Il y a des rencontres qu’on a hâte de faire, des discussions que l’on attend depuis longtemps, et des coups du destin qu’on aime provoquer. Et parfois, c’est encore mieux que tout ce qu’on pouvait s’imaginer. Mon échange avec notre invité du jour reflète ce sentiment à bien des égards. Et me fait penser que c’est pour ce genre de moments que j’ai créé cette newsletter.
Quant à sa petite sœur, elle est toujours à la recherche de nouveaux lecteurs. Alors si vous avez aimé les petits essais de l’édition hors-série de début de mois, n’hésitez pas à vous abonner à Black Swans Collection. C’est bon pour l’esprit, bon pour l’écrit, et cela vous permettra de creuser les pistes et idées explorées dans Plumes With Attitude.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
Plumes With Attitude est une newsletter sur l’écriture sous toutes ses formes. Si vous avez envie de suivre cette publication, abonnez-vous pour recevoir les prochaines éditions.
🎙 INTERVIEW… Ludovic de Gromard (Chance)
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées d’une véritable plume “With Attitude”. Aujourd’hui, je suis heureux de recevoir Ludovic de Gromard, qui est le co-fondateur et CEO de Chance. C’est sans doute la start-up française qui me fait le plus rêver, autant par son contenu que sa mission : rebattre les cartes de l’orientation professionnelle.
Hello Ludovic et merci d’avoir répondu à l’invitation ! Tu es le co-fondateur et CEO de Chance : une start-up que j’aime beaucoup, à commencer par son nom évocateur. Mais comme le mot a plusieurs sens, j’aimerais que tu me dises de quelle chance il est question.
Nous avons choisi ce nom en référence à l'égalité des chances et non au hasard. C’est la raison d'être de la boîte et nous avons voulu que cela se reflète jusqu’à son nom. On n'est pas tous égaux par rapport à la vie. Et la chance est égale à la préparation + l'opportunité. C’est pourquoi notre objectif est de s'adapter à chaque personne, quel que soit son bagage social, économique, culturel et psychologique, pour lui permettre de se connaître et de pouvoir saisir les opportunités qui se présentent à lui.
Lorsque tu as créé Chance en 2015, tu dirigeais les opérations dans une entreprise de verrerie. Ta co-fondatrice Clémence Coghlan travaillait dans une banque d’affaire. Et puis, il y a cette troisième grande figure du projet : Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix, qui est le Président d’Honneur de Chance. Peux-tu me raconter l’histoire derrière la création de Chance et m’aider à faire le lien entre vous trois ?
Tout a démarré aux Émirats arabes unis alors que je devais recruter 200 personnes pour monter une usine de fabrication de bouteilles en verre à Dubaï. Ça m'a amené à conduire un peu plus de 1000 entretiens entre l’Inde, les Philippines, le Sri Lanka, le Pakistan, le Népal… bref un peu partout où les gens avaient de l'expérience en fabrication de bouteilles autour du Dubaï. Et en interviewant toutes ces personnes, je me suis rendu compte que 90% des candidats que je rencontrais ne savaient pas vraiment pourquoi ils faisaient ce métier ou pourquoi ils étaient dans cette industrie. La réalité est qu’ils me donnaient l’impression de subir leur activité. Leur ennui était le résultat d’une succession d’événements doublée d’un enchaînement de non-choix. Il n'y avait pas eu de démarche de réflexion ou d’exercice de son libre arbitre entrepris pour y remédier. Quand je suis parti par la suite dans la Silicon Valley, j'ai reçu des Californiens en entretien qui répondaient à cette question du Why par du storytelling à l’américaine. Mais au fond, ils n’étaient pas forcément plus avancés sur la question que toutes