Il y a des mois comme ça où écrire cette newsletter est un refuge. D’une part, parce que le contexte actuel rend la vie dure à de nombreux demandeurs d’emploi et travailleurs indépendants comme moi. De l’autre, en raison d’une actualité que je trouve de plus en plus dure à encaisser. Entre le gaslighting [cf. PWA #91] qui a suivi la condamnation de Marine Le Pen, le bilan des cent premiers jours de Trump [résumés ici par Hugo Décrypte], j’ai eu du mal à détacher mon regard de l’extrême-droite.
D’autant plus que c’est un mois où je me suis beaucoup intéressé à l’écosystème politique et militant de Twitch. Certains témoignages alarmants de streamers, comme celui de Mathieu Burgalassi, attestent de la détresse psychologique vécue par de nombreux créateurs, journalistes et chercheurs qui travaillent sur le sujet. En cinq ans d’activité, je n’ai jamais eu à vivre la moindre forme de harcèlement, à la différence de plusieurs de mes invités. C’est une chance, mais aussi le résultat de certains choix.
Publier à mon rythme, tenir une ligne éditoriale fluide, garder une certaine distance avec les réseaux sociaux, ne pas avoir les yeux rivés sur mon nombre d’abonnés. Ce n’est pas une recette payante pour la notoriété, mais c’est sans aucun doute la meilleure décision pour ma santé. Pour autant, ça ne m’empêche pas de me sentir épuisé. Mais heureusement, l’interview du jour m’aura ressourcé. Pour la première fois depuis la création de PWA, je reçois une autrice de BD. Et au vu de son succès, c’est une conversation à laquelle je ne croyais pas. Autant dire que la publier aujourd’hui est sans aucun doute la meilleure nouvelle de mon drôle de mois.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
Plumes With Attitude est une newsletter sur l’écriture sous toutes ses formes. Si vous avez envie de suivre cette publication, abonnez-vous pour recevoir les prochaines éditions. Et si vous voulez soutenir mon travail sur ce média en échange de chouettes contreparties, je vous encourage à me faire un don (ponctuel ou tous les mois) sur Tipeee. 🤞
🎙 INTERVIEW… Sixtine Dano
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées de véritables plumes “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Sixtine Dano, qui est autrice et dessinatrice de bande-dessinée, animatrice 2D mais aussi activiste climat. En début d’année, elle a sorti Sibylline, chroniques d’une escort girl aux éditions Glénat. C’est non seulement un récit que j’ai trouvé sublime, mais aussi des sujets et un format que je n’avais encore jamais abordés dans PWA. Ça va sans dire que je vous recommande vivement de la lire !
🤫 Précision : cette interview ne contient pas de spoilers sur son intrigue.
Hello Sixtine et un grand merci d’avoir répondu à mon invitation ! Je suis très heureux de te recevoir suite à la sortie de ta première BD, Sibylline, que j’ai adorée et dont j’ai hâte de parler avec toi. Je te propose de commencer par revenir ensemble sur son titre, qui est le pseudo choisi par ton personnage principal, Raphaëlle, pour s’inscrire sur un site d’escort girls. Dans le langage courant, c’est un adjectif qui veut dire obscur, mystérieux, difficile à interpréter. Et je trouve qu’il s’accorde très bien avec la couverture du livre, notamment avec ce demi-sourire énigmatique qui interroge beaucoup. Quelle est l’histoire derrière ce choix de nom ?
C’est un choix qui s’est imposé naturellement dès que je suis tombé dessus dans mes recherches. Je ne me souviens plus à quel moment je l’ai choisi, mais il est venu assez tôt. Je voulais un nom qui ait à la fois une certaine rareté et un sens particulier. J’ai eu une réflexion similaire pour le nom d’un personnage secondaire, Elio, qui évoque le soleil et fait écho à une rencontre lumineuse dans le récit.
Pour un premier livre, tu abordes un certain nombre de thèmes souvent jugés tabous, à commencer par le travail du sexe et la précarité étudiante. Je suis curieux de savoir comment cette idée de scénario a germé. Y a-t-il un sujet que tu voulais traiter en priorité ?
Je voulais avant tout écrire l’histoire d’une jeune fille qui se découvre en tant que femme. Ce qui me tenait à cœur, c’était de montrer toutes les injonctions auxquelles on fait face en chemin. Au cœur du récit, il y a un grand questionnement : comment un personnage qui nous ressemble et à qui on peut facilement s’identifier va être amené à faire un choix largement condamné par notre société ?
