs propres “City Breakers”. Et si le breaking s’apprête à faire ses débuts en tant que discipline olympique en 2024, il faut garder en tête que c’est une réflexion en cours depuis ces fameux Jeux de 1984.
Paris 2024 devrait justement marquer un nouveau tournant dans l’histoire du hip-hop et des cultures urbaines au global, avec également le skateboard et le BMX qui font leurs débuts en tant que disciplines officielles. As-tu vécu ces annonces comme une surprise ou plutôt comme une évidence ?
Pour moi, c’est presque une évidence tant le hip-hop est partout — surtout là où on ne l’attend pas. Dans la culture comme dans le sport, dans l'art contemporain comme dans la rue, dans le cinéma comme dans la pub, il est libre, insaisissable, incontournable. C’est pareil pour les artistes du mouvement, qui évoluent entre différentes disciplines. Beaucoup de breakers pros s’entraînent pour la compétition Red Bull BC One toute l’année tout en faisant du théâtre à côté. Il n’y a pas de cloisonnement entre sports, arts et cultures mais au contraire plein de passerelles entre toutes ces disciplines.
Reste que, pendant longtemps les seuls qui soutenaient les initiatives de battles dans les quartiers, c'étaient soit les acteurs de la Jeunesse et des Sport, soit ceux des Affaires Sociales. Ce n’était jamais la Culture, alors que le mouvement s’est toujours revendiqué comme tel. Reste qu’aujourd’hui, la reconnaissance par le public et la médiatisation accrue des cultures urbaines changent la donne.
Et si le hip-hop a longtemps été mal vu par les autorités, de nombreux pays mettent le paquet sur le break depuis que c’est une discipline officielle. En Chine, il y a même un véritable “effet J.O”. D’ailleurs, l’entraîneur de break de l’équipe olympique chinoise est un français, Mounir Biba. J’aime beaucoup le terme qu’il utilise pour parler des professionnels de la discipline : les “arthlètes”.
J’imagine que les Jeux auront pour toi une certaine saveur. Non seulement tu fais toi-même du break, mais 2024 marquera aussi les vingt-cinq ans de ton association RStyle. J’ai appris par mes recherches que ta trajectoire professionnelle avait davantage été influencée par ta vie personnelle que par ta formation initiale, qui était en conduite de travaux. Comment s’est passée cette transition ?
J’ai le sentiment d’avoir grandi avec deux vies en parallèle. J’ai dû commencer le break en école primaire. Et si la question d’une carrière de danseur pro s’est posée à plusieurs reprises, je n'ai jamais négligé les études à côté. Sauf qu’il y a toujours une menace quand tu veux faire du sport à haut niveau, c’est la blessure.
Et pour moi, il y en a eu deux. Je me suis cassé les ménisques des genoux une première fois en 1999, puis une seconde en 2001. Ça m’a fait reconsidérer mes rêves de carrière pro, mais surtout réaliser qu’il y a plein de belles choses à faire autour de la danse. L’accompagnement d’artistes, la production de spectacles, la gestion d’événements, la transmission de savoirs, l’importance du collectif : c’est autour de tout ça que je voulais construire ma vie.
Ces deux accidents ont agi sur moi comme de véritables signaux. C’est suite à la première que j’ai fondé RStyle, et après la seconde que j’ai créé mon emploi salarié au sein de l’association. J’ai connu des breakers professionnels qui m’ont confié qu’ils auraient préféré avoir eux aussi une blessure plutôt que de tout miser sur la danse et négliger tout le reste. Alors d’une certaine façon, je m’estime à la fois chanceux et heureux d’avoir pris les bonnes décisions.
Ton histoire me fait penser au dernier film de Cédrick Klapisch, En Corps, avec là aussi une blessure qui amène une danseuse étoile à changer de vie. Et comme tu te présentes comme un passionné de cinéma, ma transition est toute trouvée. Pourquoi es-tu allé vers l'organisation d’événements plutôt que vers le grand écran ?
Quand j’étais plus jeune, j’ai réalisé plusieurs courts métrages et ai même gagné quelques prix. Je n’ai jamais vraiment eu l’impression d’avoir un choix à faire entre RStyle et la caméra. Ça s’est fait naturellement. Quand on a lancé la première édition de l’Urban Films Festival en 2005, ça m’a montré une autre facette de ce que j’aime dans le cinéma. Je me souviens avoir adoré recevoir tous ces films et être exposé à tous ces points de vue sur les cultures urbaines.