les personnes que j’avais rencontrées entre l’Asie et le Moyen-Orient. Et bien sûr, cela pose aussi problème aux entreprises qui font des erreurs de recrutement majeures et embauchent des gens ne se projettent pas dans leur activité. Alors j’ai voulu me rendre utile à des personnes qui avaient eu moins de chance que moi dans la vie, à commencer par les jeunes défavorisés. Car aujourd’hui, il n'y a pas de mobilité sociale dans un pays comme la France. Il y a un chiffre que je trouve particulièrement évocateur à ce sujet. Si vous faisiez partie des 25% des Français aux salaires les moins élevés en 2018, il vous faudra en moyenne six générations à votre descendance pour passer au dessus du salaire médian. Et six générations, c'est ni plus ni moins que deux siècles. À titre de comparaison, la moyenne dans l’OCDE est de 4,5. Et pour le Danemark, c’est 2. Malgré un événement comme la Révolution française et l’abolition des classes qui a suivi, la mobilité sociale en France reste anecdotique. C’est comme ça que m’est venue la volonté d’aider des personnes — notamment celles qui sont issues des catégories les moins favorisées — à trouver un travail dans lequel elles seront engagées et donc performantes. Or, ces variables sont des conditions nécessaires à la mobilité sociale. Je voulais donc monter un social business, à savoir une structure hybride entre l’ONG et l’entreprise “for profits”, qui a été conceptualisé par l’entrepreneur social de référence, Muhammad Yunus. J'ai donc pris la décision d'aller étudier pendant trois semaines au Bangladesh les différents modèles qu'il avait monté là-bas. Après, il y a une petite histoire sur notre rencontre que je peux te raconter si ça t’intéresse.
Je suis clairement là pour ça (rires).
En fait, j'ai passé trois semaines sur le terrain à étudier le fonctionnement de la Grameen Bank et de ses joint-ventures avec Danone et Veolia. Et puis, il y a eu la Journée Mondiale du Social Business avec deux mille personnes qui viennent du monde entier pour parler de ce sujet. La veille, Yunus avait invité plusieurs délégations internationales à un dîner de gala. Bien sûr, je n’étais pas invité mais j’ai trouvé un moyen d’y aller. Et comme j’avais en tête que les gens qui travaillent dans le social ne sont pas particulièrement fringuées, je me suis ramené avec une chemise en jeans et un pantalon vert. Sauf que quand je suis entré dans la salle, je me suis retrouvé entouré de femmes élégantes habillées de longues robes et d’hommes en vestes. Autant dire que j’étais complètement à côté de la plaque (rires). Seulement, je n’avais pas le temps de retourner à l'hôtel pour me changer. Je décide donc de rester et commence à engager la conversation avec mon voisin de droite, qui s’est avéré être le Ministre de l’Économie du Kazakhstan. J’étais donc à un dîner où je n’étais ni invité ni habillé pour l’occasion, mais en plus j’étais en présence de représentants de gouvernements, de grandes entreprises, de fondations ou encore des Nations Unies (rires). Au bout d’un moment, Yunus est monté sur scène et nous a servi un discours avec le charisme habituel qu’on lui connaît. Moi j’étais tout au fond pour écouter celui que je considère comme mon idole. J’avais des étoiles plein les yeux comme un enfant qui verrait le Père Noël. Et puis, il nous a expliqué qu’au Bangladesh il est impoli de commencer à dîner avant l’arrivée de tous les convives. Or, la délégation de Hong-Kong était bloquée sur le trajet entre l'aéroport et l'hôtel. Alors pour meubler, il demande à son équipe si quelqu'un voudrait dire quelques mots sur la journée du lendemain. Comme personne ne réagissait, je me suis dit : “Ludo, c’est pour toi”.