Pour comprendre sa décision, je voulais aller au-delà du seul prisme de la précarité étudiante — que j’aurais d’ailleurs pu accentuer davantage tant la politique d’Emmanuel Macron n’a fait que contribuer à l’aggraver ces dernières années. Mais si l’argent, les inégalités et le coût de la vie servent de toile de fond au récit, ce n’est qu’une fraction des raisons qui font que Raphaëlle va devenir une escort girl.
Quand j’ai lu ton livre pour la première fois, je voyais avant tout dans le choix de Raphaëlle une réaction à ces nombreuses injonctions qui pèsent sur les femmes. Mais entre-temps, j’ai découvert que tu es active depuis des années dans des collectifs militants. Et en l'occurrence, tu es actuellement en procès avec plusieurs membres d'Action Justice Climat (ex-Alternatiba) pour un acte de désobéissance civile en 2021 — dont tu parles en dessin sur Instagram. C’est une information qui a sans doute influencé ma deuxième lecture de Sibylline pour préparer cette interview. Et qui m’amène à te demander : peut-on voir dans le choix de Raphaëlle un acte de désobéissance ?
J’ai voulu dessiner les contours de ce piège qui nous pousse, en tant que femmes, à chercher la validation à travers le regard des hommes. Dès notre plus jeune âge, on nous impose cette quête vaine de beauté, de minceur et de jeunesse éternelle comme étant le but ultime de notre existence. Dans Sibylline, je montre un souvenir d’enfance de Raphaëlle qui essaye le maquillage de sa mère et feuillette un magazine féminin avec des titres absurdes comme “Séduire son boss : bonne ou mauvaise idée ?”.
À cela s’ajoute l’importance qu’accorde son père à l’ascension sociale de sa fille — Raphaëlle venant d’une famille de classe moyenne de province. Ses études à Paris l’amèneront d’ailleurs à constater que certains de ses camarades de promo viennent de milieux bien plus privilégiés. Et surtout, que ce n’est pas si simple de s’émanciper. On peut alors voir son inscription sur un site d’escort girls comme sa réponse à un conditionnement insidieux par notre société. Mais c’est vrai qu’on peut aussi y voir un acte de désobéissance, en particulier vis-à-vis de son entrée violente dans la sexualité.
Dans un flashback au début du livre, on découvre que Raphaëlle a été violée alors qu’elle avait moins de quinze ans par le grand frère majeur d’une amie censé surveiller la soirée d’anniversaire à laquelle elle était invitée. D’une certaine façon, devenir escort girl va être pour elle une façon de reprendre le pouvoir sur son corps et sa sexualité — en se mettant à en faire payer l’accès. Mais elle va surtout se rendre compte que c'est un travail avec une grande part d’aliénation, et bien sûr de dangers.
En quoi le travail du sexe est-il une bonne grille de lecture pour analyser les différences genrées au sein de notre société ?
Si le travail du sexe est un sujet d’étude aussi intéressant, c’est parce que les personnes qui le pratiquent sont au carrefour de toutes les violences possibles. C’est aussi un prisme qui exacerbe les inégalités entre les genres et entre les classes sociales. Dis-toi que c’est déjà très difficile d’être prise au sérieux au commissariat quand on porte plainte pour viol, alors je te laisse imaginer quand c’est une prostituée qui doit expliquer que c’était avec un client… Et encore, mon récit n’aborde qu’une fraction infime de l’étendue de la prostitution en France.
Et si la figure de la prostituée a souvent été explorée dans la pop culture, c’est un sujet qui s’est longtemps heurté à de nombreux clichés. Il y a d’un côté le traitement misérabiliste stigmatisant de nombreuses œuvres, et de l’autre, le vernis très fleur bleue de comédies romantiques comme Pretty Woman. C’est beaucoup plus rare de voir des scénarios et des personnages crédibles, basés sur de véritables témoignages. Bien sûr, il y a des exceptions comme Putain, le récit d’autofiction de Nelly Arcan, ou Bagarre Érotique, le roman graphique de Klou.
L’an dernier, il y a tout de même eu Anora de Sean Baker, qui a été récompensé par la Palme d'or et plusieurs Oscars. Forcément, la thématique du film et le timing font qu’on a envie de le rapprocher de Sibylline. Comment as-tu réagi face à l’arrivée d’un tel mastodonte quelques mois avant la sortie de ton livre ?
