Il y a un vrai plaisir Ă trouver son rythme quand on se lance dans un nouveau projet. Ă peine un mois aprĂšs le lancement de Black Swans Collection, lâextension payante de Plumes With Attitude, je suis heureux de ce petit rituel de jongler entre mes deux publications.
Et aprĂšs un lancement en demi-teinte, je suis trĂšs fier de la deuxiĂšme Ă©dition. Les retours des premiers lecteurs et la progression du nombre dâabonnĂ©s sont autant de raisons qui renforcent mon optimisme et accroissent ma motivation.
Et alors que Plumes With Attitude vient de gagner une centaine dâabonnĂ©s en un mois (!), je suis dâautant plus dĂ©terminĂ© Ă vous surprendre dans le choix de mes invitĂ©s. Aujourdâhui, je suis trĂšs enthousiaste Ă lâidĂ©e de creuser un sujet clĂ©, qui sâinscrit dans le prolongement de la derniĂšre Ă©dition : la santĂ©.
En vous souhaitant une excellente lecture,
Benjamin
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đ INTERVIEW⊠ Dr Lavinia Ionita, mĂ©decin et fondatrice dâAkesio
Ă chaque newsletter, je vous propose de dĂ©couvrir le portrait et les idĂ©es dâune vĂ©ritable plume âWith Attitudeâ. Aujourdâhui, câest au tour de Lavinia Ionita qui a la double-casquette de mĂ©decin et entrepreneure. BasĂ©e Ă Londres, celle-ci jongle entre ses patients et sa start-up Akesio, qui propose un programme personnalisĂ© de mĂ©decine prĂ©ventive pour aider les individus et les entreprises Ă mieux approcher leurs problĂšmes de stress et dâanxiĂ©tĂ©. Lavinia participe aussi Ă lâeffort collectif des professionnels de santĂ© avec une application en dĂ©veloppement pour lutter contre le coronavirus.
Hello Lavinia et merci beaucoup dâavoir acceptĂ© lâinvitation malgrĂ© un emploi du temps que jâimagine trĂšs chargĂ© en ce moment. Aujourdâhui, tu es mĂ©decin et entrepreneure, ce qui est plutĂŽt rare. Comment jongles-tu entre ces deux activitĂ©s au jour le jour?
La gestion de mon temps nâest pas la partie de mon travail la plus facile, mais il y a beaucoup de sujets qui se croisent entre mes deux activitĂ©s. En tant quâentrepreneure, je suis dans une configuration un peu speÌciale Ă©tant donnĂ© que je suis la seule Ă plein temps sur Akesio et que je nâai pas encore levĂ© dâargent. J'ai la chance dâavoir des personnes qui se portent volontaires pour me donner des coups de main Ă cĂŽtĂ© de leurs activitĂ©s respectives. Mais je nâai pas encore la situation financiĂšre adĂ©quate pour avoir une Ă©quipe qui tourne Ă plein temps. Comme tout repose sur moi, jâai tendance Ă ĂȘtre davantage tournĂ©e vers Akesio en ce moment. La mĂ©decine prĂ©ventive est un sujet important, mais moins urgent que les besoins actuels de certains patients. Il mâarrive donc trĂšs frĂ©quemment de passer dâune activitĂ© Ă lâautre dans une mĂȘme journĂ©e.
Comment sâest faite cette transition entre mĂ©decine et entrepreneuriat ?
Assez naturellement. Tout est parti dâune envie que jâai eue autour de 2008 : aider plus de gens Ă prendre soin dâeux dans un autre lieu qu'un cabinet meÌdical. Le problĂšme avec la santĂ©, câest quâon associe souvent la dĂ©marche de se soigner Ă un cadre austĂšre comme celui de lâhĂŽpital. Je rĂȘve de crĂ©er une structure avec une ambiance accueillante et paisible, une sorte de spa mĂ©dical revisitĂ© oĂč on se soigne Ă court et long terme dans un cadre accueillant et chaleureux. LâidĂ©e, câest de donner une image de la mĂ©decine comme une façon de prendre soin de soi et non uniquement de guĂ©rir dâune maladie.
