L’enfer du contenu créé par les entreprises est pavé de bons mots-clés. En tant que concepteur-rédacteur freelance, ma plume se hérisse quand je vois “SEO” en première ligne des compétences requises pour exercer un métier de l’écrit. Le terme de “création de contenu” lui-même ne m’a jamais semblé aussi galvaudé, tant celui-ci peut être associé à des missions dépourvues de la moindre créativité.
Pourtant, c’est souvent par ce même contenu que des entreprises et individus réussissent à tirer leur épingle du jeu. Aujourd’hui, des marques se font et se défont par la construction de nouveaux schemas narratifs, par la formation de communautés autour de leurs messages et par leur contribution au monde au-delà de leur produit.
La bonne nouvelle à l’ère de la passion economy, c’est que chacun peut trouver une niche différente de celle de son voisin. Et cela vaut aussi bien pour les individus que les entreprises. Même que certains le font déjà très bien. C’est le cas de notre nouvelle invitée qui, en a peine deux ans, a fondé une start-up à haut potentiel et lancé un média tout sauf traditionnel.
J’espère que notre conversation vous inspirera de nouvelles réflexions. Quant à celles et ceux qui voudraient prolonger la discussion voire me parler création de médias ou enjeux d’éditorialisation, vous savez où me trouver. Et si vous venez de rejoindre PWA et que vous ne savez pas, c’est par là. → benjamin.perrin.pro@gmail.com
Bonne lecture à vous,
Benjamin
Plumes With Attitude est une newsletter sur l’écriture sous toutes ses formes. Si vous avez envie de suivre cette publication, abonnez-vous pour recevoir les prochaines éditions.
🎙 INTERVIEW… Saskia Fiszel, co-fondatrice de Virgil
À chaque newsletter, je vous propose de découvrir le portrait et les idées d’une véritable plume “With Attitude”. Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Saskia Fiszel, qui est à l’origine de deux projets que j’adore : Virgil, une start-up immobilière qui redéfinit les règles de l’accès à la propriété, et Spoune, une newsletter sur les finances personnelles aux 12 000 abonnés.
Hello Saskia et merci d’avoir accepté l’invitation ! Quand j’ai voulu faire une édition sur la création de médias de start-ups, j’ai tout de suite pensé à toi. Et pour cause : tu as lancé Spoune dans la foulée de la création de Virgil. Et à un stade qui fait la part belle au développement produit et à sa commercialisation, le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas courant. D’où ma première question : pourquoi si tôt ?
Spoune est le résultat de toute l’énergie déployée dans la construction de Virgil. Notre constat initial, c’est qu’au-delà du salaire, c’est souvent l’apport familial qui fait qu’un jeune actif va pouvoir devenir propriétaire. Sans cet apport, les logements auxquels il pourra prétendre seront petits ou beaucoup trop excentrés que ce qu’il recherche. En plus de ça, devenir propriétaire est souvent un parcours du combattant.
Notre logique avec Virgil est celle du co-investissement : on va compléter l’apport personnel de jeunes actifs qui veulent devenir propriétaires. Sauf qu’à force de discuter avec eux, on s’est rendu compte qu’ils avaient énormément de questions sur l’argent, sur l’investissement et, de façon globale, sur la construction de leur avenir. Et comme notre mission est d’accompagner ces jeunes acquéreurs dans tout le processus d’achat, on s’est dit très tôt que l’apport en capital ne suffirait pas.
D’où la création d’un média sur les finances personnelles.
Exactement. Le sujet des finances personnelles a longtemps été traité soit de façon hyper-technique, soit dans un style assez chiant, soit dans une optique de te vendre quelque chose. La conséquence, c’est que quand tu as réussi à mettre un peu d’argent de côté, tu vas plutôt penser à organiser tes prochaines vacances au lieu de réfléchir à épargner ou investir. Et c’est normal : rien ni personne ne t’encourage à te préoccuper sérieusement de ces questions-là — même si tu sais que c’est important.
Alors on a voulu créer un média qui répond aux questions qu’on entend le plus souvent et qui réconcilie les jeunes avec ce grand tabou français de l’argent. Reste que Virgil ne nous semblait pas le bon support pour diffuser nos idées, ce qui nous a conduits à lancer Spoune aux côtés de Virgil, mais dissocié.