Quand le film est sorti, la BD était terminée depuis un moment et allait être envoyée à l’imprimeur. Je n'ai donc pas eu à vivre cet effet de comparaison pendant la phase d'écriture. Après, j’essaye de ne pas trop me comparer en général. Je vais assez peu en librairie pour cette raison. C’est très intimidant de voir le nombre de nouvelles BD qui sortent chaque semaine. On peut vite se laisser impressionner, voire développer un sentiment d’angoisse qui peut nous paralyser dans notre démarche de création.
Bien avant Anora, le sujet de la jeune étudiante parisienne qui se prostitue avait déjà été abordé au cinéma. On a beaucoup comparé Sibylline à Jeune et Jolie, de François Ozon. Je l’avais vu à sa sortie [en 2013] et je n’ai pas voulu le revoir depuis, de peur que cela n’influe trop sur mon scénario. En revanche, plusieurs filles rencontrées dans le cadre de mes recherche de témoignages pour le livre m’ont confié que c’est ce film qui leur a donné envie de devenir escort girl. Et c’est justement ce que j’ai cherché à éviter à tout prix avec Sibylline.
En même temps, je me souvenais davantage du film pour son approche esthétique que pour son message politique. J’avais aussi retenu que ça avait choqué que le personnage [joué par Marine Wacth] se prostitue alors qu’elle venait d’un milieu bourgeois parisien et qu’elle n’avait pas besoin d’argent. J’ai eu des profils “similaires” parmi les témoignages, avec des filles qui ne se sont pas lancées dans cette voie par pression financière. Mais leurs expériences ne ressemblent en rien à ce que le film dépeint.
Ça n’a fait que renforcer ma volonté de m’éloigner d’un scénario centré sur des choix personnels vus comme des anomalies, pour mieux me concentrer sur le conditionnement structurel créé par notre société. Sur ce point, j’ai d’ailleurs largement préféré Anora — y compris la dernière scène qui a beaucoup fait parler. Reste que c’est encore un film où les femmes sont sexualisées à outrance, avec de nombreuses scènes très voyeuses dont on aurait largement pu se passer.
Un autre point commun que Sibylline partage avec Anora, c’est leurs succès publics et critiques respectifs. Ceci dit, il y a un retour sur ton livre qui m’a interpellé. C’est cette idée de ton regard “sans jugement” sur le récit que j’ai pu lire dans plusieurs articles de presse — par exemple ici sur France Inter. À mon échelle, j’ai plutôt eu l’impression que c’est avant tout une BD engagée dans laquelle tu partages les idées et convictions que tu portes en tant qu’artiste activiste. D’où ma question : que penses-tu de ce retour spécifique sur le livre ?
Je me dis que j'aurais pu avoir bien pire, donc je trouve que ce n'est pas si mal. J’imagine que ça fait écho à ma volonté de m’extraire des grands discours classiques vis-à-vis du travail du sexe. Je ne voulais aller ni dans la complaisance, ni dans l’incitation, ni dans la victimisation des personnes dont c’est le métier. Je voulais tout de même que le message soit préventif — car il y a de nombreux risques — sans pour autant tomber dans le misérabilisme. Ma priorité, c’était de construire un récit dans lequel on va ressentir de l’empathie vis-à-vis des personnages et de leurs décisions.
Je tenais à montrer un discours très nuancé sur le sujet, avec une variété de profils et de situations. Il y a des escort girls qui ont de bonnes relations avec leurs clients, d’autres qui ont même noué des liens d’amitié dans le cadre de leur activité. Ça existe, j’en ai rencontré. Mais il y a surtout plein d’histoires horribles, de risques à ne pas sous-estimer, et bien sûr de violences spécifiques vis-à-vis du métier. Beaucoup de filles se retrouvent prises au piège, d’autres en sortent brisées, mais certaines se reconstruisent à travers leur activité.
Pour un personnage du livre, c’est une passerelle qui contribuera à l’amener des années plus tard vers l’activisme. Ça peut sembler paradoxal, mais il n’y a rien d’étonnant à ça. Comme les travailleuses du sexe sont à la croisée des violences subies par les femmes dans notre société, certaines d’entre elles vont être en première ligne des luttes féministes. Et au-delà des nombreux jugements moraux qu’elles subissent, il y a aussi beaucoup de personnes se permettent de parler pour elles. D’où l’importance de les écouter. D’autant plus qu’elles contribuent à faire avancer la société sur de nombreux sujets, bien au-delà du travail du sexe.