Au fond, câest une façon de scaler ton activitĂ© de mĂ©decin. Mais je ne mâattendais pas Ă cette approche de lâexpĂ©rience appliquĂ©e Ă la santĂ©. En prĂ©parant lâinterview, jâai vu que tu avais des diplĂŽmes dans des disciplines allant de la gĂ©nĂ©tique aux psychopathologies, en passant par lâaddictologie. Pourquoi avoir choisi de traiter le sujet de la santĂ© mentale, et en particulier la gestion du stress, avec Akesio ?
Je pense que lâanalyse du stress reste encore trĂšs subjective aujourdâhui, mĂȘme au sein de la mĂ©decine. Entre un mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste et un spĂ©cialiste, les diagnostics peuvent ĂȘtre trĂšs diffĂ©rents. Jâai la conviction quâon avancera mieux sur le sujet en dĂ©veloppant une approche du stress Ă 360° qui inclut la biologie, la clinique (Ă savoir les manifestations du stress), mais aussi l'aspect psychologique et les changements de comportements. Le stress de chacun est unique et une mĂȘme personne nâaura pas la mĂȘme rĂ©action Ă des dĂ©clencheurs de stress selon le contexte. Par exemple, notre alimentation a une grande influence sur notre cerveau, et donc sur le stress. Jâai choisi de mâintĂ©resser aux entrepreneurs Ă©tant donnĂ© que ceux-ci Ă©voluent dans un environnement qui est stressant par dĂ©finition. Jâadmire ces personnes prĂȘts Ă braver les obstacles pour changer le monde Ă leur Ă©chelle. Câest aussi un milieu oĂč il y a deux types de stress. Dâun cĂŽtĂ©, il y a le bon stress qui est source de motivation, dâenthousiasme et dâĂ©nergie. De lâautre, il y a cette gestion constante de lâincertitude, de la fatigue et de la solitude de lâentrepreneur. En tant que fondatrice de ma start-up, ce sont des chocs Ă©motionnels auxquels je suis moi-mĂȘme confrontĂ©e. Et câest difficile de parler de ses problĂšmes dâentrepreneur Ă ses amis quand ceux-ci ne le sont pas. Du coup, je me suis dit que jâallais aider moi-mĂȘme ces gens qui veulent changer le monde Ă mieux gĂ©rer leur stress et Ă prendre soin de leur santĂ© mentale.
Jâai lâimpression quâil y a une sorte de tabou autour de la santeÌ mentale en France, Ă commencer par la façon dâen parler. On va plutĂŽt dire âbien-ĂȘtreâ quand ça va et associer âsantĂ© mentaleâ Ă un problĂšme. Ăa mâa lâair trĂšs diffĂ©rent dans la culture anglo-saxonne oĂč le terme âmental healthâ est trĂšs prĂ©sent dans la littĂ©rature entrepreneuriale par exemple.
J'ai eÌteÌ moi-meÌme surprise quand je suis arrivĂ©e Ă Londres et que jâentendais les gens parler ouvertement de leur âmental healthâ. Ayant veÌcu en France, jâavais ce biais culturel qui mâempĂȘchait de comprendre comment ils pouvaient utiliser ce terme avec autant de lĂ©gĂ©retĂ©. En tant que mĂ©decin, ça a bien sĂ»r Ă©tĂ© une agrĂ©able surprise. Le terme de âmental health at workâ est dâailleurs un sujet Ă part entiĂšre dans la culture anglo-saxonne.
Et tu arrives aujourdâhui aÌ expliquer cette diffeÌrence entre la France et le monde anglo-saxon ?
Je pense que ça vient du fait que la psychiatrie nâa pas eu bonne reÌputation pendant longtemps en France. Et la santeÌ mentale est beaucoup trop associeÌ Ă des maladies qui font peur comme la depression. Au-delĂ de la maladie en soi, il y a aussi cette crainte dâĂȘtre jugĂ© comme quelquâun qui a un vĂ©ritable âtroubleâ au cerveau alors que câest un Ă©tat temporaire. Ces tabous se dĂ©font progressivement, mais il y a encore du chemin Ă faire. Dans une sociĂ©tĂ© de la performance oĂč tout le monde veut se montrer sans failles, assumer sa vulnĂ©rabilitĂ© reste plutĂŽt une exception que la norme â alors que c'est le signe dâune grande force mentale. Donc pour moi, il est plus que jamais nĂ©cessaire dâutiliser ce terme pour mieux lâexpliquer par la suite. En anglais, on parle Ă©galement de âmental well-beingâ mais il nây a pas vraiment dâĂ©quivalent utilisĂ© en France.
