Si j’aime utiliser cette newsletter comme une (bonne !) excuse pour explorer de nouveaux terrains, cela ne m’empêche pas d’adorer les retours aux sources. En cela, cette nouvelle édition revient au cœur de ce qui m’a motivé à lancer mon petit média à moi : l’art de la plume.
Alors pour la dernière interview de l’année, j’ai choisi de recevoir une plume, une vraie. Enfin, cela me tenait à cœur d’inviter une lectrice de la première heure, devenue depuis une véritable amie. Car l’une des plus belles surprises quand on écrit, c’est aussi de découvrir qui nous lit.
Bonne lecture à vous,
Benjamin
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🎙 INTERVIEW… Marianne Ferrand, plume politique
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées d’une véritable plume “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Marianne Ferrand, qui a été tour à tour la plume d’une maire, puis d’une députée et d’une ministre, avant d’accompagner depuis peu le Bâtonnier de Paris. C’est elle qui m’a ouvert les yeux sur la beauté d’un métier qui m’aurait sans doute plu, mais dont je n’avais jamais entendu parler. Et la bonne nouvelle, c’est que vous allez à votre tour pouvoir en profiter.
Salut Marianne et merci d’avoir répondu à l’invitation ! Je suis très heureux de faire cette interview dont on parle déjà depuis un certain temps. Avant de la préparer, je n’avais jamais fait attention à l’intitulé de ton poste : Conseillère Discours et Prospective. Et ça me semble un excellent point de départ pour présenter ton activité. Peux-tu m’expliquer en quoi consistent les deux facettes de ton métier ?
Le discours et la prospective sont les deux piliers du métier de plume de dirigeant. Le volet discours correspond à l’accompagnement à la prise de parole d’une personnalité publique — qu’elle soit politisée ou non. Concrètement, il s’agit de rédiger ce que l’on appelle des éléments de langage ou des trames d’intervention qu’il ou elle pourra utiliser à sa guise le moment venu. Cet accompagnement de forme se nourrit de la prospective, qui correspond plutôt à un travail de recherche et qui a vocation à affiner le fond du discours. Un dirigeant, d’autant plus lorsqu’il fait de la politique, est susceptible d’être sollicité pour intervenir sur une multitude de thèmes. Sa plume va alors procéder à un certain nombre de recherches, d’entretiens, de lectures pour nourrir ses discours d’anecdotes, d’idées fortes et d’exemples concrets. Préparer un discours, c’est comme écrire une histoire : tu ne peux te passer d’une structure efficace. Et pour définir celle-ci, tu dois porter une attention toute particulière à la nature de ton audience. La part prospective de mon métier correspond à cela : il s’agit de partir à la recherche de la meilleure grille de lecture pour que le message que tu souhaites faire passer soit écouté, compris et retenu.
Je ne savais pas que le format de la prise de parole était aussi central dans le métier de plume. D’ailleurs, de quels types de discours parle-t-on ?
Les missions d’une plume vont être directement liées à l’agenda de la personnalité pour qui elle écrit. Ainsi, tu peux à la fois écrire de grands et beaux discours de décoration comme des trames rapides d’introduction pour un comité de pilotage. La plume est également un soutien à la communication du ministre puisqu’elle fait partie de ceux qui maîtrisent sa “voix”. Dans ce cadre, elle peut rédiger des tribunes, des publications pour les réseaux sociaux ou des scripts de vidéos. Mais le cœur du métier, ce sont bien sûr les discours politiques où le ou la ministre expose sa vision d’un thème, sa volonté et bien sûr ses ambitions. Quel que soit le format d’intervention, il est toutefois rare que tout soit calé à l’avance. C’est un métier où tu écris beaucoup dans l’urgence. Le défi, c’est de réussir à proposer des éléments pertinents et un discours complet quel que soit le temps imparti.
En soi, on peut avoir cette impression que ta mission en tant que plume, c’est d’être le second cerveau de la personne pour qui tu écris.
Ce qui me gêne avec ce terme de “second cerveau”, c’est qu’une plume ne pense pas à la place de la personne pour qui elle écrit. L’enjeu, c'est plutôt de trouver les bons mots, ceux que la personne va prononcer et qui vont restituer ses idées de la façon la plus naturelle possible. C’est d’ailleurs assez rare qu’elle utilise 100% de ce que tu as écrit, tout comme c’est assez rare que la plume soit la seule à travailler sur un discours. C’est avant tout un travail d’aller-retour avec les conseillers techniques et le directeur de cabinet. Pour la plume, il s’agit d’une part de garantir que le ton, le vocabulaire, la structure des phrases correspondent à la personnalité qui prononcera le discours. Et d'autre part, de fluidifier une pensée complexe à l’aide d’images, d’histoires et de rythme. Donc plutôt qu’un “second cerveau”, je dirais qu'on est plutôt une sorte de mini-laboratoire d'idées au service d'une personnalité.