Ça commence bien ! (rires)
Je me suis donc mis à courir vers la scène entre les tables de gala avec ma chemise en jeans et mon pantalon vert. Au deuxième rang, je reconnais Emmanuel Faber, le patron de Danone. Quand j’arrive près de la scène, Yunus me regarde étonné alors que je monte les marches — les cinq secondes les plus longues de ma vie. J’accède au micro qu’il me tend d’une main hésitante. Je n’avais pas l’air méchant mais je voyais à ses yeux grands ouverts qu’il se demandait ce qui me faisait courir comme ça jusqu’à lui (rires). Alors je me suis présenté : “Je m’appelle Ludovic, j’ai 27 ans et je suis Français. Et si je suis présent ce soir au Bangladesh, c’est parce que quelqu’un présent dans la salle a écrit un livre qui a changé ma vie”. J’ai marqué une pause. Et comme tous les gens présents devaient avoir écrit en moyenne 3-4 bouquins, ça a créé un petit suspense (rires). Après quoi, j’ai dit que c’était Emmanuel Faber et son livre Chemins de Traverse et j’ai pitché l’idée de Chance pour la première fois pendant quinze minutes alors que ce n’était qu’un projet dans ma tête qui n’avait même pas de nom. À la fin de mon discours, Yunus m’a pris dans ses bras et a dit au micro que c’était un exemple parfait de social business. Il a souligné que le besoin d'orientation professionnelle était un enjeu à échelle mondiale, et que c’était un pré-requis indispensable pour que les gens puissent sortir de leur condition — à commencer par toutes celles et ceux qu’il a lui-même aidé par le microcrédit. Et là, il annonce au micro qu’il allait m’aider dans mon projet. Le lendemain, j’avais une réunion avec Emmanuel Faber, et le surlendemain avec Yunus qui a accepté de devenir le Président d’une boîte qu’on a monté ensemble et qui est aujourd’hui Chance.
C’est ce que j’appelle une bonne soirée (rires) ! Et ta co-fondatrice, comment l’as-tu rencontrée ?
En rentrant du Bangladesh, j'ai démissionné de mon job à San Francisco pour me mettre à plein temps sur Chance. Clémence est une de mes amies de Dubaï. Je l’ai appelé quelques mois après ma rencontre avec Yunus. Au bout de trois heures de conversation, elle a réalisé qu’elle n’était elle-même plus alignée avec ce qu’elle faisait et qu’elle trouvait Chance bien plus utile à la société que son métier d’alors. C’est donc à ce moment qu’elle démissionne à son tour pour rejoindre l'aventure.
Aujourd’hui, vous accompagnez plus de 10 000 personnes dans leur orientation professionnelle. Et je voulais rebondir sur ton pitch de Chance, dans lequel tu parles de cet ami qu’on a tous — et qu’on est parfois nous-mêmes — qui ne sait pas trop où aller et qui n’arrive pas à apporter du changement dans sa vie. Et même quand il essaye de changer de métier ou de boîte, il a l’impression qu’au fond rien ne change. Comme si la vie était pour lui un pas en avant, deux pas en arrière. Alors je me demandais : t'es-tu toi-même déjà retrouvé dans cette situation?
Pas au niveau de mes choix professionnels, non. Mais il y a deux ans, j’ai fait un burn-out. Et un burn-out, c’est deux pas en arrière et zéro pas en avant. Parce que devant toi, il y a un mur. J’avais l’impression d’être dans l’impasse avec Chance et c’était l’année où on a déménagé notre siège social du Brésil à la France. Ce dont j’avais besoin, c’était d’un pivot aussi bien sur le volet professionnel que personnel. J’ai eu la chance d’être accompagné de façon méthodique par les bonnes personnes, qui m’ont aidé à poser les choses, structurer ma pensée, rebondir et avancer à mon nouveau rythme. Ça a beaucoup influencé notre changement de methode de choix professionnel, en développant ce qu'on appelle notre “révolution méthodique”. L’objectif est bien une révolution de l’individu, mais une révolution organisée, pas à pas. C’est tout sauf attendre une illumination soudaine pour tout plaquer et aller élever des chèvres dans le Larzac.
Justement, je voulais revenir sur votre méthodologie. J’ai vu que tu avais étudié la programmation neuro-linguistique à San Francisco : c’est ce qui t’a inspiré le fonctionnement de Chance ?
Exactement. J'ai vu la puissance que pouvait avoir la psychologie appliquée ou le coaching sur la vie des gens. Et comme à San Francisco, la technologie est le sujet central de toutes les conversations qui te permet de te faire des potes ou plus si affinités, alors j’ai bien été forcé à m’y intéresser davantage (rires). D’ailleurs, on va aussi utiliser l’autre NLP (Natural Language Processing) dans notre produit. Tout ça pour dire que ça m’a convaincu que si on combine la psychologie — et sa capacité de naviguer la finesse des reflexions humaines — avec la puissance de calcul et une exploitation raisonnée des données permises par la technologie, alors on peut faire de très belles choses. J’ai d’ailleurs une petite histoire sur la programmation neuro-linguistique qui est un autre moment fort de l’histoire de Chance.