Parler de santĂ© mentale peut ĂȘtre connotĂ© dâune certaine façon aujourdâhui, mais je trouve que parler pudiquement de âbien-ĂȘtreâ est trop rĂ©ducteur. Ă la rigueur, on pourrait parler dâĂ©quilibre psychique ou Ă©motionnel mais ça reste encore assez rare. En tout cas, le fait quâil nây ait pas dâĂ©quivalent en français est trĂšs rĂ©vĂ©lateur.
Je pense qu'il ne faut pas avoir peur des mots. Les utiliser et les expliciter, câest aussi comme ça quâon rĂ©ussit Ă lever des tabous et changer les mentalitĂ©s. Alors que si on reste bloquĂ©s, on ne risque pas dâavancer.
Par contre, sâil y a bien un sujet assez liĂ© dont on parle eÌnormeÌment, câest le dĂ©veloppement personnel. Sur LinkedIn ou Medium, les pseudo-secrets de productivitĂ© et autres âlife hacksâ sont partout. Je trouve dâailleurs que le terme de âstartup p*rnâ illustre parfaitement cette saturation. Quel est selon toi lâimpact de cette tendance sur la santĂ© mentale et son tabou ?
Je suis assez agaceÌe par ça. Dâune part parce quâil y en a beaucoup trop, et de lâautre parce quâil y a vraiment tout et nâimporte quoi. Je ne vois ni le besoin ni lâintĂ©rĂȘt Ă inciter les gens Ă ĂȘtre performant et heureux en permanence. Ça peut mĂȘme sâavĂ©rer dangereux dans le sens oĂč la plupart de ces conseils ne viennent ni de la science ni de la mĂ©decine. Et pour des gens qui ont des fragilitĂ©s, ça aura tendance Ă les exacerber plutĂŽt quâĂ les rĂ©soudre. J'ai par exemple entendu parler de talks Ă la Tony Robins dans lesquels le speaker demandait Ă des personnes du public de raconter une expĂ©rience traumatisante devant des milliers de personnes. Jâai Ă©tĂ© choquĂ©e dans la mesure oĂč la configuration nâĂ©tait pas du tout adaptĂ©e, mais surtout parce que la rĂ©solution de problĂšmes ne peut pas ĂȘtre si simple lorsquâon ne connaĂźt ni le contexte ni la vie de son interlocuteur dans les dĂ©tails. Ce qui est compliquĂ© avec ces sujets, câest quâon a dâun cĂŽtĂ© des gourous du coaching qui excellent dans le storytelling, et de lâautre des mĂ©decins et scientifiques qui ne savent souvent pas bien communiquer ou vendre leurs idĂ©es. Bien sĂ»r, câest aussi Ă eux de faire des efforts et apprendre. Et heureusement, il y a des coach trĂšs talentueux qui ne viennent pas de la mĂ©decine et font un travail remarquable. Mais jâai lâimpression que ceux-ci reprĂ©sentent plutĂŽt une exception que la norme. Ce que je trouve frustrant, câest de voir que le dĂ©veloppement personnel privilĂ©gie aujourdâhui plus la forme du message que son fond.
Pour moi, ce type de contenu peut se rĂ©vĂ©ler carrĂ©ment toxique pour la santĂ© mentale des individus. En tant que mĂ©decin, câest quelque chose que tes patients Ă©voquent en consultation ?
