Chères plumes,
Le déconfinement marque un nouveau départ pour Black Swans Collection.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment de voir ce drôle d’oiseau sortir du nid de la quarantaine dans lequel celui-ci a éclos. Cette troisième édition marquera ses premiers pas. Et en ce sens, j’espère qu’elle vous plaira.
Au programme : une plongée littéralement “en nous”.
Considérez cette édition comme une invitation à voir nos organes sous un nouveau jour (🙈), à miser sur notre for intérieur pour mieux prédire le futur, ou encore à nous réconcilier avec nos goûts.
Je vous souhaite une excellente lecture,
Benjamin
🧠 HEAD… Grand Corps Scalable
Ici il s’agit d’aiguiser sa vision de l’avenir que l’on veut construire demain.
Ce schéma ci-dessus est le plus mémorable que j’aie jamais vu. Et il est signé Scott Galloway. Dans la neuvième édition de Plumes With Attitude, je comparais avec affection le professeur enragé à un véritable “Heisenberg de la tech”.
Son livre The Four l’a érigé en analyste de premier plan des GAFA, avant que celui-ci soit de nouveau sous le feu des projecteurs par sa prédiction de la débâcle de WeWork. Passé par un TED Talk en 2017, Scott Galloway explique l’hégémonie des GAFA par leur capacité à faire appel à l’irrationalité de nos organes.
Résumons brièvement son analyse :
Google → cerveau (pensée)
Comparé ni plus ni moins qu’à un Dieu moderne, Google a toute d’une puissance surnaturelle. En apportant instantanément une réponse à la moindre de nos questions — aussi intimes soient-elles — posées dans sa barre de recherche, il est devenu l’allié ultime pour guider nos vies. D’ailleurs, l’ancien slogan de la firme “Don’t Be Evil” a tout d’un impératif moral issu de la religion.
Facebook → cœur (relations)
Malgré les scandales, Facebook et ses applications (WhatsApp, Instagram, Oculus) sont aujourd’hui plus que jamais le ciment de notre vie sociale. Et comme le dit si bien notre ami Scott Galloway, la qualité de nos interactions avec les gens qui comptent est l’un des facteurs les plus déterminants dans notre espérance de vie. De là à dire que Facebook nous fait du bien, il y a un pas… que je ne franchirai pas.
Amazon → intestins (survie)
Quoique peu flatteuse, la fonction d’Amazon n’en demeure pas moins précieuse. Garante de notre logistique interne, la firme de Jeff Bezos est censée faire office de régulateur plus que de fournisseur. Mais c’est sans compter sur sa capacité à donner un sentiment d’importance vitale à nos envies triviales. Intestin oblige, c’est aussi à elle que revient le sale boulot…
Apple → sexe (statut)
Ce n’est pas un hasard si l’entreprise à la pomme se retrouve au niveau de l’entrejambe. Pour Scott Galloway, acheter un iPhone fait appel à notre instinct biologique de reproduction en donnant le signal que “nos gènes sont mieux que ceux des propriétaires d’Android”. Bien sûr, le message est beaucoup plus subtil dans le storytelling d’Apple. Il n’empêche que l’entreprise a réussi à faire de ses produits de véritables (sex) symboles, conférant un certain statut et un sentiment de désirabilité perçus — consciemment ou non — par leurs clients.
Au-delà de son analyse des GAFA, c’est la grille de lecture de Scott Galloway que je trouve encore plus fascinante. Associer les outils de notre quotidien à nos organes illustre à la perfection en quoi Internet nous augmente — et aussi nous dessert. Ce nouveau prisme nous permet également de mieux identifier, auditer et réévaluer les composantes de notre propre stack.
Dans l’édition précédente de Black Swans Collection, nous avons fait la distinction entre les réseaux sociaux classiques axés sur le front-end de l’individu et les nouveaux venus qui s’intéressent davantage à notre back-end. Pour moi, il est essentiel de se poser la question du patrimoine accumulé au travers de notre utilisation du web. L’analogie de Scott Galloway n’est d’ailleurs pas sans me rappeler les quatre types de capitaux théorisés par le sociologue Pierre Bourdieu :
Capital culturel → Google (cerveau)
Capital social → Facebook (cœur)
Capital économique → Amazon (intestins)
Capital symbolique → Apple (sexe)
Là encore, le plus important n’est pas la classification choisie mais le raisonnement qui va avec. Car au-delà des GAFA, c’est toute notre utilisation d’Internet — et in fine de nos besoins sous-jacents — qui peut être analysée par ce prisme. Vous pouvez faire le test avec les plateformes que vous utilisez, les contenus que vous consommez, ou encore vos projets personnels et professionnels.