Après l’histoire du dîner de gala, je suis preneur de toutes tes anecdotes (rires).
La NLP a été développée dans les années 70 aux États-Unis par John Grinder et Richard Bandler. Mais l’un des experts les plus respectés de la discipline s’appelle Robert Dilts. Ses travaux ont été beaucoup moins clivants, il a écrit vingt-sept livres (!) sur le coaching, et a lui-même coaché une bonne partie du top-management d’Apple au temps de Steve Jobs. Bref, c’est un personnage très important et aussi une figure centrale dans mon apprentissage. J’avais d’ailleurs essayé de lui envoyer un e-mail mais il ne m’avait jamais répondu. Et puis un jour, il a donné un training à Palo Alto. C’était 5 000€ et donc bien au-delà de mon budget, mais je voulais absolument le rencontrer. Alors ce que j’ai fait, c’est que je me suis renseigné sur le lieu et les horaires du séminaire, qui commençait dans la suite d’un hôtel à 14h. Je suis donc arrivé en trombe à la réception à 14h10 et j’ai dit que j’étais en retard pour le training. Ils m’ont laissé entrer et je me suis retrouvé devant la porte de la suite. Je me suis dit qu’il devrait fatalement faire une pause pour aller aux toilettes dans l’après-midi. Je me suis donc posté entre les deux portes histoire d’être prêt le moment venu. Et puis, il a fini par sortir au bout d'une heure et je l’ai abordé en m’excusant du côté abrupt de mon approche. Ce qui devait être une courte discussion de 5 minutes le temps d’une pause s’est finalement transformé en presque trois heures de conversations passionnées le soir même. Robert Dilts est devenu la tête pensante derrière tout le volet PsyTech, notamment ce qu’on appelle notre “coaching augmenté par la technologie”. C’est aussi l’un de nos premiers investisseurs.
Décidément, on peut dire que tu sais saisir ta chance ! Et aussi que ta boîte porte plutôt bien son nom. Tu parlais plus tôt de la figure de l’ami perdu dans sa vie et de ses non-choix. De mon côté, j’ai déjà entendu un autre son de cloche : celui de l’ami résigné qui dit avoir abandonné la recherche de l'épanouissement professionnel dans son activité. J’aurais aimé avoir ton avis sur la question : c’est un comportement que tu arrives à concevoir ou tu dirais que c’est une forme de déni ?
D'abord, c’est un comportement que je respecte. Car qui suis-je pour le juger ? Maintenant, est-ce que je pense qu’il y a de bonnes raisons d’être résigné ? Absolument pas. Pourquoi ? Très souvent, l'abandon de sa satisfaction dans son activité professionnelle est lié à ce qu'on appelle des croyances limitantes. Ce sont des biais de raisonnement qui font que vous avez l'impression d'avoir construit un schéma de pensée qui conduit à une impasse. Mais si on le déconstruit de façon méthodique, on peut remonter à la base du raisonnement et voir que celui-ci comporte des erreurs — ou en tous les cas des étapes qui n’ont pas été rigoureuses — et que cela a un impact sur l’interprétation de ce raisonnement. Et quand on met le doigt sur les erreurs, on peut déconstruire ces croyances limitantes et repartir dans une nouvelle réalité à construire avec la personne. C'est vraiment pour ça qu'on parle de révolution méthodique avec Chance. Il est tout à fait normal d’avoir des impasses dans la vie. Ça nous est arrivés à tous, notamment parce qu’on a tous plein de biais sur nous-mêmes et que notre famille, nos amis ont eux aussi leurs propres biais à notre égard, en raison des liens et de l’histoire qui nous lient. D’où l’importance de pouvoir disposer d’un accompagnement structurant et méthodique. Et c’est précisément ce que permet une combinaison entre psychologie et technologie.