Déjà à l’époque, je préférais le volet collection d’œuvres plutôt que l’expression seule de ma vision par la caméra. Avec le temps, cette préférence a complètement pris le dessus. Si bien que le festival et la Médiathèque des Cultures Urbaines [à partir de 2010] sont devenus de véritables centres d’archives du hip-hop et des différentes cultures qui gravitent autour. Ce travail de fourmi continue encore aujourd’hui, avec des tonnes de films, de livres, de magazines et de photos centralisées et archivées.
C'est aussi ce qui m’a amené à être sollicité pour de la programmation musicale, de la direction artistique, et plus récemment de la curation d’expositions. Le volet événementiel de mon métier me rappelle souvent ma formation initiale en conduite de travaux. Commissaire d’expo, chef de chantier : même combat ! Et ça n’a jamais été aussi vrai qu’en ce moment. Je travaille avec le l’Office du Tourisme de Paris et le Musée Olympique pour monter une nouvelle expo. Et ça commence par du désamiantage avant de passer aux travaux : un vrai chantier !
Je comptais justement t’amener sur ce métier de commissaire d'exposition. Ça a notamment été ton rôle sur l’expo Hip-Hop 360 à la Philharmonie de Paris — que j’avais adoré. J’imagine que c’est une approche très différente de l’organisation de festivals et d’événements qui font la part belle à la scène. Mais pour un courant artistique aussi lié à l’action et au mouvement, ça doit être un vrai enjeu que de le représenter sous forme d’objets statiques. Alors je me demandais, comment pense-t-on une expo comme Hip-Hop 360 ?
Pour moi, l'écriture d'une exposition doit faire passer le public de l’expérience à l’essence. L’enjeu, c’est de créer une passerelle entre le moment vécu et les émotions ressenties. Une exposition, c’est un événement qui s’inscrit dans la durée. D’où l’importance pour moi d’en faire quelque chose de vivant, avec des performances de danse, des concerts de rap, des enregistrements de podcast, des ateliers d’initiation pour jeunes et moins jeunes, mais aussi avec des surprises issues du public.
L’enjeu était aussi de donner du relief au nom de l’expo. Et pour moi, “360” c’est le cercle. Quand tu fais du break, ça se traduit par cette invitation à entrer dans un cercle de danseurs et à exprimer ton style. C’est ce qui m’a conduit à penser un espace circulaire au centre de l’expo avec des écrans qui projettent des rushs de concerts et des clips historiques, le tout avec un son spatialisé pour favoriser l’immersion du public. Mais surtout, c’est un endroit où de nombreuses personnes se sont prêtées au jeu et sont entrées à leur tour dans le cercle pour danser.
Et si ça paraît aujourd’hui évident de parler du hip-hop de manière pluridisciplinaire, ça n’a pas toujours été le cas au cours de son histoire. Avec RStyle, on a longtemps été les seuls à proposer ça à Paris. Quand on organisait des block parties dans le XIXème, ça nous tenait à cœur d’inviter tous types d’acteurs. Il y avait des battles de danses hip-hop de tous les styles, mais aussi de beatbox, de rap et même de graffiti contre la montre. La pluralité, on la retrouve aussi dans le public, avec différentes générations réunies. On a toujours été dans une approche très éclectique de la fête. Et c’est précisément ce que l’équipe de la Philharmonie recherchait pour son expo.
Reste que j’ai longtemps retourné dans ma tête la question de ma légitimité dans ce projet. Raconter quarante ans de hip-hop est une sacrée responsabilité. Philharmonie oblige, la musique allait prendre une place centrale dans l’expo. Mais pour moi, il fallait aller plus loin que ça, avec le sport, l’art, la culture, et bien sûr le contexte économique et social. Même côté musique, il y a tant à raconter, tant d’acteurs majeurs à citer — sans oublier l’importance de la scène amateur.
