Trois semaines après le déconfinement, il est temps de voir plus grand. C’est justement le programme de cette nouvelle édition entre visions du futur, modèles de créations et grands questionnements.
Et parce qu’une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, je vous dis à tout à l’heure pour Plumes With Attitude. Avec deux newsletters envoyées le dernier jour du mois, vous devez vous en doutez : le retour à la liberté a été difficile à gérer. Sacré mois de mai !
Bonne lecture à vous,
Benjamin
🧠 HEAD… Destination finale : le metaverse
Ici il s’agit d’aiguiser sa vision de l’avenir que l’on veut construire demain.
Les communautés ont souvent été décrites comme l’évolution naturelle des réseaux sociaux. Et quoi de mieux pour savoir de quoi sera fait demain que de regarder ce qui existe aujourd’hui dans le monde du jeu vidéo ? C’est d’ailleurs un secteur fascinant à observer. Twitch est devenu un tel phénomène qu’il est surveillé de près par Netflix et autres géants de l’entertainment. Et que dire d’Animal Crossing qui est devenu l’un des mouvements de société les plus marquants du confinement ? Mais le produit sans doute le plus visionnaire n’est autre que le jeu de “battle royale” Fortnite, développé par le studio Epic Games.
Aujourd’hui, c’est l’illustration réelle la plus proche du concept — aussi fantasmé que difficile à définir — de “metaverse”. Résumé très grossièrement, le terme désigne un univers parallèle et virtuel similaire à l’Oasis dans le film Ready Player One. Fin 2019, Fortnite avait été l’hôte d’un trailer exclusif du dernier Star Wars: The Rise Of The Skywalkers. Des marques comme Louis Vuitton ont également dessiné des vêtements à acheter dans le jeu. En avril 2020, c’est également sur Fortnite que le rappeur Travis Scott choisissait de faire un concert virtuel qui a attiré plus de 27 millions de spectateurs le temps d’un week-end. Plus intéressant encore : Epic Games limitait le nombre de spectateurs à cinquante par map, ce qui donne une dimension paradoxalement intime à un événement aussi gigantesque.
Et si des technologies comme la réalité virtuelle sont encore loin d’être massivement adoptées, certaines initiatives lancées par les acteurs des réseaux sociaux nous donnent déjà une idée de ce qu’elles pourront être amenées à augmenter. Dans une actu passée sous le radar en décembre 2019, Snap annonçait que ses utilisateurs pourraient bientôt créer des cartoons à partir de leurs avatars Bitmoji — la firme ayant fait l’acquisition de leur maison-mère Bitstrips en 2016. Le coronavirus a bien entendu accéléré cette tendance à faire du virtuel notre premier lieu d’activité (personnelle et professionnelle), de découverte du monde et de divertissement. Même le festival Burning Man dont le thème défini avant la pandémie était déjà le Metaverse, aura droit à une édition 2020 entièrement virtuelle.
Les réseaux sociaux semblent voués à continuer de s’inspirer des jeux vidéos, eux-mêmes amenés à marcher sur les plates-bandes des géants du streaming et du divertissement. Au cœur de ces enjeux se trouve la transformation identitaire de l’individu. Le système de rémunération libre du développement open-source, l’ascension des streamersou encore la montée de l’e-sport nous ont laissé entrevoir pendant des années ce que nous appelons aujourd’hui passion economy. Les événements eux-mêmes sont bien partis pour prendre place de plus en plus souvent sur nos écrans. Quant au format de ce fameux concert de Travis Scott diffusés entre amis en huis clos, celui-ci n’est pas sans me rappeler le fonctionnement de l’étoile montante des réseaux sociaux : Clubhouse. Et me laisse penser que l’avènement annoncé du metaverse n’est pas forcément aussi loin que l’on peut se l’imaginer.
Pour aller plus loin…
Le coronavirus marque la fin de la guerre aux écrans (New York Times)
Les universités cyborgs sont l’avenir de l’éducation supérieure (Scott Galloway)
✊ HAND… X for Y > Find Your Why
Ici on passe du concept au concret, et de la théorie à l’outil.
“Think of it as psychedelia for people with meditation apps and vape pens.”
— Jillian Mappes (Pitchfork) à propos du dernier album de Tame Impala
L’entrepreneuriat de la dernière décennie peut se résumer en trois mots et guère plus de lettres : X for Y. Le concept d’ubérisation est sans doute son dérivé le plus connu. Figure de proue de l’équipe Growth d’Uber et investisseur de premier plan chez Andreessen Horowitz depuis 2018, Andrew Chen est plutôt bien placé pour en parler.
Et comme il le rappelle dans un article, le modèle X for Y n’est pas seulement l’apanage des entrepreneurs sans inspiration. Bien au contraire, certains des plus grands produits tech peuvent être analysés par ce prisme :
Youtube est un Flickr de la vidéo
Glassdoor est un Tripadvisor de l’emploi
Airbnb est un eBay de la surface au sol
Bien sûr, le concept n’est pas né dans un pitch deck. Ne dit-on pas que la religion est l’opium du peuple ? Ou que le football est un sport de gentlemen pratiqué par des voyous — et inversement pour le rugby ? Pour moi, X for Y n’est pas un business model ou un framework pour trouver des idées : c’est avant tout du storytelling et une certaine façon de penser.