Comme je n'avais encore jamais reçu d'autrice de BD dans la newsletter, j’ai envie de t’entendre sur les spécificités de ce format. Je te propose qu’on revienne ensemble sur les coulisses de la construction de ton récit, aussi bien du côté de l’écriture que du dessin. Quelles ont été les différentes étapes dans la création de Sibylline ?
Vu que je viens de l'animation, j’ai pensé mon récit comme un film. Je l’ai beaucoup visualisé en me basant sur un cadrage cinématographique. J’ai respecté les règles de storyboard du cinéma, tout simplement parce que c’est comme ça que j’ai appris. Même chose pour le scénario, qui est du même format que pour un film. Ça explique aussi pourquoi il y a tant de musiques dans le récit, qui a comme une bande originale. J’avais même envisagé une voix off tout au long du récit, mais je ne l’ai finalement gardée que pour une scène-clé du livre.
On m’a parfois fait la remarque que mes personnages parlent assez peu. Et c’est vrai que certaines des scènes que j’ai le plus travaillées sont sans dialogue. Là aussi, je vois une conséquence directe de ce fameux mantra du cinéma : “show, don’t tell”. Comme c’est ma première BD, je ne réalise pas encore forcément tout l’espace d’écriture et de dialogue que peut m’offrir le format. En revanche, chaque scène, chaque détail a son importance vis-à-vis du message que je veux faire passer. Je peux te montrer un exemple très parlant que les lecteurs de la BD pourront vérifier par eux-mêmes.
Cela concerne le traitement visuel de l’évolution de la sexualité de Raphaëlle. Au tout début [p.53], elle couche pour la première fois avec Julien et… disons que l’acte tient sur une seule page. Ce sont les plus petites cases du livre, c’est dans le noir, on voit à peine le visage de Raphaëlle, et on sent que le moment est centré sur son plaisir à lui. Rien à voir avec une autre scène de sexe vers la fin du livre [p.172] qui s’étend sur une douzaine de pages et où j’ai dessiné son orgasme à elle sur une double page. On passe d'un état d’enfermement — dans le dessin comme au lit — à une véritable libération. Et ça vient illustrer cette transition possible vers une sexualité plus saine et épanouie.
Je suis toujours heureux d’entendre ce genre de petits secrets de fabrication. Et à quel moment est arrivé le dessin par rapport à l’écriture du scénario ?
Très tard. Mon scénario était bouclé et les dialogues déjà écrits quand je m’y suis mise. En même temps, j’avais commencé à plancher dessus au début de mes études. Et à l’époque, je ne me sentais pas encore au niveau sur le volet dessin. Ce n’est que cinq ans après la fin de mes études que j'ai commencé à me dire que j’avais développé un univers graphique assez abouti pour pouvoir envisager d’en faire une BD.
Pour la petite anecdote, j’avais demandé à Joann Sfar de jeter un œil à mon scénario alors qu’il était de passage à mon école, Les Gobelins. Et il avait refusé, sous prétexte que “Si tu n'as pas de dessin, ce n'est pas de la BD”. Ça a réveillé mon syndrome de l’imposteur, au point de me faire arrêter de travailler dessus. Je me suis dit qu’il avait sans doute raison et ça m’a fait perdre un an ou deux. Après tout, pourquoi me sentir légitime à faire une BD alors que je n’arrivais pas à me mettre à dessiner ?
Depuis, j’ai rencontré plein d'auteurs et autrices de BD. Et j’ai découvert qu’il y a autant de méthodes que d’artistes. Certaines personnes dessinent dès le départ, d’autres ont besoin d’avoir tout à l’écrit avant de s’y mettre. Il n’y a pas de règles, tout est valable. Donc il ne faut pas écouter les gens qui cherchent à nous démonter juste parce qu’on ne travaille pas comme eux.
Belle revanche en tout cas ! Comme tu viens de l’animation, que la BD cartonne et que tu as réalisé un superbe trailer pour sa sortie, tout semble indiquer qu’on retrouvera peut-être un jour Sibylline à l’écran. Quelles sont tes envies pour la suite ?
Pour l'instant, rien n'est signé mais c'est en bonne voie. Plusieurs sociétés de production se sont manifestées et j’aurais très envie de m’impliquer à fond dans une adaptation. Reste à voir si ce serait au scénario, à la réalisation, voire les deux. Si ça se fait, ça devrait déjà bien occuper dans les cinq prochaines années.