Câest assez rare chez mes patients, mais jâen entends souvent parler autour de moi. Encore une fois, je pense que le succĂšs de ces Ă©vĂ©nements est une question dâexpĂ©rience. Car entre participer Ă une confĂ©rence sur le dĂ©veloppement personnel et aller voir un psy, il y a tout un monde. Bien sĂ»r, je conçois et comprends l'ideÌe que ça attire et que la dĂ©marche soit moins dĂ©routante que de prendre une consultation. Mais je pense quâil y a aussi un danger pour les coachs eux-mĂȘmes, qui ne se rendent pas compte de la responsabilitĂ© sur leurs Ă©paules. Le dĂ©veloppement personnel attire inĂ©vitablement des individus aux problĂšmes plus complexes, pour lesquels aucune formation ne remplacera un vrai diagnostic et un suivi mĂ©dical. Pour moi, un bon coach doit ĂȘtre capable de reconnaĂźtre ses limites en toute humilitĂ© et savoir prĂ©cisĂ©ment oĂč sâarrĂȘte son champ dâintervention. Seulement, câest aussi un milieu oĂč il y a beaucoup dâegoâŠ
On parle souvent du storytelling comme la compĂ©tence clĂ© du XXIĂšme siĂšcle. Et câest justement lĂ quâon voit ses limites, avec lâapproche des meilleurs communicants qui se substitue Ă lâavis de mĂ©decins spĂ©cialisĂ©s moins Ă©quipĂ©s sur ce volet. Et comme ces gourous sont eux-mĂȘmes entrepreneurs, les fondateurs de start-ups se sentent aussi plus proches dâeux que de professionnels de santĂ©. Ils auront donc tendance Ă ĂȘtre plus rĂ©ceptifs Ă leurs messages. Alors je me demandais, on attribue souvent lâĂ©chec dâune start-up Ă un ou plusieurs de ces trois facteurs : lâĂ©quipe, le produit ou le marchĂ©. Je pense personnellement que ça va plus loin que ça et que la santĂ© mentale des entrepreneurs est un facteur tout aussi important, si ce nâest plus. As-tu des donnĂ©es sur le pourcentage de start-ups qui Ă©chouent pour des raisons inhĂ©rentes au stress et aux problĂšmes Ă©motionnels que peuvent vivre leurs fondateurs ?
Jâaimerais beaucoup avoir ce chiffre, car je pense quâil est treÌs eÌleveÌ. Reste quâil est difficile de pointer du doigt le stress quand ce dernier est Ă la fois complexe, subtil et imbriquĂ© avec d'autres facteurs. Les entrepreneurs sont souvent des individus qui ont une forte personnaliteÌ. En tant que leader, câest un Ă©norme atout pour inspirer et guider une Ă©quipe. Mais quand les problĂšmes sâaccumulent et que le stress sâen mĂȘle, ça peut vite devenir trĂšs dangereux pour la santĂ© de lâentreprise. Bien sĂ»r, il y a des entrepreneurs qui sont trĂšs bons pour encaisser les coups, cacher leur stress ou rebondir rapidement. Ceci dit, les frustrations et la fatigue qui en dĂ©coulent peuvent dĂ©clencher des accĂšs de colĂšre, une chute de la productivitĂ©, voire affecter leur vision qui guide la croissance de lâentreprise. Trop de stress chronique produit Ă©galement trop de cortisol, ce qui affecte la qualitĂ© de la prise de dĂ©cision. Câest un ennemi invisible dont personne ne se doute quand celui-ci est bien dissimulĂ©. Et pourtant, les rĂ©percussions sur le moral de lâĂ©quipe, les avancĂ©es produit et la pĂ©nĂ©tration du marchĂ© sont bien rĂ©elles.
Je suis tombeÌ sur des papiers de recherche en psychologie qui mettent en avant le fait que les humains ont tendance Ă choisir des leaders qui ont des traits de caractĂšre similaires Ă ceux... des psychopathes. Bien sĂ»r, il y a des exemples dont on parle beaucoup comme Donald Trump ou Elizabeth Holmes, la fondatrice de Theranos. En tant que mĂ©decin, nâas-tu pas lâimpression parfois de te retrouver impuissante face Ă ces caractĂ©ristiques de la nature humaine ?