Tu parles de Chance comme une start-up “PsyTech” très axée sur la R&D. Quelles ont été les grandes étapes de la construction de votre révolution méthodique ?
En cinq ans de R&D, on a fait énormément de découvertes à partir de nos erreurs. Par exemple, on s’est trompés en pensant qu’on pouvait robotiser le coaching. C’était la V1 de Chance et aussi notre première erreur majeure. D’où notre pivot, qui est parti d’une tentative de robotisation du coaching à une nouvelle optique de “coaching augmenté”. Dit autrement, on est passés d’une volonté de remplacer une activité humaine par la technologie à une utilisation de la technologie en soutien de l'humain. J’aime utiliser la métaphore du chirurgien, qui est assisté par des IRM et radios pour pouvoir prendre les meilleures décisions et guider ses actions. Notre révolution méthodique, c’est cette combinaison entre auto-coaching, coaching par la machine qui fait tous les IRM justement, puis du vidéo-coaching par un coach professionnel sélectionné sur la base de votre personnalité. Celui-ci intervient ponctuellement sur des sujets précisément identifiés par l’auto-coaching, afin de naviguer et déconstruire un biais de raisonnement, une croyance limitante ou une barrière psychologique. Et c’est ça ce que l’on appelle la PsyTech.
Chance fait partie des rares start-ups qui ont levé des fonds pendant le confinement. Et il y a un chiffre dans votre communication sur lequel je voulais revenir : vous avez eu 70% d’augmentation de l’activité entre février et avril. Il est indéniable que le confinement a été propice à l’introspection pour de nombreuses personnes. Mais d’un autre côté, la période a aussi été synonyme de plans de licenciement, de gel des recrutements et de recours massifs au chômage technique. Il y a donc un aspect conjoncturel qui invite les individus à la prudence et qui fait qu’un mouvement professionnel peut s’avérer particulièrement risqué en ce moment. Alors je me demandais : quels sont les profils-types, en termes de personnalité et de parcours, que l’on retrouve parmi cette nouvelle vague d'utilisateurs pendant le confinement ?
Le programme Chance dure trois mois. Donc on ne prépare pas nos utilisateurs à changer de job aujourd’hui mais plutôt à les préparer à l’après, en engageant avec eux un plan d’action à moyen terme. On a identifié deux publics majeurs dans cette nouvelle vague. Le premier correspond à environ la moitié des nouveaux utilisateurs. Ce sont des personnes qui vivent leur crise de la trentaine voire de la quarantaine. Ce sont plutôt des cadres sup’ qui se posent des questions sur le sens de leur utilité et vont vouloir remettre les choses en perspective. Le confinement leur a ouvert les yeux sur leurs habitudes de procrastination, à se laisser porter par la vie de façon passive, entre week-ends, brunchs, dîners et théâtres. Ça leur a aussi permis de se poser à nouveau des questions fondamentales sur leurs véritables attentes de la vie. La seconde catégorie comporte des personnes qui viennent plutôt de l'industrie et d’autres secteurs en difficultés. Ils ont parfois vu des entreprises de leur secteur annoncer un plan de licenciement et anticipent un départ hypothétique dans les six prochains mois. Et donc, la question d’une réorientation professionnelle se pose et ceux-ci veulent s’y préparer du mieux possible. C’est un public plus hétérogène avec des cadres et non-cadres, jeunes et moins jeunes.
Maintenant, imaginons que le rêve d’un utilisateur de Chance est de s’orienter vers un métier en grande difficulté voire voué à bientôt disparaître. Prenez-vous en compte les dynamiques conjoncturelles dans vos recommandations ?