Et comment apprend-on à connaître quelqu’un qui, par définition, a très peu de temps à t’accorder ?
On tâtonne ! C’est un travail à la fois quotidien et de long terme. C’est aussi un apprentissage par l’échec : un discours refusé est un discours qui en dit souvent bien plus sur la personne qu’un discours lu sans réfléchir ou validé par principe. Par ailleurs, une grande part du travail, c’est d’écouter la personne pour qui l’on écrit. Avec les personnalités politiques, le grand avantage, c’est qu’elles ont régulièrement l’occasion de s’exprimer dans les médias. On apprend ainsi leurs tics de langage et les expressions qui leur viennent naturellement. Au fil du temps, on apprivoise la personnalité “hors-norme” au service de laquelle on est. On finit aussi par connaître ses références culturelles, littéraires et artistiques. Mais finalement, ce n’est pas le cœur du métier puisqu’il s’agit avant tout de maîtriser les sujets politiques portés par le ou la ministre. Une personnalité comme Brune Poirson, que j’ai accompagnée en tant que Secrétaire d’Etat à la Transition Écologique et Solidaire, a beaucoup travaillé sur le sujet de l’économie circulaire. Et l’un de nos enjeux principaux sur le volet discours, ça a été de faire comprendre à des personnes et des publics différents que l’économie circulaire n’est pas un synonyme de circuit court. Donc il ne s’agit pas de réinventer la roue à chaque fois mais plutôt d’adapter un message à une audience. On dit souvent que la pédagogie, c’est avant tout beaucoup de répétitions. Et bien, c’est pareil pour la politique. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’économie circulaire est un concept mieux compris qu’il y a trois ans lors de sa prise de fonction. Et en cela, on peut considérer notre mission comme réussie.
Cela vient également souligner l’importance du métier de plume en politique. Reste que la communication dans le milieu est également marquée par un certain nombre de dérapages, avec ces fameuses petites phrases tantôt maladroites, tantôt calculées. Ce que je me demande toujours, c’est quelle est la part de responsabilité des équipes de communication dans les propos parfois très polémiques véhiculés par les politiques ?
Ça va vraiment dépendre des personnalités politiques et de leurs liens avec leurs équipes. Les petites phrases qui se retrouvent dans la presse viennent plutôt des conseillers communication que des plumes elles-mêmes. Parfois, c’est aussi la personnalité politique qui va faire une gaffe plus ou moins volontaire. Ça peut être le résultat d'une stratégie comme ça peut être le fruit du hasard total. Donc, c’est vraiment une question pour laquelle il n’y a pas de réponse absolue.
Il y a aussi toutes ces phrases qui vont être sorties de leur contexte pour être utilisées contre la personne qui les a prononcées. Ce qui m’amène à te demander : as-tu le sentiment que la communication politique est plus compliquée aujourd’hui qu’auparavant ?
C’est là où je trouve qu’il est intéressant de distinguer discours et communication sur le volet politique. Aujourd'hui, il y a un certain nombre de représentants qui ne vont hélas miser que sur la communication pour s'insérer dans le paysage médiatique. La conséquence, c’est que la communication a pris le pas sur le discours et la réflexion de fond. Et le résultat, c’est sans doute qu’in fine on les oubliera aussi vite qu'ils sont arrivés. Depuis le début du mandat de Macron, on voit d’ailleurs de moins en moins de personnalités politiques s'installer durablement dans le débat public par leurs idées phares. Reste qu’il y a également moins d'espace médiatique pour développer une vraie réflexion de fond. Et ce qui m'embête, c’est que le croisement ne se fait plus entre la force des petites phrases à destination des médias et le socle de réflexion que tu développes dans les discours. Et aujourd’hui, on connaît davantage les politiques pour leurs citations et dérapages que pour la substance de leurs idées. Quoi qu’on puisse en penser, Macron fait ici office de contre-exemple : c’est un président qui excelle à la fois dans la profondeur de discours et dans l’art de la petite phrase. Bien sûr, il bénéficie d’un contexte et d’une fenêtre médiatique qui facilitent la diffusion d’une réflexion de fond. Mais de façon générale, le discours est un médium de communication politique que je trouve aujourd’hui très sous-estimé.
De ton côté, la recherche de profondeur dans le discours est ton métier. Seulement, tu as toi aussi tes propres convictions. Comment fais-tu pour éviter que tes idées n’interfèrent avec celles de la personnalité pour qui tu écris ?