Nos comportements ont beau ĂȘtre guideÌs en grande partie par notre patrimoine geÌneÌtique, ce nâest pas le seul maĂźtre de notre destin. Ces traits psychopathologiques que lâon peut retrouver chez certains leaders sont une composante de personnalitĂ©s charismatiques. Et ce leadership naturel, câest ce quâon va rechercher et valoriser chez un entrepreneur. Câest ce qui va les amener Ă faire bouger les choses et prendre des risques. Bien sĂ»r, cela peut aller de pair avec un cĂŽtĂ© plus sombre qui va ĂȘtre exacerbĂ© au contact de la prise de pouvoir et dâinfluence. Certains disent quâon a les leaders quâon mĂ©rite. Je pense quâils sont un miroir de notre sociĂ©tĂ©, et donc quâils reflĂštent aussi notre propre part dâombre. Mais on peut toujours y travailler et combattre nos comportements les plus les plus obscurs, qui ne sont pas Ă la merci de notre gĂ©nĂ©tique. Notre personnalitĂ© nâest pas fixe mais flexible. Avec de bons objectifs et du travail, on peut devenir la personne que lâon veut ĂȘtre. Par exemple, ce nâest pas parce quâon est de nature anxieuse quâon ne peut pas apprendre Ă parler en public ou Ă dĂ©velopper une Ăąme de leader.
Tu prĂŽnes une forme prĂ©ventive de la meÌdecine, par opposition aÌ lâapproche traditionnelle qui est plutoÌt reÌactive Ă un Ă©vĂ©nement ou une maladie. Tu inclus toute une part dâauto-analyse, avec la mise en place de mĂ©triques et dâoutils de tracking. Est-ce que tu penses que la crise sanitaire actuelle va accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement de la mĂ©decine prĂ©ventive ?
Figure-toi que tu nâes pas le premier Ă mâavoir posĂ© cette question. En meÌdecine, on voit deÌjaÌ que le coronavirus a accĂ©lĂ©rĂ© en quelques semaines des avancĂ©es qu'on n'avait pas rĂ©ussi Ă mettre en place en dix ans. Câest notamment le cas de la tĂ©lĂ©mĂ©decine, et ça ne fait que commencer. Donc jâai beaucoup dâespoir Ă ce niveau. Je pense que la sociĂ©tĂ© va rĂ©aliser que la santĂ© doit ĂȘtre notre premiĂšre prioritĂ© et que câest lâinvestissement le plus prĂ©cieux Ă lâĂ©chelle de nos vies.
Et effectivement, ça passe par toute une sĂ©rie de nouvelles habitudes Ă adopter et de donnĂ©es Ă suivre. Comment fais-tu en sorte que cette dĂ©marche de sâauto-analyser en permanence ne devienne pas elle-mĂȘme une source additionnelle de stress ?
Mon reÌve, c'est vraiment aider les gens aÌ construire une base de donneÌes personnelles pour leur santeÌ, et idĂ©alement Ă y ajouter le plus dâĂ©lĂ©ments possibles sur les volets biologiques et psychologiques. Ceci dit, je ne suis pas obsĂ©dĂ©e par le tracking et jâadapte mon approche Ă la personnaliteÌ de chacun. Et effectivement, il y a des patients que jâidentifie comme âaÌ risqueâ vis-Ă -vis de ces pratiques. Jâattire leur attention sur le fait que, si on va trop loin, ça peut leur faire plus de mal que de bien. Car il ne faut pas que cela les empĂȘche de vivre non-plus. Câest comme quand tu filmes un concert. Si tu concentres ton attention sur ton tĂ©lĂ©phone, tu vas stresser sur le rendu de la vidĂ©o au lieu de profiter du show â ce qui est absurde en soi vu que tu es lĂ pour ça. Il faut aussi faire attention Ă ce que les comportements liĂ©s au tracking ne deviennent pas des prophĂ©ties auto-rĂ©alisatrices. Certaines Ă©tudes sur le sommeil soulignent que si tu vois sur ton application que tu nâas pas dormi assez dâheures, tu te dis en avance que tu vas ĂȘtre fatiguĂ© et ça te conditionne Ă passer une mauvaise journĂ©e. Donc lâenjeu est de trouver un juste milieu entre l'information et ce que lâon en fait.
Cette approche âdata-drivenâ est particuliĂšrement prĂ©sente dans le domaine de lâentreprise. Avec le confinement et la crise actuelle, je suis personnellement convaincu que la santĂ© mentale des employĂ©s a encore plus de bonnes raisons de devenir un enjeu central. Mais si les mĂ©triques et outils dâanalyse sont personnalisables et adaptĂ©s Ă chaque type dâentreprise, lâapproche de la performance des employĂ©s est uniformisĂ©e et ne tient pas compte des spĂ©cificitĂ© de chacun. Penses-tu que sa mesure devrait changer pour mieux sâadapter aux diffĂ©rentes personnalitĂ©s des individus ?