Absolument. En fait, il y a trois grandes périodes dans les trois mois du programme. La première, c'est une phase d'introspection qui sert à identifier vos aspirations profondes, vos compétences, ainsi que vos impératifs personnels et financiers. Des éléments essentiels comme un emprunt à rembourser, des enfants à charge, une garde partagée, ou des contraintes de temps et d’horaires (pour la crèche par exemple) vont donc être ajoutés à l’équation. Sur la base de toutes ces données, on passe à la deuxième étape qui est une phase d'exploration où notre algorithme propose une liste de quarante pistes professionnelles alignées avec qui vous êtes. La suite, c’est comme une partie du jeu Qui Est-Ce ? — qui en est l’inspiration directe — où l’on passe de quarante pistes à une seule en l’espace d’un mois. La troisième et dernière étape est la période de validation du projet final. C’est comme un crash test pour valider l'alignement du projet avec la personne que vous êtes au regard de vos aspirations, compétences et impératifs de vie. Et c'est précisément à ce stade qu’on ne laissera pas passer un projet pour lequel il y a une tension sur le marché du travail. Enfin, une autre spécificité de Chance est qu’on continue l'accompagnement de la personne jusqu'à son entrée dans sa fonction professionnelle. Il y a donc de nombreux filtres avant de certifier un projet d’orientation pour de bon.
On parle beaucoup de l’avènement des soft skills au XXIème siècle. Et c’est une approche qu’on retrouve particulièrement dans votre programme, qui fait la part belle à l’affirmation des convictions, valeurs et savoir-être. Mais quel est votre positionnement vis-à-vis du développement de compétences techniques ? Imaginons que le programme me conforte dans ma volonté de devenir Data Scientist mais que je n’ai aucune des hard skills requises pour le rôle.
Si l’orientation vers le métier de Data Scientist est le résultat final de notre programme, alors on va te certifier sous réserve de l'acquisition de ces compétences nécessaires pour être recruté au niveau Junior.
Et vous avez mis en place des partenariats pour faciliter cette recherche de formation ?
Justement, c’est en cours. On a un autre projet en parallèle qui s'appelle Mavoie.org. Ce sera une plateforme en open source qui permettra à tous les acteurs de la formation et de l'orientation professionnelle de s'interfacer les uns avec les autres. C'est un projet en partenariat avec Google.org, Bayes Impact, Article 1, Generation.org de Mc Kinsey et sûrement le Ministère du Travail, qui sera en ligne à la rentrée
Je voulais revenir sur un passage du manifesto de Chance, où tu parles de “faire ce que vous êtes”. C’est une formulation qui m’évoque la nouvelle dimension presque religieuse attribuée au travail, qui est plus que jamais au centre de nos vies. Le fondateur de Vox, Ezra Klein, a d’ailleurs utilisé le terme de “Work as an identity, burnout as a lifestyle”. Et j’imagine que de nombreuses personnes passent par Chance après à un burn-out. Ceci dit, je pense qu’il existe aussi un risque psychologique directement liée à notre obsession générationnelle et très médiatisée de la fameuse “quête de sens”. Et comme c’est une notion au cœur de votre programme, je voulais savoir comment vous faisiez en sorte qu’un individu ne (re)tombe pas dans cette spirale ?
Je suis conscient que le burn-out est une maladie psychologique complexe qui peut avoir mille visages et peut s’apparenter à de la dépression. Mais pour simplifier ma réponse, je vais le schématiser comme le résultat de trois facteurs qui conduisent à une impasse : le manque de sens, le manque d’issues, et l’entêtement. Avec Chance, on va accompagner une personne à trouver des issues possibles ainsi qu’une orientation professionnelle dans laquelle on va être engagé et trouver du sens — ce qui supprime de facto deux des conditions du burn-out. Quant à l’entêtement, c’est le résultat d’une charge horaire et/ou mentale lourde génératrice de fatigue physique et psychologique. C’est pourquoi notre mission chez Chance n’est pas seulement de trouver un métier. Pour nous, un métier c’est l’une des quatre composante d’un travail, au côté d’un environnement, d’une finalité et d’impératifs de vie. Il y a donc tout une démarche holistique que l’on appelle “l’écologie d’une personne” et qui fait qu’on va travailler sur un équilibre de vie dans l’absolu, et pas uniquement chercher quel est le métier qui te conviendra. Et c'est par cette réflexion sur l'ensemble de l'organisation de ta vie — dont le travail n’est qu'une partie — qu’on va aider une personne à ne pas se retrouver dans une situation de surchauffe qui mène au burn-out.