Classer les sites, outils et plateformes que vous utilisez à l’échelle de nos organes nous donne une idée plus précise de notre patrimoine immatériel généré par notre utilisation d’Internet. C’est une grille d’analyse idéale pour déterminer les directions dans lesquelles on veut aller, et bien sûr les capitaux que l’on veut développer.
Pour illustrer mon propos, je me jette à l’eau et vous dévoile ma stack toute en organes :
Cerveau → Substack, Gmail, Twitter, Notion, Spotify
Pas de surprises ici, ce sont les trois composants essentiels de ma “Pensine”. À noter que Substack et Twitter sont aussi bien des outils de veille que de distribution de savoir. Quant à Gmail, je l’utilise comme un petit Google privé, avec son moteur de recherche indexé sur le contenu de mes newsletters préférées. Notion héberge depuis peu mon archive de Plumes With Attitude. Pour finir, Spotify est ma plateforme de prédilection pour l’audio (musique + podcasts).
Cœur → Messenger, Gmail, Twitter, LinkedIn
Plus évidente, ma stack de cœur se distingue davantage par les plateformes absentes. Point d’Instagram dans ma vie et très peu de communautés Slack rejointes : je préfère concentrer mes interactions là où sont mes amis, ainsi que sur des canaux moins bruyants et plus propices à l’interaction directe pour découvrir de nouvelles personnes. Et en cela, Twitter reste un outil particulièrement sous-estimé — notamment par rapport à LinkedIn — alors que son potentiel est… illimité.
Intestins → Substack, Motley Fool, Revolut, Coinbase
Ce sont les outils de ma survie économique. J’y investis du temps et de l’argent pour générer des revenus issus de mon travail (Substack) et du capital (les trois autres). Motley Fool est mon média de prédilection pour m’éduquer sur les placements en bourse, que j’opère via Revolut. Coinbase concentre mes achats de cryptomonnaies. N’hésitez pas à m’écrire si vous voulez en disucter !
Sexe → Substack, Twitter, LinkedIn
Plus difficile à catégoriser, j’ai rangé ici les plateformes sur lesquelles je mise pour être lu et avoir mes idées reconnues. Les fameux social clubs évoqués dans l’édition précédente y trouvent naturellement leur place. Ceux-ci jouent sur nos besoins en matière de sentiment d’appartenance et transformation identitaire, en nous promettant l’accès privilégié à des cercles élitistes et/ou huppés.
Pour aller plus loin…
✊ HAND… Pari tenu !
Ici on passe du concept au concret, et de la théorie à l’outil.
100% des gagnants ont tenté leur chance” : j’ai toujours considéré la célèbre tautologie du Loto comme l’un des meilleurs slogans jamais inventés. Et quoique je trouve la démarche des jeux de hasard assez absurde en soi, je me suis laissé aller plus d’une fois aux paris sportifs… avec d’excellents résultats — mais ce sera pour une prochaine fois. Chance du débutant ou non, il y a tout un monde entre le hasard le plus complet et l’art subtil de la prédiction. Si bien qu’une entreprise évoquée dans l’édition précédente en a fait l’un des piliers de sa culture interne, et aussi un véritable moteur de sa croissance : Twitch.
Employé : I’ll get Project X done this quarter.
Manager : How surprised would you be if it wasn’t done by the end of the quarter?
Employé : Actually not that surprised. Project Y is my top priority and projects like X have taken a full month in the past.
Manager : So it’s unlikely to be done this quarter. When are you 80% sure it’ll be done by?
Employé : I feel 80% confident I can deliver it by the end of June.
Manager : That sounds right. Let me know if that changes.
— Une conversation lambda chez Twitch
La conversation ci-dessus est tirée d’un article fascinant du Harvard Business Review, publié en 2017 par Danny Hernandez. Auparavant Data Scientist chez Twitch, celui-ci s’occupe désormais des prévisions à OpenAI : le laboratoire de recherche sur l’intelligence artificielle fondé par Elon Musk et Sam Altman (ex-CEO de Y Combinator) qui compte Reid Hoffman et Peter Thiel parmi ses membres. Du costaud.