Ce que je trouve vraiment intéressant, c’est que le business model de Virgil s’inscrit justement sur du temps long. Donc en soi, c’est très judicieux d’investir très tôt dans une démarche de création éditoriale. Comment articulez-vous les enjeux et objectifs autour de Spoune avec ceux de Virgil ?
Alors je dirais qu’il y a deux choses. La première, c’est tout simplement que mon associé Keyvan et moi, on aime écrire et répondre de façon simple à des questions compliquées. Ça a toujours été présent dans nos carrières respectives. Avant Virgil, on avait lancé en Europe une boîte qui s’appelle onefinestay et dont une des grandes forces a toujours été sa façon de s’adresser au monde. Notre première motivation a donc été cette envie d’emmener notre nouveau projet dans cette direction. La deuxième raison, c’est qu’on avait cette conviction que c’était la chose à faire.
Aujourd’hui, le retour sur investissement de Spoune vis-à-vis de Virgil est avant tout théorique. C’est que l’on sait en revanche, c’est que cette conversation a non seulement une vraie valeur ajoutée pour les acquéreurs avec qui on co-investit, mais également pour toute personne qui s’intéresse à tous ces sujets liés au passage à la vie d’adulte. Et même si on ne vend rien avec Spoune et qu’on n’a pas particulièrement cherché à mettre Virgil en avant, ça reste un canal d’acquisition évident. Aujourd’hui, de nombreux acquéreurs arrivent à Virgil après avoir découvert Spoune.
Et à mon avis, ce n’est que le début. Parce qu’aujourd’hui Virgil est uniquement présent à Paris et la petite couronne, mais j’imagine que les lecteurs de Spoune sont répartis dans toute la France. Donc effectivement, avoir une audience de 12 000 personnes sera sans doute un atout de taille quand vous lancerez Virgil dans les grandes métropoles de province. En parlant de demain, tu le vois comment l’avenir de Spoune ?
Comme je disais, Spoune est un média dissocié. On a beau préciser en bas de chaque édition que c’est créé par l’équipe Virgil, ça n’en fait pas une énième newsletter corporate dont le sujet va être — de près ou de loin — l’entreprise en elle-même. On a d’ailleurs une véritable demande de la part de lecteurs qui voudraient voir plus de contenus et d’ateliers autour de Spoune. On pourrait donc aller plus loin que l’e-mail mais ce n’est pas à l’ordre du jour, étant donné que notre priorité reste Virgil.
Par contre, on veut aller plus loin que les finances personnelles. Récemment, on a notamment écrit sur des sujets plus ésotériques comme le rôle de l’argent dans le bonheur ou l’empreinte environnementale des banques. Et comme ce sont des domaines que l’on maîtrise moins, l’idée c’est d’aller chercher des avis d’experts ou de personnes qui ont un point de vue original sur la question.
Sans oublier que pour chaque édition envoyée, il y a des centaines de lecteurs qui nous écrivent avec leurs questions, nuances et critiques auxquelles nous répondons personnellement. Il y a une vraie discussion ouverte en permanence. Alors l’avenir de Spoune, je le vois surtout de plus en plus collaboratif.
Penses-tu que toute startup aurait intérêt à développer son propre média dissocié de son activité ?
C'est une question difficile. J’aurais tendance à dire que non, mais ça reste la meilleure façon de créer et entretenir des liens avec les personnes auxquelles ton produit peut s’adresser. J’ai notamment été très influencée par le livre de l’équipe Marketing de Drift, This Won’t Scale. Et ce que je trouve génial, c’est qu’il y a autant d’approches possibles que de start-ups. Par exemple, la newsletter de la mutuelle Alan, c’est celle de son CEO Jean-Charles [Samuelian-Werve]. C’est un parti-pris très personnel : on est là aussi très loin de la publication corporate. Le plus difficile dans cet exercice, c’est de trouver comment te distinguer et apporter une vraie valeur ajoutée.
Ce qui est marrant dans la création de contenu en ce moment, c’est qu’il y a vraiment une tendance et son contraire. Tu as d’une part des boîtes qui cherchent à humaniser leur message, souvent avec une vraie approche éditoriale, et de l’autre des individus qui lancent des médias personnels en reprenant parfois certains codes de l’entreprise. Et à ce sujet, je trouve ça vraiment étonnant pour une start-up d’avoir choisi un sujet aussi tabou en France que celui de l’argent.