Je pense qu’il y a deux écoles. Il y a des plumes comme Henri Guaino et Camille Pascal qui sont de véritables éminences politiques et dont la force va être de puiser dans leurs propres convictions. Cependant, c’est selon moi plus une exception que la règle. Être plume est un métier de compétences techniques et non d’idées. Rien ne nous oblige à épouser la vision de la personnalité que l’on accompagne. Personnellement, je pense que je serais techniquement capable d’écrire pour l’ensemble du spectre politique. Car je ne considère pas mon métier comme politique, pas plus que je ne me décrirais comme une plume militante.
Reste que tu ne te serais sans doute pas engagée dans cette voie si tu n’aimais pas un minimum la politique…
En fait, ce sont surtout les sujets que je trouve fascinants à explorer. Quand j’ai été embauchée pour être la plume de Brune Poirson, je ne connaissais absolument rien à l’économie circulaire. Pas plus que je n’avais de connaissances particulières en droit français avant de rejoindre l’équipe du Barreau de Paris. Ce que l’on va rechercher chez une plume, c'est sa capacité à mettre des mots sur le magma d'idées qu’il y a dans la tête d’une personnalité publique. C’est un métier dans lequel tu es entouré d’experts au quotidien. Et ta mission, c’est de rendre accessible au plus grand nombre un certain nombre de réflexions sur des sujets souvent complexes. D’une certaine façon, c’est un métier de traduction.
Depuis septembre, tu n’écris plus pour une personnalité politique mais pour un représentant de la justice : Olivier Cousi, bâtonnier de Paris. En quoi cela a-t-il changé ton approche du métier ?
Au premier abord, on pourrait penser que c’est un type d’écriture à destination d’une audience plus spécialisée. Dans les faits, ce n’est pas tout à fait ça. Le rôle du bâtonnier est de faire le lien entre les pouvoirs publics et les avocats. Et si son discours va souvent s’adresser à son corps de métier, la finalité de sa mission est beaucoup plus large. Aujourd'hui, mon cadre de réflexion et d’écriture c’est la défense de l'État de droit, ainsi que l'importance de préserver les droits fondamentaux et les libertés. Et ce sont des sujets qui concernent chacun d'entre nous. Récemment, le bâtonnier s’est exprimé sur les manifestations qui ont eu lieu à Paris et dans lesquelles plusieurs avocats ont été molestés. Et le fait qu’une personnalité comme lui intervienne sur ce sujet permet d'attirer l'attention de l'ensemble des médias sur la défense des droits et des libertés, ce qui ne concerne bien entendu pas que les avocats. Le rôle du bâtonnier est également de rappeler que les avocats représentent le lien entre les citoyens et le droit, ainsi que la personne qui est capable de défendre un individu devant la justice. Ses discours doivent donc refléter une certaine vision du monde, au même titre que ceux d’un ministre. Les différences avec mon poste précédent ne sont donc pas aussi importantes qu’elles peuvent le sembler à première vue.
Il y a une autre dimension pas forcément négligeable qui a changé pour toi : c’est la première fois que tu écris pour un homme. En tant que femme habituée à écrire pour des femmes, est-ce que tu vois une différence dans l’exercice ?
La plus grande distinction n’est pas tant en termes de genre que de personnalité. Par exemple, le bâtonnier de Paris est quelqu’un qui a l'habitude de plaider dans son métier. C'est un avocat qui est très investi dans ses discours et qui a sa façon à lui de les appréhender. En tant que plume, tu dois également être attentif à des paramètres qui sont propres à chacun, comme le timbre de voix ou le rythme d’éloquence d’une personne. Toutes les voix ne peuvent pas dire les mêmes mots, toutes les cordes vocales ne peuvent pas tenir le même rythme. Chaque personnalité a son vocabulaire, chaque voix a sa musique. Donc, c’est avant tout une question de style auquel tu dois t’adapter.
Pour finir, je me demandais : en quoi ton métier de plume a changé ton rapport à l’écriture ?
Le métier de plume est à l’intersection de trois éléments fondateurs dans mon parcours : ma formation en école de journalisme, mon intérêt pour la science politique et mon appétence pour le débat. Quand j’étais étudiante, je faisais partie du club d’éloquence de la Sorbonne et j’ai participé à plusieurs concours de nouvelles politiques. Donc je suis vraiment heureuse d’avoir trouvé un métier à la fois exigeant dans la recherche de nouvelles idées et stimulant sur le volet écriture. C’est un vrai exercice de style ! Seulement, tu peux aussi avoir cette désagréable impression que la musique qui se joue dans ta tête n’est plus entièrement la tienne. Et je trouve que c’est de plus en plus difficile de me la réapproprier pour me consacrer à des projets personnels d’écriture. C’est d’ailleurs assez paradoxal, dans le sens où le métier t’habitue à te retrouver seule face à la fameuse page blanche. Seulement, tu n’as pas le luxe de décréter que l’inspiration viendra plus tard car les discours se produiront, que tu le veuilles ou non.