La beauté du modèle X for Y concentre les attributs d’un contenu qui fait mouche : rapidité, simplicité, clarté et pouvoir d’évocation. Quoi de plus efficace que d’utiliser une comparaison pour présenter un projet à son boss, à un investisseur ou à un producteur de séries TV dans un ascenseur ? Ce n’est pas pour rien que l’approche X for Y est devenu un élément incontournable de ce qu’on appelle l’elevator pitch.
L’ubérisation a ses nombreux détracteurs. Et le modèle X for Y ne fait pas exception. Derrière cette approche se cache la recherche du monopole prônée par des entrepreneurs comme Peter Thiel, avec pour conséquence la transformation de l’ensemble des marchés en systèmes “winner-takes-all”. L’idée est de devenir LA solution (X) pour répondre à un problème (Y).
Le modèle X for Y peut être assimilé à un cheval de Troie de la “disruption”, telle qu’elle a été théorisée dans les années 90 par Clayton Christensen. L’analyste Li Jin, qui est à l’origine du terme de “passion economy”, nous rappelait dans sa newsletter personnelle que ladite disruption est plus une affaire de création que de destruction.
La disruption a en réalité deux fonctions :
Servir un client auquel un marché ne s’adresse pas (“new-market disruption”) ;
ex : De nombreuses personnes ne prenaient pas le taxi avant Uber.
Toucher un client mal servi par un marché (“low-end disruption”).
ex : La retouche de photos était complexe et peu accessible avant Instagram.
La disruption consiste donc à rebattre les cartes de l’accès à un privilège (X) à un nouveau segment donné (Y). Mais si le modèle X for Y semble être la panacée de la création d’entreprise, c’est également un levier formidable pour se développer en tant qu’individu. C’est un schéma de pensée très complémentaire des concepts d’Ikigaï, de Zones de Génie et d’Excellence (cf. BSC #3) et bien sûr de “stacks”(cf. BSC #2). C’est d’autant plus vrai pour ce dernier dans la mesure où X for Y est aussi bien valable sur le volet consommation que production.
Le modèle X for Y est une réponse au problème très contemporain de l’optionnalité. Il permet notamment de faire des choix pour répondre à un besoin donné. Par exemple, c’est en partant d’une volonté d’investir en bourse (Y) que j’ai décidé de faire confiance à Motley Fool (X). J’ai également choisi Substack comme outil (X) pour combler mon désir d’écriture (Y). Le modèle X for Y répond selon moi au besoin très personnel de trouver des repères pour mieux construire sa vie.
C’est donc un schéma de pensée d’exception pour trouver ses propres références et faire la jonction entre ses différentes sources d’inspiration. En cela, je trouve que le modèle X for Y a une forte dimension identitaire. Et nous ramène à la question de ce que l’on aime, ce que l’on veut explorer, et de comment faire le lien entre nos goûts (cf. BSC #3) et nos aspirations.
La personne qui, à mes yeux, illustre cette démarche à la perfection est Kevin Parker, l’homme derrière le groupe Tame Impala. À chaque album, celui-ci a su revisiter avec brio des genres musicaux (Y) comme le rock, la pop et le hip-hop, en les sublimant par son univers à lui (X) teinté d’onirisme et de psychédélisme. Car oui, vous pouvez mettre absolument tout derrière ces deux variables, vous y-compris. Au fond, le modèle X for Y est tout un art.
Pour aller plus loin…
❤️ HEART… Trouvez vos ennemis, conseil d’ami
Ici on fait la part belle à la pensée noble, celle qui vient du cœur.
“All it takes for evil to triumph is for good men to do nothing.”
— Abraham Lincoln
En 2020, la menace d’une pandémie globale a réussi à unir le monde face à un ennemi commun. Qualifié de cygne noir d’après la théorie de Nassim Nicholas Taleb, l’événement a été sans précédent pour la plupart d’entre nous qui n’avons jamais connu les grandes guerres du XXème siècle. Soudainement, notre génération en quête de sens découvrait son nouveau combat.
Un siècle plus tôt, le sociologue Max Weber définissait le concept de désenchantement du monde. Celui-ci voyait dans le recul de l’influence de la religion et les progrès scientifiques une rationalisation de l’existence, qui perdait de sa magie mais aussi de… son sens. J’ai toujours été étonné que son approche théorisée en 1917 émerge en plein milieu d’une guerre annonciatrice d’un monde à reconstruire. Après tout, l’existence d’un ennemi qui menace sa propre survie ne donne-t-elle pas à la vie un certain sens ?