Bien sûr, je n’étais pas seul face à l’ampleur d’un tel projet. J’étais même très bien entouré, avec des experts au regard pointu sur leurs sujets de prédilection. J’ai notamment pu compter sur Vincent Piolet pour les textes de l’expo, sur Yérim Sar pour la curation rap dans toute sa diversité, ou encore sur Franck Haderer pour la capsule temporelle qui retraçait l’histoire du hip-hop par le prisme de la radio.
C’est marrant parce que j’aime dire qu’une expo, un festival et une newsletter se rejoignent sur au moins une dimension : la curation. À mon échelle, je vois une vraie similitude entre la démarche de sélectionner des invités tour à tour pour ma publication et celle de composer une programmation d’artistes pour ce genre d’événements. Comme toi, je préfère d’ailleurs mettre en avant les travaux des autres plutôt que de m’exprimer sans détour sur mon rapport à l’écriture. Pour autant, la curation reste une démarche très personnelle, avec une certaine marque de fabrique propre à chacun. Alors je me demandais : que retrouve-t-on de toi dans tes événements ?
Au-delà de mon goût pour la pluridisciplinarité dont on parlait juste avant, j’aime fusionner ces disciplines pour créer quelque chose d’inédit, d’inattendu. Quand j’ai demandé au graffeur Mode 2 de faire une fresque pour l'expo, j’aurais pu lui donner carte blanche et le laisser faire comme à son habitude.
Seulement, j’avais en tête l’idée d’une chronologie qui retrace l’histoire du hip-hop à travers la mode de chaque époque. Clémence Farrell avait réalisé une scénographie avec des mannequins habillés avec les codes vestimentaires des années 70 à aujourd’hui — et dont les têtes étaient des écrans qui projettent des vidéos de danses associées à chacun de ces looks.
Je voulais donc que la fresque de Mode 2 tienne compte de tous ces éléments. On en a parlé et ça l’a amené à se replonger dans ses vieux cahiers pour renouer avec ses graffs d’époque. Après tout, lui aussi a traversé ces périodes ! Au final, il s’est approprié la chronologie en reprenant ses personnages forts — dont certains figurent dans le livre culte d’Henry Chalfant pour les graffeurs, Spraycan Art. Et j’ai trouvé le résultat non seulement génial mais aussi plus personnel, plus intime.
Même pour lui, ça devait être génial comme exercice. Ça change de certaines sollicitations assez déconnectées auxquelles tu dois souvent être exposé en tant qu’artiste. Et j’ai justement envie de parler de récupération. Car il y en a beaucoup autour du hip-hop, que ce soit par les entreprises ou les politiques. Tu parlais plus tôt de la responsabilité que représente la mission de retracer quarante ans d’histoire. Mais j’imagine qu’il y a un autre enjeu, qui est celui de ne pas trahir son milieu. La ligne est souvent fine entre vendre une prestation et “se vendre”. Et si RStyle est toujours debout près de vingt-cinq ans après sa création, c’est sans doute aussi parce que tu as su faire les bons choix à ce niveau. Alors dis-moi, à quels critères fais-tu attention avant de choisir d’accepter un projet ou non ?
Je dirais que c’est essentiellement une question de ressenti, de flair. Tout dépend déjà de l'interlocuteur que j'ai en face de moi. Quand une collaboration est envisageable, je vais être très attentif à la liberté qu’on me laisse pour créer. S’il y a trop de contraintes et que je ne suis pas en mesure de proposer mes idées, je préfère recommander d’autres personnes avec qui travailler. Après, il faut aussi savoir faire des compromis.
En ce moment, je travaille avec le Musée Olympique de Lausanne. L’idée, c’est de créer une expo autour des nouvelles disciplines qui vont entrer aux prochains Jeux : break, skate, BMX, surf, escalade et basket 3x3. J’avais proposé de commencer avec du parkour, que je pratique personnellement et qui est selon moi le sport urbain par excellence. Sauf que ce n’est pas une discipline olympique officielle — même si la question se pose pour les Jeux de 2028 à Los Angeles. Donc je ne pourrai pas le mettre autant en avant que je le voudrais. Mais c’est pas grave, ça fait partie du métier.
Aujourd’hui, ça peut sembler logique qu’on te contacte dans le cadre des prochains Jeux Olympiques. Mais j’imagine que ce n’est pas forcément quelque chose sur lequel tu aurais parié il y a quelques années. De la même façon, tu n’avais peut-être pas prévu de devenir un jour commissaire d’exposition. Alors je me demandais : tu aimerais qu’elle ressemble à quoi la prochaine surprise de ton parcours ?