Parler d’argent en France n’est même pas le plus embarrassant. Ce qui fait le plus peur aux gens, c’est de poser des questions sur l’argent. Il y a une explication très simple à cela : on ne sait tout simplement pas à qui s’adresser. Même en école de commerce, tu as beau pouvoir te spécialiser et avoir un diplôme en finance, on ne t’apprendra rien sur la gestion de ton propre argent. Et quand tu t’adresses à des banques ou à des conseillers en gestion de patrimoine, tu as surtout cette impression qu’on cherche à te vendre un produit sur lequel ton interlocuteur touche une commission.
Enfin, c’est toujours un peu particulier d’en parler avec tes amis parce que tu ne veux pas qu’ils pensent que tu n’y connais rien ou que tu ne sais pas gérer ton argent. En plus, tu te retrouves vite confronté à ce genre de biais qui fait qu’un conseil cohérent avec les plans de vie d’une personne ne sera pas valable dans ta situation. D’où ce malaise diffus qui fait qu’on accepte de ne pas savoir, faute de connaître quelqu’un de confiance à qui poser ses questions sans crainte de jugement.
J’imagine que ça vient aussi du fait qu’il est difficile de parler d’argent sans mettre des chiffres sur ce qu’on gagne, ce qu’on dépense ou ce qu’on a de côté.
C’est marrant, il y a un autre tabou en France qui a commencé à se briser et qui est celui du coaching personnel. Personnellement, je trouve que c’est une bonne nouvelle de voir de plus en plus de gens accepter de se faire coacher dans différents domaines — dont les finances personnelles. Et l’une des premières questions que posent ces coachs est celle de ton rapport à l’argent. Est-ce que c'est quelque chose d'essentiel dans ta vie ? As-tu le sentiment d’avoir des insécurités sur le sujet ? Autant dire que ce ne sont pas des questions avec lesquelles on est très à l’aise en France (rires).
Ce qu’on va chercher à éviter à tout prix avec Spoune, ce sont les réponses simplistes, ou pire, les réponses d’avocat du type : “il y a la solution A, la solution B, mais au final c’est vous qui voyez” (rires). Et je ne parle même pas de tous ces articles SEO qui sont peut-être les premiers à sortir sur Google, mais qui ne répondent jamais précisément à tes questions.
Par exemple, l’une des choses les plus importantes à savoir quand tu décides d’acheter à deux, c’est ce qui se passe d’un point de vue légal s’il arrive quelque chose à l’un des deux acheteurs. Sans entrer dans les détails, il y a un acte prévu pour ça que tu découvres généralement au moment de signer les papiers chez le notaire. Je trouve ça juste incroyable d’avoir une réponse aussi tardive à une question aussi élémentaire.
C’est pour ça qu’on a choisi d’interviewer un notaire expert du sujet pour une édition de Spoune. Plus simple encore : j’ai eu une prime ou un bonus, maintenant qu’est-ce que j’en fais ? J’ouvre un PEA ou une assurance-vie ? Et l’idée de Spoune, c’est justement d’apporter des réponses concrètes à toutes ces questions qu’on n’ose pas poser à nos amis.
Perso, je trouve ça génial pour une start-up d’avoir un impact au-delà de son produit. Parce que si Virgil est aujourd’hui en capacité d’accompagner uniquement des acquéreurs franciliens, Spoune vous permet d’aider des gens à plus grande échelle. Sans aller jusqu’à parler de start-up à impact, j’aime beaucoup cette ambition de vouloir changer le regard voire la vie des gens sur le sujet de l’argent, alors que ce n’est pas forcément là où on vous attend.
Ce qui est vraiment intéressant, c’est d’avoir réussi à aligner un enjeu opérationnel (répondre aux questions de nos acquéreurs) à un moyen de créer de la valeur pour toute personne intéressée par ces sujets. Ce serait contre-productif de passer nos journées à répéter ce que l’on sait à seulement une poignée de gens. La newsletter est notre façon de redistribuer des connaissances et de les rendre accessibles au plus grand nombre. Enfin, Spoune est alignée avec la mission de Virgil. On aime parler de “briser le plafond de pierre” mais ça va plus loin que le seul fait d’être propriétaire. Notre objectif, c’est d’aider les jeunes à devenir maîtres de leur futur.