Il n’est pas trop tard pour s’y remettre ! Du moins, c’est tout le mal que je te souhaite. En tout cas, j’ai encore appris plein de choses pendant cette conversation. Alors un grand merci Marianne pour cette riche interview qui va clôturer l’année en beauté !
4 livres politiques recommandés par Marianne :
Alice Zeniter — Comme un empire dans un empire : “Parce qu’il décrit bien les limites du monde politique actuel et les frustrations des collaborateurs politiques. Et aussi parce que je préfère les romans.”
Michaël Moreau — Les plumes du pouvoir : “Parce qu’il raconte les coulisses des grands discours de la Vème République.”
Ayn Rand — La Grève : “Parce que c’est un livre de combat qui gagnerait à être davantage lu en France.”
Virginie Despentes — Baise-moi : “Parce que c’est la plus politique des histoires de meufs.”
🔮 KNOWLEDGE IS POWER… Maintenant vous savez !
Dernière fournée avant une édition spéciale de fin d’année.
Univers impitoyable : Cette diatribe anti-LinkedIn signée Fadeke Adegbuyi est un régal pour ceux qui, comme moi, n’en peuvent plus de la ringardise omniprésente sur ce réseau social marqué par la faute professionnelle.
Dark side : Le côté obscur de la force est-il la voie royale pour réussir ? C’est le sujet d’une étude très sérieuse relayée par le média Psyche. Et si vous voulez connaître votre degré d’inclinaison vers la lumière ou les ténèbres, c’est possible aussi.
Premières fois : Une nouvelle revue littéraire arrive en janvier 2021. Ça s’appelle Débuts et comme son nom l’indique, priorité aux textes de jeunes auteurs qui n’ont jamais été publiés ! À surveiller.
Rideau : Si 2020 n’a rien d’une année normale, rien ne nous empêche de faire un petit bilan. Ce modèle d’auto-évaluation signé Anne-Laure et adapté pour Notion en constitue le point de départ idéal. Et surtout : 2020 oblige, soyez indulgents.
🎣 PETITES ANNONCES… Missions freelances & CDI
Pour relayer une mission freelance ou une offre en CDI : benjamin.perrin.pro@gmail.com
Opendatasoft recrute un(e) Brand Content Manager.
Dataiku cherche un(e) Content Strategist.
Outjo Éditions recherche ses futurs auteurs.
Magicpallet cherche un(e) Content Manager à Montpellier.
Sumup cherche un(e) Content Editor francophone à Berlin.
My Little Paris recherche un(e) Content & Social Media Manager.
Numa cherche un(e) Content & Community Manager.
Fempo recherche un(e) Social Media Manager.
Coover recrute un(e) Responsable RP. → pierre@coover.fr
Ubu cherche une plume freelance “DtoC-friendly”. → paul@getubu.com
🗣 MEANWHILE… L’actu des lecteurs
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition.
Renée a fait le NaNoWriMo.
Thibaut est passé dans Le Monde.
Saskia a pitché sur Europe 1.
Kevin a écrit sur la réalité virtuelle.
Marie a interviewé Eytan.
Kara a écrit sur l’entrepreneuriat féminin en Afrique.
Jeanne a interviewé Laetitia.
Valentin arrête Longue Vue et reprend Sauce Writing.
Gladys était l’invitée d’un épisode de podcast sur le Content Design inclusif.
Camille a elle aussi parlé d’UX Writing dans un podcast.
Nicolas m’a partagé sa newsletter animaliste.
Diane a lancé son site e-commerce autour du CBD (-10% avec “plumeswithcbd”).
DERNIÈRE CHOSE…
Et voilà, c’était la dernière interview de l’année ! La prochaine édition (spéciale !) arrivera entre Noël et le réveillon. Et comme je ne me suis pas encore décidé sur le format, libres à vous de me dire ce qui vous ferait plaisir.
D’ici là, profitez bien de cette période des fêtes bien méritée.
May the words be with you,
Benjamin
P.S : Retrouvez toutes les newsletters précédentes dans l’archive de Plumes With Attitude. Et si vous avez aimé cette édition, n’hésitez pas à la partager autour de vous, ainsi qu’à vous abonner pour recevoir les suivantes par e-mail.