En fait, je pense quâil faut surtout revenir aux basiques : connaĂźtre ses employĂ©s, accepter leurs limites et moduler les attentes en fonction. Encore une fois, câest essentiel de regarder le rĂ©sultat mais il faut aussi se demander pourquoi et comment câest arrivĂ©. Quand on recrute quelquâun, câest pour ses capacitĂ©s et son potentiel. Et je suis convaincue quâil faut veiller Ă ce que la personne puisse travailler et exprimer sa crĂ©ativitĂ© dans les meilleures conditions.
Dâailleurs, tu tâes intĂ©ressĂ©e assez tĂŽt aux questions du stress et de la santĂ© mentale au travail, bien avant que de nombreuses entreprises jouent la carte du bien-ĂȘtre dans leurs politiques RH. Quelles sont selon toi les bonnes et mauvaises pratiques aÌ ce niveau ?
C'est une question assez deÌlicate dans le sens oĂč le stress et la santĂ© mentale au travail restent encore aujourdâhui des sujets assez tabous, mĂȘme sâil y a des ouvertures. Par exemple, peu dâemployĂ©s se sentiront suffisamment en confiance pour dire quâils ont fait une deÌpression â sauf dans le cas oĂč ils ne peuvent pas faire autrement. Pour moi, les bonnes pratiques se trouvent du cĂŽtĂ© des cultures dâentreprises oĂč rĂšgne la bienveillance et dans lesquelles les individus sont encouragĂ©s Ă dire comment ils se sentent en toute transparence. Et cela commence par ne pas occulter voire punir des comportements qui laissent entrevoir des dĂ©buts de burn-out ou de dĂ©pression. Il faut aussi que les entreprises ne laissent pas tout le poids sur lâindividu. Car si un employĂ© prend soin de lui et fait tous les efforts du monde pour ĂȘtre performant dans son travail, cela ne le protĂšgera pas dâune culture toxique en interne. Câest donc aux entreprises de prendre leurs responsabilitĂ©s vis-Ă -vis de la santĂ© mentale de leurs salariĂ©s. En parler câest important, mais ce nâest pas suffisant. Il faut aussi aider les individus Ă mieux se dĂ©fendre contre le stress, crĂ©er un environnement stimulant et mettre en place des actions pour augmenter la crĂ©ativitĂ© et le bien-ĂȘtre en interne.
Quand on y reÌfleÌchit, les RH sont souvent en premiĂšre ligne des questions de santĂ© en entreprise. Penses-tu que ceux-ci devraient travailler en plus Ă©troite collaboration avec de vĂ©ritables professionnels de santĂ© ?
En effet, dâautant plus que cela me semble trĂšs compliquĂ© pour un RH de diagnostiquer un niveau de fatigue ou dâidentifier un probleÌme eÌmotionnel chez un employĂ©. Et puis, il y a aussi un autre probleÌme qui est celui de lâeÌthique. Car si jâencourage les entreprises Ă crĂ©er des environnements de travail bienveillants, il y a bien sĂ»r des limites. On ne peut pas s'ouvrir de la meÌme façon Ă son employeur quâĂ un mĂ©decin. DâoĂč lâimportance de travailler avec des intervenants extĂ©rieurs avec qui les employĂ©s se sentiront en confiance pour parler de façon transparente et anonyme.
De la mĂȘme façon quâune entreprise ne doit pas laisser tout le poids sur les Ă©paules de lâindividu, celles-ci ne doivent pas non-plus essayer de tout rĂ©soudre en interne. Je voudrais profiter de la fin de lâinterview pour avoir ton avis de mĂ©decin sur un Ă©vĂ©nement qui sâapproche pour nous tous, Ă savoir le dĂ©confinement. Quels sont selon toi les risques au niveau de notre santĂ© mentale que lâon devrait surveiller ?