Qu’on se le dise tout de suite : tout individu et entreprise est amené à faire des paris au cours de sa vie. Et le recours à l’intuition en fait évidemment partie. Ce qui est unique chez Twitch, c’est cette explicitation de la culture de la prédiction. La confiance en ses idées s’exprime en %, les paris sont dans toutes les conversations, ceux-ci ont une valeur d’arbitrage lors de prises de décision, certains sont même à l’origine des plus importantes évolutions du produit, et l’approche de Danny est devenue une formation officielle en interne.
La prédiction en entreprise n’est pas sans rappeler la méthode des Objective Key-Results (OKR) initiée chez Dell et popularisée par Google, souvent encensée comme vecteur d’alignement. Plus récemment, cette dernière a gagné de nombreux adeptes… à la maison. Des individus se sont ainsi appropriés l’outil pour mesurer des indicateurs de réussite et évaluer leurs progrès dans leurs objectifs de vie. Quoique proche dans l’idée, cela reste une toute autre démarche que celle de faire ses propres prédictions.
Car si les finalités se ressemblent sur le volet croissance et alignement, le cheminement quant à lui, est très différent. Pour être tout à fait transparent, je ne suis pas un grand fan des OKR que je trouve rigides et peu stimulants. L’idée de suivre un plan préétabli, ce qui laisse selon moi trop peu de place à l’adaptation et à l’innovation. Pour moi, la méthode OKR s’utilise comme une carte là où la pratique de la prédiction fonctionne comme une boussole. Cette dernière peut sembler certes moins précise, mais elle fait la part belle à la découverte.
Son intérêt va d’ailleurs bien au-delà de l’aide à la prise de décision. À mes yeux, le plus beau dans le pari n’est pas la victoire mais le jeu. Car s’il est grisant de gagner, vérifier une hypothèse ou prouver que l’on avait raison, il y a surtout une véritable excitation à se jeter dans l’arène et tout faire pour que notre prédiction se réalise. En tant que freelance ou entrepreneur, c’est un réflexe à prendre pour trouver où concentrer les fameux 20% d’efforts qui vont générer 80% du résultat.
En cela, le pari est un formidable vecteur de motivation. Et lorsque vous êtes plusieurs dans le coup, vous pouvez compter sur le facteur émulation. Pour une équipe, cela sous-entend de créer un environnement dans lequel les employés se sentent suffisamment libres et en confiance pour se livrer à l’exercice sans risquer de blâme en cas d’échec. Mais dès lors que ces conditions sont réunies, la prédiction se révèle être un jeu dans lequel les participants n’ont paradoxalement… rien à perdre.
Pour aller plus loin…
❤️ HEART… Nous, c’est le goût
Ici on fait la part belle à la pensée noble, celle qui vient du cœur.
Avant de rencontrer sur Twitter la mère de son dernier enfant “X Æ A-12”, Elon Musk était déjà conquis par l’univers musical apocalyptique de Grimes. Quant à Ben Horowitz, c’est un grand fan de Chance The Rapper. Si bien que celui-ci a même aidé l’artiste à percer sur le marché chinois. Ces deux exemples illustrent l’importance que peuvent avoir nos goûts dans notre vie… et celle des autres.
C’est pourtant un trait de personnalité que nous avons souvent tendance à laisser de côté, voire à carrément sous-estimer. À l’époque du software roi, on lui préfère les codes de l’ingénierie comme étalons-mesures du succès. Chiffres concrets, étude quantitative et rationnalité de la prise de décision sont devenus les meilleurs alliés du jugement. Et si j’adhère à l’idée que notre identité est forgée par nos actions, nos goûts ne doivent toutefois pas être oubliés dans l’équation.
Pour l’auteur Zat Rana, le goût est “une façon de vivre, d'expérimenter et de voir : c'est la saveur qu’on donne à la vie sans le réaliser, jusqu'à ce qu’on commence à y prêter attention”. Celui-ci est influencé par nos centres d’intérêts et notre curiosité pour ceux des autres, qui vont guider notre compréhension du monde et orienter nos créations.
Pauline Brown, ex-Chairman de la branche américaine de LVMH, a écrit un livre autour de la notion proche d’intelligence esthétique. Celle-ci est axée autour de la recherche du l’émerveillement, là où à l’approche de l’ingénieur est habituellement associée à la résolution de problème.
Certains fonds de la Silicon Valley ont ainsi refusé d’investir dans Airbnb à ses débuts car ils ne concevaient pas que des Designers pouvaient construire un empire. Depuis, des start-ups comme Notion, Figma ou Webflow ont marché dans leurs pas et n’ont même plus à demander pour lever de l’argent dans les meilleures conditions.