D’un côté, j'ai encore pas mal de rêves pour mon avenir. Mais de l’autre j'ai l'impression de les vivre en ce moment même. Quand je vois toutes les belles choses qu’on me propose, je me sens très chanceux. Alors j’ai plutôt envie de te parler de mes rêves pour le hip-hop et les cultures urbaines au global. Encore aujourd’hui, ce sont des disciplines qui se retrouvent systématiquement sous la tutelle d’une collectivité ou d’une institution donnée. C’est aussi pour ça qu’il n’y a pas de lieu entièrement dédié au hip-hop et aux cultures urbaines.
Dis-toi que pour que le break entre aux prochains Jeux, il a fallu passer par la fédération de danse de claquettes et de salon. Au-delà d’être assez éloigné des codes de la discipline, c’est une structure qui n’a jamais prêté la moindre attention au hip-hop. Et ce n’est pas contre eux mais je trouve que ça illustre l’urgence d’avoir sa propre fédération — ce qu’on n’arrive pas à obtenir.
Je trouve ça surtout fou qu’il soit encore aujourd’hui sous la tutelle d’une fédération qui regroupe des danses plus confidentielles — et aussi moins dans l’air du temps.
Là où c’est plus triste, c'est qu’il y a pas mal de danseurs de l’ancienne génération qui sont en situation de grande précarité. Certains doivent encore courir après les cachets à un âge avancé, d’autres ne sont pas loin d’être à la rue. S'il y avait une structure avec un système de mutualisation, d’entraide et de solidarité, je me dis que ce genre de situations n'arriverait pas.
D’autant plus qu’il n'y a pas eu de transmission entre les générations successives. Il n’y a pas de respect des anciens comme dans des sports comme le judo. Cette considération pour les pionniers, c’est ce qui manque au break. Dès que tu n’arrives plus à aligner trois pas, on te met sur le côté.
L’autre conséquence, c’est qu'on ne t’appelle pas systématiquement pour les jurys. Aujourd’hui hélas, le nombre d’abonnés va plus compter que tes gloires passées. Les organisateurs misent sur ça pour remplir leurs événements. Ça pousse d’ailleurs les anciens à créer des stories parfois maladroites pour essayer de rester en course. Mais ce n’est pas toujours bien fait et ça les dessert plus souvent que ça ne les aide.
Pourtant, j’aurais été tenté de dire qu’entre l’arrivée du hip-hop à la Philharmonie, l’entrée de certaines disciplines urbaines aux prochains Jeux Olympiques, et même le succès public et critique du film En Corps dont on parlait plus tôt, qui est une belle vitrine pour des lieux phares comme le Centquatre, les cultures urbaines ne se sont jamais aussi bien portées.
Dans le passé, le Centquatre a pu illustrer ce manque de considération qu’a vécu le hip-hop de la part de certaines institutions. Avec RStyle, on les connaît très bien puisque ce sont nos voisins dans le XIXème. Quand ils ont ouvert [en 2008], ça nous semblait une évidence de nous en rapprocher pour y développer les cultures urbaines.
J’aimerais te dire que le hip-hop est entré au Centquatre par la culture, mais ce n’est pas le cas. Quand ils ont fait appel à nous, ce n’était pas pour des enjeux de programmation artistique, mais pour des problèmes de délinquance. Il commençait à y avoir du squat, des dégradations et des cambriolages. Et comme ils savaient qu’on connaissait bien les jeunes du quartier, ils nous ont demandé de faire un travail de médiation pour créer un dialogue avec cette jeunesse.
Alors peu à peu, on a apaisé les tensions, on a invité des artistes de partout et le hip-hop a pris possession du lieu. Le grand public n’a pas mis longtemps à réaliser que de nouveaux spectacles gratuits prenaient vie chaque jour dans la nef. Forcément, la récupération politique n’a pas traîné, avec des interviews d’élus devant des jeunes en train de danser. Ça a surtout marqué un tournant pour le Centquatre, qui est devenu la place mythique de l’expression libre à Paris.