En tout cas, j'ai adoré faire une BD ! J’ai vraiment découvert ce format, qui donne une liberté incroyable. Et quand on veut écrire une histoire engagée, je trouve que ça offre une belle surface pour détailler son propos et ses idées. À noter aussi qu’on est beaucoup plus considéré et respecté en tant qu’artiste qu’en tant que militant. Et je dis ça après avoir été longtemps malmenée par les médias en tant qu’activiste.
À l’époque des Gilets Jaunes, j’étais passée dans plusieurs médias pour parler du rapprochement entre le mouvement et certains collectifs activistes pour le climat. J’avais été harcelée sur les réseaux sociaux suite à mon passage dans C Politique. Je me suis faite couper la parole et traiter de “débile” sur le plateau des Grandes Gueules, sur RMC. Et ce, juste pour avoir dit que la générations de mes parents et au-delà s’inquiétaient moins du réchauffement climatique parce qu’elles auraient moins à en subir ses conséquences.
Donc j’ai eu très peur de l’accueil de Sibylline par la presse — surtout avec le sujet du travail du sexe. J’ai tellement eu l’habitude d’avoir vu mes propos déformés par des journalistes, ou qu’ils reprennent juste une petite phrase isolée de son contexte pour me discréditer. Sauf que ça a été tout le contraire de ce que j’ai connu auparavant. Je me suis retrouvée en pleine page dans des magazines et on ne me coupe plus quand je partage mes idées. Et je dois dire que ça fait du bien de se sentir respectée dans les médias et de ne pas avoir sa parole systématiquement remise en question.
Forcément, tout ça me donne envie de me replonger dans une nouvelle BD et d’explorer d’autres sujets. Reste que Sibylline aura mis dix ans à voir le jour. Alors même si j'ai plusieurs brouillons en cours, je sais que ce genre de projet s’inscrit sur du temps long. D’autant plus que je ne vis pas de ça, mais de mon métier d’animatrice pour le cinéma. J’ai donc mes heures à faire pour garder mon statut d’intermittente, payer mon loyer à Paris, et financer mes projets BD à venir.
Pour conclure cette interview, il me reste une dernière question à te poser. Si on ne devait retenir qu’un seul message de Sibylline, tu voudrais que ce soit quoi ?
Ça a déjà été dur de tout faire tenir en 260 pages... J’aimerais d’ailleurs que l’adaptation en long métrage me permette de développer certains points du récit. Ce que je peux déjà te dire, c’est que cette BD aura été une véritable catharsis pour moi. En tant que femme, j’ai passé trop de temps dans ma vie à accorder de l'attention au regard que les hommes pouvaient porter sur moi. J’ai trop longtemps estimé ma propre valeur aux marques de considération que je pouvais recevoir (ou non). C’est un problème que je pense partager avec de nombreuses femmes. Ça concernait déjà toutes les filles qui m’ont partagé leurs expériences d’escort girls dans le cadre de mes recherches pour Sibylline.
Encore aujourd’hui, il suffit de regarder tout le contenu publié sur les réseaux sociaux pour nous dire comment s’habiller, se maquiller, perdre du poids… Ça en dit long sur tout ce temps que l’on peut passer à se préoccuper du regard que les hommes posent sur nous. Alors si je devais choisir un seul message au cœur de Sibylline, ce serait d’encourager les femmes à en prendre conscience et, petit à petit, à s’en libérer. Car si on réussit collectivement à reprendre le contrôle de ce temps perdu pour écrire, créer, dessiner, lutter ensemble, rejoindre des associations ou des mouvements activistes, je suis convaincue que le monde ne s’en portera que mieux.
Et je te propose de finir sur ça. Un grand merci pour cette conversation géniale, Sixtine, et encore bravo pour Sibylline ! J’ai hâte de voir ce que tu nous réserves pour la suite et je te dis à très bientôt.
4 interviews de PWA sur des sujets voisins :
PWA #83 avec Hadrien Klent : sur un roman qui a failli être une BD
PWA #80 avec Laura Daniel : sur l’univers onirique d’une illustratrice
PWA #69 avec Salomé Saqué : sur les jeunes et la désobéissance civile
PWA #58 avec Fanny Vedreine : sur le féminisme en tant que militante
Psssst : Je suis tout seul à travailler de A à Z sur cette newsletter, qui vivote sans subvention ni publicité, depuis plus de cinq ans. Alors choisir de me soutenir financièrement, c’est donner des ailes au média, mais aussi du baume au cœur à son créateur. Enfin, si vous en avez les moyens et que vous en avez envie, privilégiez le don mensuel pour inscrire votre soutien dans la durée. Un grand merci ! 🦚
🔮 GRAND BAZAR… Dans le radar
Reco ciné du mois : Le Garçon, de Zabou Breitman et Florent Vassault.