Dans sa théorie du collectionneur de ticket de bus, Paul Graham manifestait son enthousiasme à l’idée qu’il nous reste encore énormément à découvrir sur la découverte en elle-même. Je suis convaincu que notre exploration du goût est vouée au même avenir radieux.
Cela se vérifie déjà avec la popularité des communautés de niches qui deviennent de nouveaux exemples pour une consommation plus soucieuse du bien-être et de la qualité. Des entreprises comme Tesla, SoulCycle ou Patagonia sont les porte-drapeaux de l’aspiration economy.
L’intérêt est au goût ce que le fond est à la forme : indissociable, complémentaire, structurant. Tout comme notre inclinaison à nous intéresser spontanément à certains sujets, le développement de notre goût doit lui aussi être cultivé. C’est un ingrédient essentiel de notre identité, alors pourquoi l’ignorer ?
Am I really all the things that are outside of me?
Would I complete myself without the things I like around?
Does the music that I make play on my awkward face?
Do you appreciate the subtleties of taste buds?Animal Collective — Taste
Pour aller plus loin…
What Niche Magazines Can Teach Us About Taste (Ana Andjelic)
You Can’t Build a Brand by Aping Someone Else (Naval Ravikant)
🦸♂️ HERO… Tobi Lütke, CEO de Shopify
À chaque édition : un petit topo sur mes héros d’un jour ou de toujours.
Beaucoup voient en Shopify le prochain Amazon. Lorsque l’on pose la question à son fondateur et CEO, celui-ci a la réponse parfaite :
“Amazon is trying to build an empire and Shopify is trying to arm the rebels”
Cette distinction est au cœur de l’ADN de l’entreprise derrière la solution e-commerce de prédilection pour des millions d’entrepreneurs et artisans du monde entier. En avril, Shopify est devenue l’action canadienne la plus cotée en bourse — soit seulement douze ans après sa création.
Je me suis intéressé plus récemment à son fondateur Tobi Lütke, que j’ai trouvé fascinant dans son interview pour Farnam Street. Passionné de jeux vidéos, celui-ci m’a conquis dans sa comparaison de Shopify à la fleur de feu dans Super Mario : un superpouvoir pour décupler la force de frappe des entrepreneurs. Yahouu ! 🔥
Shopify fait d’ailleurs partie de ma petite liste d’entreprises que je considère comme les néo-GAFA. Mais comme vous vous en doutez sûrement en cette fin d’édition, ce sera pour une prochaine fois !
🕳️ HOLE…
Pour s’y perdre et surtout s’y retrouver en attendant la prochaine édition.
Yak Collective : Le collectif de choc mené par Paul Millerd et Venkatesh Rao a deux-trois bonnes idées pour le monde de demain, compilées dans un deck impressionnant.
Peter Thiel : Je viens de lire un portrait de l’auteur de Zero To One décrit au travers du prisme du Christianisme. Un long-read (mais must-read) dont David Perrell a le secret.
Musique, maestro : Contre-intuitive et contre-instinctive, la découverte de nouveaux morceaux n’est pas de tout repos pour notre cerveau. Raison de plus pour continuer à explorer nos frontières musicales, selon le magazine Pitchfork.
De l’addiction à la raison : La plus belle leçon de vie que vous recevrez aujourd’hui viendra sans doute de cet ancien toxicomane devenu modèle de sagesse.
DERNIÈRE CHOSE…
J’ai été très sensible à vos retours sincères et spontanés au sujet du contenu de la newsletter précédente. Et si on prenait cette habitude à chaque édition ?
Mention spéciale à celles et ceux qui en ont parlé publiquement autour d’eux ! Et pour mieux recommander Black Swans Collection, n’hésitez pas à envoyer à vos ami(e)s sa toute nouvelle Foire aux Questions.
En vous souhaitant un agréable (et prudent) début de déconfinement,
May the words be with you,
Benjamin
P.S : Je suis très curieux de tout savoir de vos stacks “organiques” ! Vous me racontez tout ça en commentaire sur Substack ou par retour d’e-mail ? 😉
Excellente édition ! Et voici mon stack ;)
🧠 : Gdoc, Pocket, Substack, Twitter
❤️ : Messenger, LinkedIn, Gmail (et de plus en plus Zoom)
🍽️ : Gdoc, Revolut et bientôt Netflix 🤞
🍌 : Substack, LinkedIn