Il va y avoir une pĂ©riode de transition dans laquelle il va falloir ĂȘtre trĂšs vigilant. Le confinement nous a fait vivre dans des conditions dâisolement sans prĂ©cĂ©dent, et il ne sâagit pas de passer dâun extrĂȘme Ă lâautre lorsque celui-ci sera levĂ©. Bien sĂ»r, il va y avoir la joie de retrouver ses amis et sa famille, dâavoir de nouveau une vie sociale et de faire des choses quâon ne peut pas faire dans la situation actuelle. Mais il faudra faire particuliĂšrement attention aux excĂšs et prises de risque, qui peuvent aller de pair avec lâenthousiasme gĂ©nĂ©ral et mettre en danger notre santĂ© mentale. Et surtout : la fin du confinement ne veut pas dire la fin de nos soucis, loin de lĂ . Tout dâabord, il y aura toujours la crise sanitaire que nous vivons mais aussi la perspective de nouveaux soucis Ă©conomiques et financiers, qui sont des sources de stress Ă part entiĂšre. Contrairement Ă la derniĂšre crise financiĂšre, nous sommes dans un contexte dans lequel lâincertitude est Ă tous les niveaux et auquel il faut se prĂ©parer mentalement Ă faire face Ă de nouveaux probleÌmes aÌ venir. Enfin, le confinement nâest seulement une Ă©preuve vis-Ă -vis de lâisolement. Pour de nombreux couples et familles, celui-ci a pu rĂ©vĂ©ler des tensions et fragilitĂ©s dont va falloir sâoccuper dans un contexte nouveau. Mais je reste optimiste sur le fait que le confinement a aussi Ă©tĂ© une opportunitĂ© dâentamer une rĂ©flexion profonde sur soi-mĂȘme, sur le monde qui nous entoure, et sur les personnes que nous voulons devenir.
Pour finir, peux-tu nous en dire plus sur lâapplication que tu es en train de crĂ©er pour faire face au coronavirus ?
Je suis en train de dĂ©velopper une application personnelle pour auto-analyser la prĂ©sence dâĂ©ventuels symptĂŽmes du coronavirus. Lâenjeu est de permettre de construire une base de donnĂ©es pour nous aider prendre les meilleures dĂ©cisions pour notre santĂ©, celle des autres, et connecter les patients avec des mĂ©decins disponible. Mon objectif est dâaider les personnes seules chez elles qui ont (ou pensent avoir) le coronavirus. Je veux pouvoir leur apporter une aide mĂ©dicale personnalisĂ©e dans un contexte oĂč les hotlines sont saturĂ©s et les mĂ©decins traitants, dĂ©bordĂ©s. L'application sâappellera Covid Care et le lancement de la premiĂšre version est imminent. Je vais annoncer sa sortie dans les jours Ă venir sur le site dâAkesio et les rĂ©seaux sociaux.
Alors on va surveiller ça de prĂšs et je ne manquerai pas de relayer lâinfo Ă sa sortie. Un grand merci Ă toi Lavinia pour cette interview passionnante sur tous ces sujets qui sont plus que jamais dâactualitĂ©. Je te souhaite beaucoup de courage pour tous ces projets et te dis Ă bientĂŽt !
4 contenus par Lavinia pour prendre soin de sa santé :
đ  MISSIONS FREELANCES & CDI⊠Back in the game!
Envoyez-moi les missions que vous ne pouvez pas accepter et elles seront relayĂ©es Ă la communautĂ© : benjamin.perrin.pro@gmail.com âïž
Projet CommunautĂ© (freelance) â Mathieu Ceccarelli a une mission pour plumes analytiques. Celui-ci crĂ©e une sĂ©rie dâarticles pour expliquer les dĂ©cisions et leviers marketing qui ont conduit Ă lâexplosion de belles start-ups. Alors si tu aimes l'investigation, les interviews dâentrepreneurs et le long format (2500 mots), câest une mission qui est faite pour toi. | đ©Â mathieu.ceccarelli@gmail.com
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Koober (freelance) â Avis aux fĂ©rus de littĂ©rature, histoire et philo : la start-up reine du binge-reading recherche des plumes adeptes de long format pour transmettre leurs savoirs Ă lâĂ©crit. | đ Offre
YouLoveWords (CDI) â Lâagence devenue reine de la crĂ©ation de contenus recrute un(e) Content Manager pour coordonner leur communication BtoB. | đ Offre
Backmarket (CDI) â Les champions du reconditionnement de tĂ©lĂ©phones, ordinateurs et petit Ă©lĂ©ctromĂ©nager recherchent un crĂ©a et âmemelordâ (câest dans la fiche de poste) pour rejoindre leur Ă©quipe Social Media. | đ Offre
đ DANS LE RADAR⊠Mes petits trĂ©sors
Pas de livre recommandĂ© dans la section, une premiĂšre ! Et pour cause : je suis beaucoup trop absorbĂ© par Dune, de Frank Herbert. đ
Musique : The Strokes â Ode To The Mets
Câest toujours difficile de voir les groupes de sa jeunesse se vautrer sur les albums qui suivent le pic de leur carriĂšre. Mais quand ils arrivent Ă conjurer le mauvais sort, câest un vrai soulagement. PrĂšs de vingt ans aprĂšs Is This It, je suis content de pouvoir enfin dire que cette fois-ci, jâaime le dernier album des Strokes.