Mais ce serait facile de penser que le hip-hop s’y est installé naturellement pour sa seule proximité avec le quartier. Car si on est parvenus à aboutir ensemble à un tel succès, c’est surtout parce qu’on a su amener et cultiver un ingrédient sans lequel rien de tout cela ne serait arrivé : la communauté.
Reste qu’à l’échelle de RStyle, on est contents d’avoir réussi à se faire une place au sein de l’industrie culturelle. On a monté un consortium avec des institutions comme le Centquatre, l’Office du Tourisme de Paris, la Philharmonie, le Théâtre du Châtelet, ou encore le Musée de l’Homme. Ça nous permet de signer des co-réalisations que l’on crée ensemble sur un pied d’égalité — ce qui est pour nous une sacrée avancée.
Excellente nouvelle ! Je te propose de terminer sur ça. En tout cas, j’aurai appris plein de choses aujourd’hui grâce à toi. Alors un grand merci, François. Je te souhaite une bonne continuation dans tous tes projets et te dis à très bientôt.
4 interviews de PWA sur des sujets voisins :
PWA #46 avec Nicolas Rogès : sur le rap de Compton
PWA #45 avec Fadeke Adegbuyi : sur les cultures internet
PWA #35 avec Sari Azout : sur l’art de la curation en ligne
PWA #21 avec Kabylie Minogue : sur le DJing et la production musicale
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Une sélection spéciale interviews.
Pas trop tôt : Ça fait un moment qu’on me dit de me mettre à Bookmakers, le podcast d’Arte sur l’écriture animé par le très enthousiaste Richard Gaitet. C’est désormais chose faite grâce à la superbe interview de Nicolas Mathieu, héros de mes terres natales vosgiennes et tête de liste des plumes que je rêve d’inviter.
Silence, ça souffle : J’ai eu un choc en apprenant que Blast vient seulement de fêter ses deux ans. Mais plutôt que d’accuser le coup (de vieux), je préfère vous partager deux interviews récentes qui m’ont marqué. Il y a tout d’abord celle d’Alain Damasio, par Paloma Moritz, sur l’urgence d’expérimenter pour de vrai de nouveaux imaginaires de société. La seconde est probablement mon intervention préférée sur le sujet des retraites, avec Bernard Friot interviewé par Salomé Saqué.
Friendzone : Enfin, une interview que j’ai trouvée nettement moins bien menée mais dont le sujet et les idées m’ont fasciné. Quoique malmené au micro de Léa Salamé, Geoffroy de Lagasnerie m’a régalé par ses propos aussi provocateurs que rafraîchissants sur ce qui est à mes yeux le plus noble des sentiments : l’amitié.
🗣 MEANWHILE… L’actu des plumes
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Thomas a décortiqué le dernier rapport du GIEC.
Mona improvise une lecture en une prise sur l’opium.
Lancelot a interviewé l’astronaute Claudie Haigneré.
Louise et Thomas ont parlé santé mentale et newsletters en festival.
Thierry a co-signé une vaste enquête : Les Français, ces incompris.
Judith a converti le groupe L’Oréal au Parental Challenge.
Thibaut travaille sur l’écriture d’une série — et cherche des plumes.
Anaïs m’a fait découvrir la belle-maternité avec sa newsletter Belle-doche.
DERNIÈRE CHOSE…
Si vous aussi vous avez trouvé le temps long depuis la dernière édition et que vous redemandez des interviews, alors j’ai deux bonnes nouvelles pour vous. La première est le fruit d’une conversation avec le chercheur Yann Ferguson, que j’ai eu le plaisir d’interroger sur les impacts multiples de l’IA au travail, que ce soit sur l’individu, la société, mais aussi la planète.
La seconde est la sortie en podcast (sur Spotify et Acast) d’une table ronde que j’ai animé récemment sur un sujet que beaucoup n’aiment pas : web3 — et son intérêt pour les médias. Monter sur scène pour ce type de format était une grande première pour moi. Même que je suis plutôt content du résultat. Encore merci à Yoann Lopez, Flavie Prevot, Laurent Bainier et Anaelle Guez pour avoir répondu à l’invitation. À refaire très bientôt ?
May the words be with you,
Benjamin
Retrouvez toutes les éditions de PWA sur ma page Substack. Et si vous avez aimé cette newsletter, pensez à vous abonner pour recevoir les suivantes par e-mail.