Je suis particulièrement sensible au conseil de choisir ses batailles. Pas seulement parce qu’il me semble illusoire et vain de vouloir gagner sur tous les fronts, mais dans la mesure où définir ses propres ennemis permet d’avancer en accord avec ses convictions. La littérature entrepreneuriale est particulièrement influencée par le champ lexical de la guerre — pour le meilleur (“Wartime CEO”) mais aussi pour le pire (“blitzscaling”). L’esprit de la Silicon Valley a souvent été décrit lui-même comme la rencontre entre l’idéologie hippie et la rigueur militaire.
Ce n’est selon moi pas un hasard si les start-ups qui s’attaquent à des monopoles, combattent des détenteurs de rentes ou “arment les rebelles” attirent des gens brillants. Aujourd’hui, ce sont les entreprises à mission qui remportent les suffrages d’une génération désireuse de mettre plus d’impact dans son quotidien. Au-delà d’être un conseil de carrière avisé, je suis convaincu que la définition de son propre ennemi est un véritable moteur dans notre capacité à prendre des décisions pour notre vie.
Et quand on ne sait pas comment l’identifier, alors pourquoi ne pas commencer par… soi-même ? Quel est donc cet ennemi intime qui nous empêche d’avancer ? Dans son excellent livre The Subtle Art Of Not Giving A Fuck, Mark Manson nous invite à choisir ce pour quoi nous sommes prêts à lutter — et donc souffrir. Selon lui, notre plus grand frein dans la définition d’objectifs personnels réside dans l’amour du résultat et non du process. Car à quoi bon se mettre en quête de finir un marathon quand on ne trouve aucun plaisir dans l’épreuve physique de la préparation ?
Ceci dit, le réenchantement du monde ne se trouve pas dans le conflit. Mais trop souvent, notre sentiment d’impuissance contribue à la perte de notre notion de sens. Et si changer le monde (en bien !) est vendu comme le nouvel eldorado moderne, nombreux d’entre nous perdent vite espoir et patience, ou jugent leurs efforts vains. Pour moi, le génie d’Elon Musk ne réside pas tant dans la construction de voitures électriques, de batteries solaires ou de fusées, mais dans l’élaboration de son fameux Master Plan.
Aujourd’hui, il est de bon ton de l’admirer pour ce qu’il a accompli. Il existe même un véritable culte autour de lui. Et si on s’inspirait plutôt de là où il est parti ? À savoir d’une stratégie et de quelques ennemis.
Pour aller plus loin…
🦸♂️ HERO… Abadesi Osunsade
À chaque édition : un petit topo sur mes héros d’un jour ou de toujours.
J’ai découvert “@Abadesi” alors qu’elle travaillait pour une des start-ups que j’adore : Product Hunt. Elle était notamment en charge de la communauté autour de l’outil de to-do collaboratives, Makers. C’est également elle qui animait le podcast de la boîte/mafia, pour lequel elle a interviewé les plus grands noms de la Silicon Valley. Véritable hustler dans l’âme, elle a aussi monté de nombreux projets et communautés autour de thèmes comme l’inclusion, la diversité et bien sûr l’entrepreneuriat.
C’est quelqu’un que j’admire beaucoup pour ses valeurs et convictions, ainsi que pour la détermination qui a guidé son parcours. Le fait qu’elle ait commencé dans l’edito au Financial Times n’y est sans doute pas pour rien. Autant vous dire qu’elle est depuis longtemps sur ma wishlist de personnalités à inviter dans Plumes With Attitude.
En janvier 2019, la publication qui l’avait reçue en stage dix ans plus tôt la classait parmi les 100 leaders “BAME” (“Black, Asian, Minority Ethnics”) les plus influents dans le monde de la tech. Une récompense bien méritée pour celle qui s’est donnée comme mission avec Hustle Crew de faire émerger les Abadesi de demain.
🕳️ HOLE…
Pour s’y perdre et surtout s’y retrouver en attendant la prochaine édition.
Belief capital : Bourdieu version makers. Une excellente lecture pour compléter la référence aux fameux capitaux du sociologue dans l’édition précédente.
Réviser ses classiques : Les 8 lois qui règnent sur la tech sont résumées ici. Au-delà de l’incontournable loi de Moore et du principe de Pareto, on y retrouve des théories plus obscures et très bien illustrées.
Le pouvoir de l’absurde : Lynch, Kafka, Magritte et les Monty Python dans un article de psychologie, ça ne peut donner que du bon.
Rien à redire : Superbe leçon de méditation en un thread, que j’aime résumer par “moindre effort, moindre resistance”.
DERNIÈRE CHOSE…
Cela fait déjà deux mois que j’ai lancé Black Swans Collection ! Et comme notre petit club commence à grandir, je commence à réfléchir comment prolonger l’expérience de lecture… ensemble.
Vous êtes plusieurs à manifester votre intérêt pour une volet plus communautaire. Alors je me disais : et si on commençait par une première étape, à savoir lancer un groupe Whatsapp ? Ça me semble un bon début pour s’échanger lectures, recos et autres GIF d’animaux.
Je vous laisse me dire ce que vous en pensez et si l’idée vous intéresse, ainsi qu’à m’envoyer vos numéros pour celles et ceux qui veulent démarrer illico.
Prenez soin de vous,
May the words be with you,