SĂ©ries : Killing Eve â Phoebe Waller-Bridge (MyCanal)
Lâautre sĂ©rie de la crĂ©atrice de Fleabag est rapidement devenue une nouvelle alliĂ©e de choix dans mon confinement. MalgrĂ© des scĂšnes Ă la violence souvent gratuite, lâhistoire de la traque dâune tueuse en sĂ©rie par une agente du MI-5 est remplie de scĂšnes Ă lâhumour dĂ©capant.
Documentaire : Wild Wild Country âMaclain &Â Chapman Way (Netflix)
Quand une secte venue dâInde rachĂšte un ranch et ses 26 000 hectares dans lâOregon pour y installer son nouveau âhavre de paixâ, la panique dâun petit village dâune quarantaine dâĂąmes va progressivement sâĂ©tendre Ă tout le pays. Je nâavais jamais entendu parler de cette histoire hallucinante des annĂ©es 80, qui est digne dâun Ă©pisode de lâĂ©mission Strip Tease⊠version hollywoodienne.
Photo : Oui, ceci est bien une météorite. Photographié par Prasenjeet Yadav.
đźÂ KNOWLEDGE IS POWER⊠Maintenant vous savez !
If you want to get noticed, why are you doing the same things everyone else does?
â Josh Spector
Communication Breakdown : AprĂšs trois romans publiĂ©s, des centaines dâarticles de blog et des expĂ©riences significatives chez eFounders puis Station F, Rachel Vanier a forcĂ©ment deux-trois trucs â ou plutĂŽt 73 slides â Ă nous apprendre dans lâart de la communication en start-up.
Lâhistoire dont vous ĂȘtes le hĂ©ros : Si le calme du confinement vous a donnĂ© lâenvie de mettre votre plume Ă lâĂ©preuve de la fiction, mieux vaut connaĂźtre le secret des maĂźtres en la matiĂšre â pour mieux vous en dĂ©tourner. Câest le cas de la structure de Joseph Campbell qui vous aidera Ă crĂ©er une aventure digne de ce nom pour vos futurs hĂ©ros.
Content Design : Parce quâil nây a pas que les articles dans la vie et que lâUX Writing est en plein boom, autant partir avec des bases solides. En voici une excellente introduction.
BibliothÚque sans frontiÚres : Qui de mieux que Tim Urban, auteur du célÚbre blog Wait But Why, pour revoir vos ambitions de lecture à la hausse ?

đŁÂ MEANWHILE⊠Lâactu des lecteurs
Et vous, ils ressemblent Ă quoi vos projets du moment ? Ăcrivez-moi pour mâen parler et apparaĂźtre dans la prochaine Ă©dition.
Julie a lancé sa newsletter sur le surf : Do It Your Swell.
Valentin nous invite dans les coulisses de la crĂ©ation dâun article en vidĂ©o.
Ester dĂ©taille les huit leçons de psychologie quâelle a tirĂ© du coronavirus.
Alexis nous partage son retour dâexpĂ©rience sur la crĂ©ation dâun podcast.
Noémie a créé sa Content Toolbox sur Notion.
Yoann a lancé le IMDb des newsletters, logiquement appelé⊠INDb.
Sarah et Bastien ont créé une version en ligne du jeu Hanabi.
Kilian fait le bilan en vidĂ©o de son dernier projet : LâAtelier des Fous.
DERNIĂRE CHOSEâŠ
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Bon courage pour la fin du confinement et prenez soin de vous,
May the words be with you,
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