Je vois. En fait, c’est vraiment par la méthode que vous allez prévenir des risques psychologiques comme le burn-out. Je comprends beaucoup mieux votre concept de révolution méthodique : oui à la quête de sens, mais pas n’importe comment ou à n’importe quel prix. Et alors, j’avais une autre question sur la conjoncture actuelle. Quelle est ta lecture des mutations du travail liées au Covid-19 à court et moyen terme ?
Ce que j’ai remarqué avec Chance et dans ma vie personnelle, c'est que la question de l'utilité va croissante. Si vous ouvrez un journal aujourd'hui, qu'est ce que vous lisez ? Crise économique, crise sanitaire, crise écologique, discriminations raciales et sociétales, populisme, etc. Certains vont être totalement insensibles à ces problèmes et choisiront de rester dans leur bulle. Mais de plus en plus de personnes vont se poser la question de leur rôle et responsabilité dans la situation actuelle, et donc engager une réflexion sur leur propre utilité. Et ce qui est très intéressant dans la perception de l’utilité aujourd’hui, c'est qu’elle ne veut pas nécessairement dire partir sauver le monde avec son sac à dos. Non, l’utilité est relative à chacun : ça peut par exemple être le fait d’avoir un impact déterminant sur vos amis, vos enfants ou vos collègues. Pour d’autres, ce sera le développement d’une conscience écologique et l’adoption de comportements plus vertueux pour la planète. C’est très personnel et extrêmement variable. On va réfléchir à comment aligner sa vie avec le sens que l’on donne et que l’on trouve dans son quotidien. C’est comme ça qu’on entre dans un état de “flow”, que l’on accède à une certaine forme de bonheur, et que mises bout à bout, toutes ces petites choses finissent par faire avancer le monde dans le bon sens.
J'ai une dernière question pour conclure l’interview. Tu décris Chance comme un programme créé pour engager une révolution méthodique dans la vie professionnelle des gens. Penses-tu qu'une méthode similaire entre psychologie et technologie pourrait être appliquée pour mener une révolution dans la vie personnelle ? Je pense notamment au lancement de projets pour soi, à l’engagement dans des associations, ou encore à d’autres domaines plus intimes comme le couple et la famille.
Indirectement, c'est quelque chose que l'on fait déjà. Beaucoup considèrent qu’il n'y a pas de frontière absolue entre la vie personnelle et professionnelle. Ce qui nous fait peur voire nous paralyse dans nos choix de carrière vient de biais de perception présents dans notre vie personnelle. D’où notre approche holistique du travail, en travaillant avec la personne sur l’ensemble de son équilibre de vie, Parce qu'évidemment tout est lié. Pour revenir plus spécifiquement à ta question, Chance est avant tout un système d’aide à la décision sur des questions de la vie. Aujourd'hui, on concentre nos efforts sur l’orientation professionnelle. Mais je suis confiant que notre révolution méthodique fera un jour ses preuves dans les autres grandes décisions de la vie. Et nous les explorerons le moment venu.
En tout cas, tu m’as convaincu. Un grand merci à toi Ludovic pour tous ces enseignements aussi essentiels à l’échelle d’une vie. Je te souhaite le meilleur pour la suite avec Chance et j’invite tous les lecteurs curieux à essayer gratuitement les premières étapes de cette révolution méthodique. Il y a trois heures offertes et un financement possible par le CPF, alors pourquoi s’en priver ?
Les 4 éléments d’une décision optimale selon Ludovic :
Dépend du contexte et de l’objectif
S’appuie sur la raison : les faits, les conséquences indiscutables
Écoute l’intuition (à ne pas confondre avec le ressenti), cette petite voix qui se fonde sur notre expérience et nos connaissances accessibles spontanément
Tient compte des émotions et de leurs intentions positives
Suit les valeurs qui sont les plus importantes pour soi.