Schrödinger vibes : Ce mois-ci, vous avez peut-être entendu parler d’hypnocratie. Il s’agit d’un concept philosophique — dont la thèse est résumée ici — au cœur d’un livre éponyme publié par un certain Jianwei Xun. Sauf que, 2025 oblige, cet auteur n’existe pas. Enfin si, un peu quand même. Et non, ce n’est pas juste une histoire d’IA. Ce serait apparemment un peu plus que ça. D’autant plus que cette révélation viendrait justement renforcer le propos du livre, qui porte sur la manipulation d’états de consciences à grande échelle. Arnaque ou signal faible ? Sans doute un peu des deux. Si ça vous avez envie de creuser le sujet, je vous conseille cette “conversation” dans le Grand Continent sur les coulisses d’une expérience qui ne fait que commencer.
À l’air libre : En ce mois de grande cacophonie politique, l’émission long format de Mediapart animée par Mathieu Magnaudeix aura été un étonnant havre de paix. Étonnant car cela se traduit concrètement par des heures de discussions sur les mensonges du RN, la trumpisation des médias, la santé mentale des jeunes ou encore l’antisémitisme. Pas les sujets les plus réjouissants, c’est rien de le dire. Mais du journalisme de qualité que je n’ai pas hésité à transférer quand des discussions récentes sur l’actu me semblaient s’éloigner dangereusement de certains faits.
🤝 Coup de projecteur 🤝 : Une fois n’est pas coutume, j’ai accepté un échange de visibilité. En début d’année, Diane Fastrez me l’a proposé avec sa newsletter Chapitre, dans laquelle elle fait un tour d’horizon des curiosités du monde littéraire. Et comme elle a mis PWA à l’honneur le mois dernier, à mon tour de lui rendre la pareille ! D’autant plus qu’elle vient de se mettre au format interview, avec pour première invitée Todorka Mineva, qui a traduit Triste Tigre, de Neige Sinno, vers le bulgare.
🗣 MEANWHILE… L’actu des plumes
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition : benjamin.perrin.pro[a]gmail.com
Kéliane a fait passer sa newsletter au format payant.
Séverine a écrit sur l’épuisement systémique.
Agathe a publié une version “pochette surprise” de sa newsletter.
Thibaut et Pauline ont fait une publication à deux sur le thème des utopies.
Julia a vu sa newsletter recommandée dans Lire Magazine.
DERNIÈRE CHOSE…
En début de newsletter, j’évoquais un marché du travail actuel particulièrement tendu, aussi bien pour trouver des missions en freelance qu’un emploi. Je vais donc faire quelque chose que je n’aime pas trop faire mais qui a déjà marché par le passé : jeter une bouteille à la mer. Aux grands maux, les grands remèdes.
Alors si vous êtes sensibles à ma plume et que avez vent d’une belle opportunité dans un métier de l’écrit (par exemple en UX Writing, conception-rédaction, communication, gestion de projets éditoriaux), faites-moi signe par e-mail, Instagram ou LinkedIn. → benjamin.perrin.pro[a]gmail.com | @plumeswithattitude
Et comme j’ai encore eu le plaisir d’en distribuer un certain nombre en avril, je vous remets ici les différentes façons de vous procurer votre paire de chaussettes collector PWA en échange de votre précieux soutien :
Don ponctuel : 15€ (remise en plume propre à Paris) ; 20€ (livraison en France)
Don mensuel, remise en plume propre ou livraison : à partir de 5€/mois*
* Si vous voulez m’aider à couvrir mes frais liés à PWA, investir dans le développement du média et soutenir mon activité dans la durée, c'est le format à privilégier. 🤠
May the words be with you,
Benjamin
Plumes With Attitude est une newsletter indépendante sur l'écriture au sens large, entre interviews de plumes de tous horizons et curation de haut vol. Si vous avez aimé la lecture, n’hésitez pas à la partager autour de vous (par exemple sur Instagram) et à me dire ce que vous en avez pensé.
Allez hop dans ma to-read-list Sybilline !
Merci Benjamin pour cette super newsletter, une fois de plus !
J'ai hâte de lire la BD de Sixtine et j'adore sa conclusion <3