Voilà qui me semble une parfaite conclusion pour cette interview. En tout cas, merci beaucoup Saskia ! C’était génial et ça me conforte dans mon envie d’aider des start-ups à trouver et développer leur propre Spoune (rires). Je te dis à bientôt !
4 médias recommandés par Saskia pour devenir un (vrai) adulte :
Rad Reads : “Des lectures courtes sur des sujets comme l’argent, le bonheur, l’écriture et la productivité, le tout par un ancien de Wall Street reconverti.”
Finimize : “Mon média finances de prédilection.”
The New Yorker : “Ma publication préférée pour ses angles incroyables sur plein de sujets d’actualité.”
First Round Review : “De loin le meilleur média business pour grandir professionnellement.”
🔮 KNOWLEDGE IS POWER… Maintenant vous savez !
Les semaines se suivent et ne se ressemblent décidément pas.
Wall Street bête : Vous avez peut-être entendu parler de ce bras de fer sans queue ni tête entre un subreddit et des fonds de pension américains. Au cœur de la débâcle : des spéculations dans tous les sens autour d’entreprises sur le déclin, comme la maison-mère des magasins Micromania. Et une fois de plus, les auteurs de la newsletter The Margins ont trouvé les mots justes pour distinguer le signal au milieu du bruit.
Bandes à part : Grosse semaine également pour les newsletters ! Pendant que Twitter s’offre Revue (le concurrent principal de Substack), le joyeux collectif d’auteurs mené par Dan Shipper Nathan Baschez se rebaptise Every et crée sa propre plateforme de publication. Leur manifeste est un must-read pour toute personne qui s’intéresse de près ou de loin à la création de contenus.
RSS 117 : Si les newsletters ont leur moment, c’est peut-être aussi parce qu’Internet n’a rien de mieux à nous proposer. C’est ce qu’affirme le designer Robin Rendle, auteur d’un essai à la gloire des débuts du web, aussi graphique que nostalgique.
$ESSAY : C’est le petit nom du token créé à l’occasion du premier essai financé par crowdfunding en Ethereum. Vous me suivez ? C’est ce qu’on appelle un NFT (non-fungible token) et vu l’actualité, il y a des chances non négligeables pour que ce modèle finisse par s’imposer.
Golden Eye : Notez que ce (fantastique) thread date de 2017. Et pourtant…
🎣 PETITES ANNONCES… Missions freelances & CDI
Pour relayer une mission freelance ou une offre en CDI : benjamin.perrin.pro@gmail.com
Lookom cherche des Community Managers freelances.
Mangopay recherche un(e) Content Specialist.
Doctolib recrute un(e) UX Writer.
So Good cherche un(e) Social Content Manager.
Pretto recrute un(e) Content Strategist.
C’est qui le Patron ?! recherche son/sa Responsable Communication.
Luko cherche un(e) Content Manager sur le volet assurance.
🗣 MEANWHILE… L’actu des lecteurs
Et vous, ils ressemblent à quoi vos projets du moment ? Écrivez-moi pour m’en parler et apparaître dans la prochaine édition.
Noémie nous initie au design fiction.
Jonathan est passé sur un podcast.
Nadalette a participé au concours d’écriture Sororistas.
Valentin s’est fait interviewer par Pauline Laigneau.
Renée nous partage une nouvelle de sa plume.
Alexis lance une série de micro-conférences avec Shine.
Laetitia est revenue sur le mouvement #balancetastartup.
Kevin s’est fait interviewer au sujet des fameux NFTs.
DERNIÈRE CHOSE…
De Patti Smith à Boris Vian, en passant par Harry Potter, Bret Easton Ellis ou le Marquis de Sade : j’ai confié à Céline la liste des livres qui m’ont le plus marqués. Un grand merci pour cette première invitation de l’année, après un passage chez Noémie, Valentin et Thomas en 2020.
Enfin, un petit mot sur la prochaine édition qui ne comptera pas un, ni deux, mais… trois invités ! D’ici là, vous pouvez me dire ce que vous avez pensé de cette newsletter en m’écrivant sur Twitter, LinkedIn ou en répondant directement à cet e-mail.
May the words be with you,
Benjamin
P.S : Retrouvez toutes les newsletters précédentes dans l’archive de Plumes With Attitude. Et si vous avez aimé cette édition, n’hésitez pas à la partager autour de vous, ainsi qu’à vous abonner pour recevoir les suivantes par e-mail.