(source)
🎡 SPONSORING… Les Mots, l’école des plumes en devenir
De retour dans la newsletter : une section annonceurs pour faire briller les produits des entrepreneurs. Pour sponsoriser une prochaine édition : benjamin.perrin.pro@gmail.com
C’est quoi ? Les Mots, c’est une école d’écriture avec des cours et ateliers pour tous niveaux et projets. Et quelles que soient vos ambitions, vous serez entre de bonnes mains puisque la pédagogie et les formations sont assurées par des écrivains.
Pourquoi c’est cool ? Parce que l’écriture, c’est la vie. Et que si vous lisez cette newsletter, c’est que vous le pensez sans doute vous aussi. Sans oublier qu’Elise Nebout, directrice des Mots, était invitée dans la newsletter en décembre dernier… pour une édition qui détient le record du nombre de retours (TRÈS enthousiastes) de la part des lecteurs de Plumes With Attitude.
OK, on commence par où ? Le cours “Devenir plume ou l’art d’écrire pour quelqu’un” est tout désigné pour s’initier à un exercice de haut vol : le discours. Pour faire de cet atelier votre projet de rentrée, réservez votre 26 et 27 septembre pour 12h de formation avec Anne Pedron-Moinard, présidente de la Guilde des Plumes.
🔮 KNOWLEDGE IS POWER… Maintenant vous savez !
Actualité de début de mois oblige, j’ai choisi de mettre à l’honneur des contenus qui ne vous aideront pas seulement à devenir de meilleures plumes mais aussi de belles personnes.
“Titre” : Voici un excellent TED Talk avec le comédien Baratunde Thurston qui déconstruit le racisme systémique des titres de presse, le tout avec humour. À voir !
Privilèges de cristal : Une impressionnante liste pour se rendre compte des privilèges dont nous profitons souvent sans nous en rendre compte.
White Fragility : C’est le titre du bestseller qui a secoué les États-Unis en juin. Cette interview de son auteure, Dr Robin DiAngelo, introduit la thèse centrale de son livre : pourquoi est-il aujourd’hui si difficile de parler de racisme quand on est blanc ?
Un homme pressé : Kai Brach, auteur de l’une de mes newsletters préférées (Dense Discovery), vient de publier son guide gratuit pour lancer un magazine print indépendant.
Don’t follow, lead : Ça fait un petit moment que je considère Animalz comme une référence sur les évolutions de l’univers du contenu. Et c’est précisément l’objet de cette excellente publication. Rejoignez l’avant-garde !
🎣 PETITES ANNONCES… Missions freelances & CDI
Envoyez-moi les missions que vous ne pouvez pas accepter et elles seront relayées à la communauté : benjamin.perrin.pro@gmail.com
Socialter recherche un(e) Rédac’ Chef Adjoint Print & Web.
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🗣 MEANWHILE… L’actu des lecteurs
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition.
Willy, Vincent et Nicolas ont lancé une newsletter sur le VC européen.
Ester vient de publier son livre Rater sa voie pour réussir sa vie.
Remi s’est lancé dans le défi d’écrire 30 articles en 30 jours.
Chloé nous a partagé ses 10 enseignements du confinement.
Olivier s’est fait interviewer par FrenchWeb sur le Product Management.
Anne-Laure nous introduit à la notion de “mental atlas”.
Valentin et Jean-Charles recommandent leurs livres de non-fiction préférés dans leur nouvelle newsletter.
DERNIÈRE CHOSE…
Ce mois-ci, j’ai eu le plaisir de voir mon article co-écrit avec mon ami Charles Thomas, CEO de comet, publié dans la version française de Harvard Business Review. Avis aux entrepreneurs et autres communicants de ce groupe : c’est quelque chose que je peux aussi faire avec vous. 😉
Quant aux partages sur les réseaux, j’ai eu d’excellentes surprises ces derniers temps. N’hésitez pas à continuer sur le bon pied en diffusant cette édition, notamment à vos amis en plein questionnement sur leur orientation.
D’ici la prochaine, prenez soin de vous !
May the words be with you,
Benjamin
P.S : Retrouvez toutes les newsletters précédentes dans l’archive de Plumes With Attitude. Et si vous avez aimé cette édition, n’hésitez pas à la partager autour de vous, ainsi qu’à vous abonner pour recevoir les suivantes par e-mail.